Ils se sont mobilisés au printemps 2012 pour offrir à Nicolas Sarkozy ses 48,37 % et ont finalement vu François Hollande accéder à l’Élysée. Ils ont pris parti pour Jean-François Copé ou François Fillon quelques mois plus tard et sont devenus les victimes collatérales d’une guerre des chefs dont ils ne se remettent toujours pas. Ils ont mis la main au porte-monnaie à l’occasion du “Sarkothon” pour renflouer les caisses de l’UMP, avant d’apprendre l’existence de la société Bygmalion, des 17 millions d’euros de frais de campagne présidentielle dissimulés aux autorités de contrôle et du train de vie champagne de certains de leurs élus.
En deux ans, les militants UMP ont avalé tellement de couleuvres et de crapauds qu’ils pourraient ouvrir des centaines de vivariums. Et pourtant, ils sont encore là. À Paris, où Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy ont chacun tenu un meeting à trois jours d’intervalle, ils se sont déplacés en nombre pour écouter ce que les deux candidats à la présidence du parti avaient à leur dire. Mardi 4 novembre, dans les locaux feutrés de la Maison de la Mutualité, là-même où l’ancien président avait fait son “ce n’est qu’un au revoir” au soir du 6 mai 2012, ils étaient plus d’un millier à applaudir Bruno Le Maire. Dans le public, des militants certes, mais aussi beaucoup de sympathisants ou de simples curieux. L’ambiance – que les “jeunes avec BLM” et leurs tee-shirts colorés ont essayé de chauffer – est restée relativement calme durant toute la soirée.
Autre lieu, autre ambiance, vendredi 7 novembre, dans le plus petit pavillon du Parc des expositions de la porte de Versailles, où Nicolas Sarkozy a rassemblé au mieux 3 500 personnes – et non 5 000 comme l’ont assuré les organisateurs du meeting. Autre public, aussi. Car les soutiens de l’ancien président sont plus que des militants : ce sont des fans. Avec toute l’hystérie et l’absence de sens critique que l’idolâtrie peut engendrer. Ils hurlent « Nicolaaas » comme d’autres hurlaient « Patriiick » dans les années 90. Pas simple, dans ces conditions, de les aborder pour leur demander ce qu’ils pensent des candidats à la présidence de l’UMP. Beaucoup d’entre eux se méfient des journalistes « qui écrivent des mensonges sur Sarkozy » et qui « font tout pour l’abattre ». Quand vous précisez travailler pour Mediapart, les choses se corsent encore davantage.
« À quoi ça sert que tu répondes ?, glisse une dame à son amie que nous sommes en train d’interroger. De toute façon, ce sera déformé ! » Françoise, la cinquantaine, n’a cure du conseil. Elle accepte de discuter « comme des gens civilisés ». Surtout, elle tient à expliquer pourquoi elle continue à soutenir l’ex-chef de l’État. « La politique, c’est comme un match de foot, dit-elle. On soutient notre équipe dans les bons comme dans les mauvais moments. Nicolas Sarkozy est le seul à avoir la volonté et l’expérience nécessaires pour nous emmener vers la victoire. » Les autres candidats ? Françoise ne s’y intéresse guère. Certes, elle « ne déteste pas » Bruno Le Maire, « mais enfin, il reste trop intellectuel, pas assez proche de nous ». Sur le fond, elle estime que les propositions de l'ancien ministre de l'agriculture pour rénover le parti « ne sont pas mauvaises », ajoutant toutefois que « de toute façon, ce ne sont pas les idées qui comptent puisqu'ils ont tous les mêmes ».
Rémi est « assez d’accord » avec cette analyse. Assis sur une chaise, une pancarte « Avec Nicolas » sur les genoux, cet ingénieur de 50 ans ose même une comparaison : « Bruno Le Maire me fait penser à Valéry Giscard d'Estaing. Il est issu de la haute fonction publique, il veut faire proche des gens, mais ça sonne faux. » Dans la bouche des militants sarkozystes, les mêmes mots reviennent régulièrement pour qualifier l’ancien ministre de l’agriculture : « manque de charisme », « pas assez d’expérience », « peu de légitimité »… « J’ai tendance à le trouver trop lisse, il manque de personnalité, affirme Amélie, une étudiante de 21 ans. Il n’est pas mauvais, mais ses assises ne sont pas assez solides. » « Sarko face à Le Maire, c’est le héros face à la personne lambda, ajoute son ami Pierre-Arnaud, lui aussi étudiant. Les gens plébiscitent forcément le héros ! »
« Sarkozy, c’est une star pour les militants », reconnaît le porte-parole de l’ancien président, Gérald Darmanin, qui signe lui-même des autographes à l'issue du meeting. « En tout cas, c’est ma star à moi, confirme Céline, venue de Guadeloupe pour applaudir son champion. Je le suis depuis que je suis toute petite. J’ai toujours su qu’il ferait de grandes choses. » Cette chef d’entreprise de 44 ans parle de l’ex-chef de l’État avec des étoiles dans les yeux. Elle ne comprend pas « l’acharnement » que lui font subir, selon elle, « ses adversaires, en interne comme en externe ». « Les affaires dont on l’accuse, c’est un peu le lot de tous ceux qui accèdent au pouvoir, affirme-t-elle. Est-ce que ça empêche de faire le travail ? Non. Tout le monde fait des erreurs. » Comme la plupart des militants interrogés vendredi par Mediapart, Céline se sent « boostée par ces attaques ». « Cela renforce notre soutien, explique également Annie, qui a fait le déplacement depuis la Nièvre. Nous faisons bloc derrière lui. »
Les militants UMP venus écouter Bruno Le Maire trois jours plus tôt à la Maison de la Mutualité tiennent un tout autre discours sur les nombreuses affaires qui entourent Nicolas Sarkozy. « Son retour n’est pas bon pour le parti parce qu’il a trop de casseroles, affirme ainsi Catherine, une retraité de 70 ans, encartée depuis 1981. Cela risque d’être catastrophique pour notre famille politique. Quand je l’entends dire qu’il n’a jamais entendu parler de Bygmalion, ça m’agace. Il faudrait qu’il soit un petit peu honnête ! » François, un militant de 67 ans, est du même avis. Lui qui a assisté à « quelques meetings » de la campagne de 2012 estime qu’il « fallait être idiot pour ne pas se rendre compte de leur démesure ». À l'en croire, ces réunions publiques « étaient tout simplement à l’image de la mégalo de Sarkozy ».
François ne cache pas sa colère contre l’ancien président, mais aussi et plus largement, contre tous les « caciques de l’UMP », « ces gens qui ne pensent qu’au pouvoir et ne sont même pas fichus de reconnaître leurs erreurs ». S’il soutient Bruno Le Maire, c’est parce que « lui au moins, il ne se trompe pas de combat ». « Nicolas Sarkozy aurait mieux fait de patienter un peu au lieu d’avoir la gigote comme ça, dit-il. Il revient parce qu’il sait que s’il reprend l’UMP, ce sera sa machine de guerre pour 2017. » Un scénario qui n’enchante pas vraiment Catherine, qui considère que le parti « a déjà été largement démoli par la guerre Fillon-Copé » et qu’il « ne faut pas grand-chose pour que cela explose de nouveau ». « J’ai peur que toutes ces divisions recommencent avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, grimace-t-elle. Son retour, ça fait très politique, opportuniste. On voit que ce qui l’intéresse, c’est le pouvoir. Il pense davantage à lui-même qu’aux Français… »
« Nicolas Sarkozy fait tout en même temps, c’est dommage », soupire Christine-Hélène, 65 ans. Cette ex-attachée de direction chez Roger & Gallet votera Bruno Le Maire le 29 novembre prochain parce qu’elle veut quelqu’un de « propre » à la tête de son parti, mais aussi parce que « l’autre, on le connaît par cœur, il n’y a pas de surprise ». Le discours de « renouveau » prôné par l’ancien ministre de l’agriculture passe bien auprès des personnes réunies à la Maison de la Mutualité. En témoigne le nombre important de “non-encartés” croisés par Mediapart ce soir-là. Entre deux escaliers, Patrice, 62 ans, nous confie avoir « toujours voté à gauche ». « Je trouve que François Hollande a cassé l’esprit de la gauche, explique-t-il. Comme simple citoyen, l’offre politique que Bruno Le Maire propose me semble intéressante : le renouveau des hommes et des méthodes. » Un bon point pour le député de l’Eure en cas de primaires ouvertes en 2016, mais qui ne lui sera guère utile pour le scrutin de fin novembre où seuls les adhérents de l’UMP sont appelés à voter.
Jean-Bernard, 26 ans, a pris sa carte à l’UMP il y a six mois, ce qui ne l’empêche pas de plaider, lui aussi, en faveur du renouveau. Un renouveau qui ne nécessite pas, selon lui, de « tout changer », comme le propose Nicolas Sarkozy, mais plutôt de travailler dès à présent sur les idées et les valeurs de la droite. Or, outre « le talon d’Achille » que représentent à ses yeux les affaires, le jeune homme a bien du mal à voir « où sont les nouvelles idées » de l’ancien président. « Il s’appuie sur son statut d’ex-chef de l’État, mais pour le reste, il se contente de dire qu’il va rassembler la droite et le centre, tout en tenant un discours très Droite forte (le courant ultra-droitier de l’UMP – ndlr). C’est un peu court, non ? »
Les réunions publiques que Nicolas Sarkozy a tenues courant octobre dans le Sud-Est, et plus particulièrement celle de Nice (Alpes-Maritimes), n’ont pas été appréciées par les modérés de l’UMP. « Sarko est trop extrême, regrette Anne-Marie à l’issue du meeting de Bruno Le Maire. Son retour est une erreur, il y a trop de choses qu’il n’a pas comprises. J’ai l’impression qu’il est complètement déconnecté depuis la fin de son mandat. Je comprends qu’il ait envie de revenir, mais je ne suis pas sûre qu’il ait bien analysé l’évolution de la société. Son discours sur l’immigration, par exemple. Certes, il y a des problèmes, mais il ne faut pas exagérer non plus. » Catherine, la militante encartée depuis 1981, se dit pour sa part « inquiète » des discours que tient l'ancien président sur le sujet. « Bruno Le Maire, lui, ne flirte pas avec les extrêmes, souligne-t-elle. Et il a raison. Ce n’est pas à l’extrême droite que nous devons aller chercher des solutions… Il faut être raisonnable. »
Les propos tenus chez Le Maire tranchent radicalement avec ceux des militants présents vendredi soir au meeting parisien de Nicolas Sarkozy. Qu’il s’agisse de Jean-Paul, ex-agent immobilier de 79 ans, qui a fait ses premières armes militantes dans les années 1950 au sein du mouvement anti-communiste “Paix et liberté”, ou de Rémi, qui a résilié il y a deux ans son abonnement au Point – « trop critique vis-à-vis de Sarko » – pour s’abonner à Valeurs actuelles, tous valident la ligne Buisson de 2012, remise au goût du jour en 2014. Et tous opinent du chef quand on leur demande s’ils pensent, comme Nicolas Sarkozy, que « l’immigration menace notre façon de vivre ».
Interroger les militants UMP est un bon exercice pour révéler la fracture du premier parti d’opposition. Car si Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy ont tous deux envie de « rassembler » leur famille politique, il ne fait aucun doute que leur ambition confine à la mission impossible, tant le fossé qui sépare les modérés du parti des tenants de la “droite décomplexée” s’est creusé. Mardi 4 novembre, à la Maison de la Mutualité, la maire du IXe arrondissement de Paris, Delphine Bürkli, félicitait Bruno Le Maire d’avoir « su incarner » les militants parisiens, « connectés au monde qui les entoure » et « ouverts sur l’évolution de la société ». Mais ces militants ne constituent pas le gros du “noyau dur” de l’UMP, cette « immense armée » dont parle Nicolas Sarkozy et qui a toutes les chances de le sacrer vainqueur fin novembre.
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