Le département socialiste des Bouches-du-Rhône a longtemps servi de mécène à la branche départementale d’Unsa police, syndicat unique, puis à son successeur Unité Police. Au total, entre 2005 et 2010, le conseil général, présidé par le sénateur Jean-Noël Guérini (ex-PS), a versé 440 000 euros à l’antenne départementale du syndicat, dont l’un des membres tient toujours une section police au siège de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. Rien d’illégal, puisque la loi permet aux collectivités locales de financer les structures locales des syndicats représentatifs. Mais les montants sont, à notre connaissance, inédits pour une organisation policière. Interrogés, les autres syndicats de police nous ont assuré ne jamais toucher d’aides supérieures à 5 000 euros.
Alertés par une lettre anonyme en février 2011, les gendarmes de la section de recherche de Marseille, en charge des affaires Guérini, ont épluché les comptes du syndicat. Ils ont conclu le 6 septembre 2012 à l’absence de toute malversation financière. « De l'analyse de la comptabilité 2009, il ressort que les subventions 2009 du CG13 ont été régulièrement utilisées dans les domaines pour lesquels elles avaient été demandées et accordées », écrivent les enquêteurs, même si la générosité du conseil général permettait aux syndicalistes marseillais de vivre grand train. « Les dirigeants du syndicat se sont octroyé en 2009 des indemnités (allant jusqu’à 6 924 euros pour l’un d’eux, Jean-Claude Hoang-Phu - ndlr), relèvent les gendarmes dans une première synthèse datée du 19 janvier 2012. Ces sommes sont justifiées en comptabilité pour partie par la présentation de factures de restauration, de transport et de carburant et pour partie en un forfait pour la téléphonie portable. » Sur un compte-rendu d’un bureau départemental qui s’est tenu le 3 mars 2009, Joël Gaspérini, l’ex-secrétaire départemental du syndicat, rappelle clairement que ce « dispositif indemnitaire lié à des frais de représentation est conditionné à l'obtention de la subvention de fonctionnement et sera maintenu sous cette réserve essentielle ».
Chaque année, le syndicat marseillais recevait une subvention de fonctionnement de 55 000 euros. En sus, le syndicat multiplia les congrès nationaux à Marseille, financés à hauteur de 20 000 euros par le département en 2007, puis de 25 000 euros en 2008 et 2010. Le 16 avril 2009, la subvention atteignit même 40 000 euros pour l’organisation, trois mois plus tôt, d’un congrès national d’Unité Police à l’hôtel Mercure près du Vieux-Port. L’intégralité de cette subvention du conseil général semble avoir été reversée pour remboursement au bureau national, en violation de la convention signée avec le département qui interdisait à l’antenne locale de « reverser tout ou partie de la subvention à d’autres associations, sociétés, collectivités privées ou œuvres ».
Selon les documents internes d’Unité police Treize consultés, le congrès était budgété à 120 000 euros, dont 78 000 euros pour l’hébergement/repas et 38 000 euros pour les transports. Le financement devait être assuré à hauteur de 80 000 euros par le bureau national et à hauteur de 40 000 euros par la subvention du conseil général. Le 9 janvier 2009, le syndicat national a viré 75 000 euros, comme promis, à son antenne départementale qui a aussitôt réglé la note de l'hôtel où s'était déroulé le congrès (69 105,10 euros). Mais pourquoi les 40 000 euros de la subvention départementale ont-ils ensuite atterri à Paris ?
« Je crois qu’il y a eu une avance de 40 000 sur le compte départemental et ça a été remboursé au niveau national », nous a d’abord répondu Henri Martini, secrétaire général d’Unité SGP police FO, lorsque nous l’avons rencontré en septembre 2014. Nous n'avons pas réussi à retrouver dans les documents en notre possession la trace de cette avance de 40 000 euros. Réinterrogé, Henri Martini nous répond par courriel que l‘avance de 75 000 euros versée par Paris le 9 janvier 2009 « comprenait le montant de l’éventuelle subvention départementale de 40 000,00€ que nous sollicitions ». Faut-il comprendre que le congrès n’a finalement coûté que 75 000 euros ? Il est pourtant comptabilisé à hauteur de 112 883,37 euros dans le compte de résultat 2009 de l’antenne départementale. « Il faut intégrer qu’un événement syndical de la sorte génère des dépenses bien au-delà des sommes partiellement engagées au niveau local, indique par courriel, sans plus de précisions, Henri Martini. Notre organisation syndicale nationale assume, et en cette occasion notamment, d’importants frais complémentaires remboursés ou avancés à des congressistes en provenance de l’ensemble du territoire. » Il est par exemple possible que ces 40 000 euros aient servi à payer des dépenses de transport des délégués syndicaux vers Marseille.
Mais comment expliquer des subventions aussi élevées du département ? « Près de 400 personnes dans votre ville, ça fait une retombée économique. On fait travailler les traiteurs, les hôteliers », justifie Henri Martini, qui assure avoir également reçu des subventions d’Aix-en-Provence pour un congrès en 2001 et de Reims en 2008. Vérification faite, rien de semblable : à Reims, la ville indique avoir versé seulement 5 000 euros en 2008 pour un congrès de 250 personnes. Autre bizarrerie, l’enquête des gendarmes montre qu’en 2009, Henri Martini et son ex-conseiller Jean-Claude Hoang-Phu, ancien secrétaire national d’Unité police, ont reçu des défraiements de l’antenne des Bouches-du-Rhône, alors qu’ils ne disposaient pas de mandats locaux. « Ça ne me dit rien du tout, s’étonne Henri Martini. À l’époque j’étais à Paris. Quand je me déplace, je paie l’hôtel, mais si on me rembourse, c’est Paris. »
Selon le conseiller général Jean-François Noyes, ex-directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini, son interlocuteur au sein du syndicat était Jean-Claude Hoang-Phu, ex-conseiller d’Henri Martini. Encarté au PS, le syndicaliste marseillais militait au sein de la « section police » socialiste de la rue Montgrand. Dans des écoutes téléphoniques liées à l’affaire Guérini, Jean-Claude Hoang-Phu apparaît comme l’intermédiaire entre Bernard Squarcini, l’ancien patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur - ndlr), et Alexandre Guérini, le frère du président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône. Ce qu'a également affirmé Me Olivier Grimaldi, ex-avocat d'Unité police et d'Alexandre Guérini, lors de son audition par les gendarmes en février 2011. Bernard Squarcini n'a cependant jamais été entendu à ce sujet par les enquêteurs. En février 2009, redoutant des complicités dans l’appareil policier, l’ex-procureur de la république de Marseille avait préféré confier l’enquête sur le système Guérini à la section de recherche de la gendarmerie plutôt qu'à la PJ.
« Ça n’a jamais été un informateur, dément Jean-François Noyes. JHCP nous aidait beaucoup mais uniquement dans les services d’ordre pendant la campagne 2007 de Ségolène Royal, notamment pour une manifestation au Dôme à Marseille. » Le député PS Patrick Mennucci, qui dirigeait la campagne de Ségolène Royal, et Joaquin Masanet, ex-secrétaire de l’Unsa police qui avait soutenu la candidate en 2007, affirment eux catégoriquement n’avoir jamais eu affaire à JCHP pour le service d’ordre des meetings de la candidate. Aujourd’hui proche de la retraite et retenu par des problèmes familiaux, Jean-Claude Hoang-Phu n’a pas donné suite à nos demandes, de même que l’ex-secrétaire départemental Joël Gaspérini qui souffre de problèmes de santé.
Depuis 2010, Jean-Noël Guérini, aujourd'hui mis en examen dans plusieurs affaires de marchés truqués, a stoppé net ses subventions. Unité SGP Police FO, plutôt marqué à gauche, redoute que cette histoire passée ne constitue un boulet face à leur concurrent Alliance police nationale, au sein duquel ont atterri à Marseille plusieurs anciens de la FPIP, un syndicat réputé proche de l’extrême droite. « Tous nos comptes ont été vérifiés et revérifiés par le commissaire aux comptes parisien. Et nous aux élections (professionnelles en décembre 2014, ndlr), on fait face à des fachos », s’inquiète un délégué local, qui n'a accepté de nous rencontrer qu'en off.
BOITE NOIREEn novembre 2012, suite à une décision de la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs), le conseil général des Bouches-du-Rhône m'avait transmis le montant des subventions versées en 2010 à l'antenne départementale du syndicat Unité police, en omettant celles des années précédentes au prétexte que le syndicat avait changé de nom. Recontacté le 27 août 2014 pour savoir à quand remontait la subvention et pour obtenir les montants antérieurs à 2010, le conseil général des Bouches-du-Rhône ne m'a toujours pas répondu. J'ai rencontré Henri Martini en septembre, puis je lui ai demandé des précisions par courriel.
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