Dans une conférence de presse organisée en urgence ce jeudi soir, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé l’interdiction dans les opérations de maintien de l’ordre des grenades offensives, une arme militaire en dotation uniquement chez les gendarmes. « Parce que cette munition a tué un jeune garçon de 21 ans et que cela ne doit plus jamais se produire, j'ai décidé d'interdire l'utilisation de ces grenades dans les opérations de maintien de l'ordre », a-t-il déclaré après la remise mercredi soir d'un rapport sur ces munitions.
Ce rapport, mis en ligne jeudi soir, souligne « la spécificité française, seule nation d'Europe à utiliser des munitions explosives en opération de maintien de l'ordre avec l'objectif de maintenir à distance les manifestants les plus violents ».
Une circulaire, dont un extrait est publié dans le rapport, décrit ainsi la grenade offensive des gendarmes, la plus puissante : « Uniquement lancée à main, la grenade explosive OF n'a aucun effet lacrymogène mais seulement un effet de souffle combiné à un effet assourdissant. Le fonctionnement explosif ne projette aucun éclat métallique dangereux. Si la situation le permet, les grenades explosives sont dans un premier temps lancées chaque fois que possible dans les endroits dépourvus de manifestants. Leur emploi doit être proportionné aux troubles rencontrés et prendre fin lorsque ceux-ci ont cessé. »
Selon les chiffres de la gendarmerie, les « pics de mise en œuvre » correspondent à des « troubles sociaux particuliers ». Sont ainsi citées les émeutes à Mayotte contre la vie chère en 2011 (91 grenades OF), l'évacuation des squats et premières opérations de maintien de l'ordre à Notre-Dame-des-Landes en 2012 et 2013 (104 grenades OF), ainsi que les manifestations contre l'installation des portiques éco-taxes en Bretagne (6 grenades OF), puis en 2014 les manifestations contre la construction du barrage de Sivens (43 grenades OF). « Lors des opérations de Sivens, dans la seule nuit du 25 au 26 octobre 2014 (de 00h20 à 03h27), en trois heures d'engagement de haute intensité, on dénombre le tir de 237 grenades lacrymogènes (dont 33 à main), 38 grenades GLI F4 (dont 8 à main) et 23 grenades offensives F1 (dont 1 qui a tué Rémi Fraisse), ainsi que de 41 balles de défense avec lanceur de 40 x 46 mm », précise le rapport.
Les auteurs notent que « les années 2013 et 2014 sont marquées par une nette augmentation du nombre de gendarmes blessés (plus de 110 blessés, ndlr) en maintien de l’ordre en raison des troubles rencontrés sur les grands projets tels que la THT (Basse Normandie), l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le barrage de Sivens ».
Bernard Cazeneuve a également décidé de « durcir les modalités d'emploi des grenades lacrymogènes à effet de souffle, dites “GLI” pour grenade lacrymogène instantanée ». Désormais, « l'utilisation de ces munitions devra se faire en binôme composé du lanceur lui-même et d'un superviseur ayant le recul nécessaire pour évaluer la situation et guider l'opération », a-t-il poursuivi. « Mon rôle est de faire en sorte qu’un tel drame ne soit plus possible », a dit Bernard Cazeneuve.
Un autre rapport, confié à l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et qui sera remis début décembre, portera lui sur le déroulement des opérations de maintien de l’ordre à Sivens. Parallèlement, un groupe de travail police-gendarmerie est censé plancher sur les techniques de maintien de l’ordre, en associant les parlementaires à leur réflexion. Soulignant en creux les défaillances à Sivens, Cazeneuve a déjà annoncé que la présence permanente d’« une autorité civile (un représentant du préfet) deviendra obligatoire » sur le terrain pour « réévaluer en temps réel le dispositif ». Et que ces opérations seront désormais « intégralement filmées », avec des sommations plus claires. Les sommations actuelles « n'annoncent pas explicitement l'usage des armes », regrette le rapport.
Selon les éléments d’enquête révélés mercredi par Mediapart et Le Monde, les gendarmes, aux prises avec les manifestants sur le chantier du barrage de Sivens la nuit du 25 au 26 octobre, ont immédiatement compris que Rémi Fraisse venait d'être tué par une grenade offensive et l’ont consigné sur leur journal de bord. Dès 5 heures du matin le dimanche, le médecin légiste constate un décès immédiat provoqué par une « explosion localisée ». Mais pendant 48 heures, les autorités ont brouillé les pistes, la préfecture et le ministère évoquant simplement le dimanche 26 octobre la « découverte » d’un corps par les gendarmes à 2 heures du matin. Il faudra attendre le mardi 28 octobre pour que le procureur de la République annonce que l’enquête s’orientait sur la piste « d’un explosif militaire de type grenade offensive ».
Jeudi 13 novembre, questionné par un journaliste, Bernard Cazeneuve a finalement reconnu qu’il avait été averti dans la nuit de dimanche de cette découverte, et non le matin comme soutenu jusqu’alors. « Après minuit, c’est le matin », a balayé le ministre. Il estime « injuste » « le procès selon lequel le gouvernement aurait su dès le dimanche » et se dit dans « une obsession de la vérité ». « Ce qui me blesse profondément est qu’on ait pu m’accuser de créer délibérément les conditions de la mort de ce jeune homme et d’avoir ensuite voulu cacher des choses. » Le ministre s’est, une fois de plus, réfugié derrière l’indépendance de la justice et le secret de l’instruction, affirmant avoir « choisi d’assurer les conditions d’un travail serein de la justice ».
« Le magistrat qui avait accès au dossier ne savait pas et moi qui n’y avait pas accès, j’aurais dû savoir ? », a-t-il martelé. « Les seules informations dont j’ai disposé sont celles que m’a adressées M. Favier (directeur général de la gendarmerie nationale, ndlr) », a également répété Cazeneuve. C'est-à-dire de la simple « concomitance » entre le tir d'une grenade offensive et la mort du jeune botaniste sans certitude sur le lien de causalité, selon le récit désormais bien rodé des deux hommes qui se sont exprimés ce jeudi sur France inter et RTL.
L'entourage de Bernard Cazeneuve évoque le choix d'une « posture de neutralité » pour ne pas faire pression sur la justice. Ce qui n'a pas empêché le ministre de condamner dès le 26 octobre dans son communiqué « une forme d’action particulièrement violente » des opposants au barrage, tandis que Manuel Valls refusait le mardi 28 octobre toute « mise en cause de l’action des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs ».
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