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Tapie veut un nouveau tribunal arbitral

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C’est le dernier rebondissement en date de l’affaire Adidas/Crédit lyonnais mais c’est aussi l’indice de la peur panique qui étreint actuellement Bernard Tapie à l’approche de l’audience de la cour d’appel de Paris qui, le 25 novembre prochain, sera enfin consacrée au recours en révision formé contre la sentence lui allouant 405 millions d’euros. Plus cette audience approche, plus Bernard Tapie fanfaronne sur les plateaux de télévision pour faire mine qu’il n’a rien à craindre, alors que, parallèlement, il tente des manœuvres désespérées pour échapper à l’annulation par la cour d’appel car il pressent, il sait même, que celle-ci est désormais inéluctable.

Selon nos informations, Bernard Tapie vient soudainement d’engager une procédure devant le tribunal de commerce de Paris, afin que celui-ci décide de reconstituer un tribunal arbitral pour qu'il statue sur la fraude du précédent tribunal arbitral. C’est ce qu’atteste un document judiciaire que Mediapart a pu consulter. Le tribunal de commerce examinera donc, le 13 novembre prochain, ce référé dont le but à peine caché est d’empêcher la cour d’appel de statuer et d’annuler la sentence du 7 juillet 2008, qui est venue ponctuer le célèbre arbitrage sur lequel pèsent désormais de lourds soupçons de fraude.

Pour comprendre ce contre-feu organisé par Bernard Tapie et ses avocats, il faut d’abord se souvenir que l’arbitrage vraisemblablement frauduleux fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires. Plusieurs hauts fonctionnaires sont ainsi renvoyés devant la Cour de discipline budgétaire et financière, dont Stéphane Richard, actuel patron d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances. Dans le cadre de l’information judiciaire qui a été ouverte en septembre 2012, plusieurs acteurs-clefs du scandale ont par ailleurs été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » : c’est le cas de Bernard Tapie, de son avocat, Maurice Lantourne, du même Stéphane Richard, de l’ex-patron du Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance qui a accueilli en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais et a hérité de la confrontation judiciaire autour de la vente d’Adidas), Jean-François Rocchi, et de l’un des trois arbitres, Pierre Estoup. Dans le cadre de la même information judiciaire, les deux autres arbitres, l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud et l’avocat, académicien et professeur de droit Jean-Denis Bredin ont en outre été placés sous le statut de témoin assisté. Et de son côté, l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) et ex-ministre des finances, Christine Lagarde, a été mise en examen pour « négligences » par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, la juridiction d’exception dont elle relève. Enfin, une autre action en responsabilité civile contractuelle a été engagée devant le tribunal de grande instance de Paris à l’encontre de Bernard Tapie, Maurice Lantourne et Pierre Estoup, en réparation du préjudice subi du fait de cet arbitrage pour le moins suspect.

Bernard TapieBernard Tapie © Reuters

Mais, pour le contribuable, la mère des batailles aura lieu devant la cour d’appel de Paris car c’est elle, et elle seule, qui peut annuler la sentence arbitrale. Le recours contre la sentence, qui s’appelle le recours en révision, a été engagé le 28 juillet 2013. Après des péripéties judiciaires, et des recours parasites déposés et écartés, il sera donc examiné le 25 novembre prochain au cours d’une audience qui promet d’être à la fois technique et décisive car l’issue devrait en être l’annulation de la sentence et la restitution des 405 millions d’euros alloués du fait de cette sentence.

Mais pourquoi, alors que cette procédure a été initiée en juillet 2013, le clan Tapie n’essaie-t-il de la court-circuiter qu’aujourd’hui ? La réponse est simple, et tient en deux éléments : d’une part, l’accumulation des indices de la fraude grâce à l’enquête pénale, presque close, qui révèle une autre histoire que celle qu’a tenté d’imposer Bernard Tapie à force médias, tant sur le fait qu’il se serait fait floué par le Crédit lyonnais, ce dont on sait que ce n’est pas le cas, que sur l’arbitrage lui-même qui s’est déroulé dans de telles conditions que l’un des arbitres, Jean-Denis Bredin, a reconnu devant le juge d’instruction que Pierre Mazeaud et lui s’étaient « fait avoir ».

D’autre part, la chambre de la cour d’appel appelée à statuer sur ce recours en révision a rendu une série d’arrêts récents qui, selon les nombreux juristes que nous avons consultés, montrent qu’elle prépare le terrain de l’annulation, notamment par les critères qu’elle a retenus à propos de la plupart des questions de droit soulevées par ce recours.

Étant conseillé par une batterie d’avocats, tout cela, Bernard Tapie le sait très bien. C’est ce qui explique qu’il ait soudainement saisi le tribunal de commerce pour demander que la question de la fraude soit soustraite à la cour d’appel et transmise à un tribunal arbitral, soit le même (!), soit un autre.

Cela révèle une stratégie contentieuse erratique, car Bernard Tapie aurait pu faire cette demande il y a 15 mois. Mais, probablement, ni lui ni ses conseils n’ont pris la mesure de ce dénouement judiciaire qui se profilait au civil et au terme duquel l’ex-homme d’affaires pourrait perdre son magot. Car dans les semaines et les mois qui ont suivi le dépôt du recours, ils n’ont pas réagi. Mais soudainement, et très tardivement, ils ont visiblement cherché une parade. Et ils ont saisi le tribunal de commerce pour qu’il accepte la reconstitution d’un tribunal arbitral. Preuve de la forte inquiétude du clan Tapie : alors que le recours en révision est donc déposé depuis plus de 15 mois, et que Bernard Tapie n’avait pas réagi, il a même demandé à ses conseils, selon nos informations, d’introduire, en octobre dernier, un référé d’heure à heure, comme s’il y avait soudainement une urgence exceptionnelle à éviter la cour d’appel. Ce référé d’heure à heure, qui présente aussi l’avantage de donner lieu à une audience dite « en chambre du conseil », c’est-à-dire non publique, a été rejetée par le tribunal de commerce qui a logiquement relevé la contradiction à attendre 15 mois pour soudainement prétendre qu’il y a une urgence.

Pour comprendre cette manœuvre de dernière minute, il faut savoir que, juridiquement, deux juridictions distinctes sont compétentes pour statuer sur une révision pour fraude d’une sentence arbitrale. S’il s’agit d’un arbitrage dit interne (en clair, mettant en face des sociétés françaises), c’est la cour d’appel qui est compétente. Si, en revanche, il s’agit d’un arbitrage international (en clair, une opération économique internationale), c’est le tribunal arbitral qui a été trompé qui est compétent, ou un autre tribunal arbitral, s’il ne peut être à nouveau réuni. C’est partiellement le cas ici, puisqu’un des arbitres, Pierre Estoup, est interdit par son contrôle judiciaire de rencontrer les autres protagonistes du dossier. Et dans cette hypothèse, la reconstitution totale ou partielle est faite dans les conditions contractuellement prévues. Ici c’est le tribunal de commerce qui a été désigné pour cette mission.

C’est donc ici que réside le subterfuge. Bernard Tapie fait mine de considérer de très longue date que l’arbitrage qui a fait sa fortune est un arbitrage international, mettant en jeu des sociétés qui ne sont pas toutes françaises, à commencer par le groupe Adidas, alors qu’il ne s’agit que d’une affaire entre une banque et son client, et il n’y a rien d’international ici. D’ailleurs, dans leurs propres conclusions devant le tribunal arbitral, ses avocats prétendaient qu’il s’agissait d’un arbitrage interne. Cette volte-face s’explique uniquement pour éviter la cour d’appel.

Dans leur référé, Bernard Tapie et ses conseils sont donc dans l’obligation de demander au tribunal de commerce d’installer un nouveau tribunal arbitral, avec trois arbitres différents. Par cette galipette procédurale, qui a très peu de chances d’aboutir, leur souhait est double : le clan Tapie qui est familier du tribunal de commerce et qui connaît les mœurs souvent accommodantes de cette juridiction – pour qui en douterait, une de nos précédentes enquêtes est de ce point de vue édifiante : Affaire Tapie : l’Elysée a-t-il encore fait pression ? –, a de bonnes raisons de penser qu’une telle procédure pourrait leur être plus favorable et que dans tous les cas de figure, elle conduirait à un véritable enlisement de la procédure civile.

Et puis surtout, cela permettrait à Bernard Tapie de dessaisir la Cour d’appel du dossier. Car le vrai danger qui le menace est que des magistrats de la République – pas des arbitres privés – se prononcent sur la régularité de la sentence.

D’après le professeur Thomas Clay, le spécialiste de droit de l’arbitrage qui a dénoncé cette affaire dès l’origine, étant même celui qui, dès septembre 2008, avait alerté sur le fait qu’il resterait le recours en révision pour fraude, « l’histoire se répète de manière étonnante. Sept ans après l’automne 2007 où il a soudainement été décidé de retirer le litige à la cour d’appel de Paris qui était en train de l’examiner pour le confier au tribunal arbitral qui a rendu la sentence que l’on connaît, Tapie essaie une nouvelle fois de saisir une juridiction arbitrale, plutôt que de laisser la cour d’appel se prononcer sur la fraude alléguée. Il table manifestement sur une plus grande clémence du tribunal arbitral que de la part de la cour d’appel. Et il est vrai que ce fut le cas la première fois. Mais je ne crois pas que ce hoquètement de l’histoire parvienne une deuxième fois au même résultat ».

En effet, même s’ils mettent leur arrêt en délibéré, les magistrats spécialisés en droit de l’arbitrage de la cour d’appel de Paris devraient très probablement annuler la fameuse sentence avant la fin de l’année ou début 2015. Alors, contre ce danger, qui est maintenant imminent, Bernard Tapie tente la manœuvre de la dernière chance. Pour qu’on ne lui reprenne pas son tas d’or, qui est en fait de l’argent public…

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