Frangy-en-Bresse, envoyée spéciale
Ils sont arrivés à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire) vers 13 h ce dimanche 18 août, tous deux bronzés, et les nombreuses caméras se sont braquées sur eux, après avoir suivi Manuel Valls tout l'été.
À la veille de la rentrée du gouvernement, lundi 19, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, avait invité à la 41e Fête de la rose Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale. L'alliance des « Tontons flingueurs » du mandat Hollande, comme titrait le Parisien : Arnaud Montebourg, adulé à Frangy-en-Bresse pour son franc-parler au gouvernement (démondialisation, gaz de schiste, VIe République et réindustrialisation) ; Claude Bartolone, frondeur anti-Merkel ayant demandé au président français de tenir tête à la chancelière allemande. Clin d'œil ou heureux hasard, Cécile Untermaier, députée de Saône-et-Loire, a placé cet invité d’honneur aux côtés d'une mairesse allemande affiliée au SPD, tout droit venue de Basse-Rhénanie. Mais c'était encore le ministre de l'intérieur Manuel Valls, et sa polémique avec la garde des Sceaux Christiane Taubira à propos de la réforme pénale, qui occupait les esprits.
À la tribune, Claude Bartolone a demandé au gouvernement de « conjuguer le travail du ministre de l’intérieur et le travail de la garde des Sceaux, car nous avons besoin de sécurité, mais nous avons aussi besoin de justice ». « Nous ne devons avoir aucun complexe lorsqu’il s’agit de parler de sécurité », a tranché l’orateur, lors de son discours de 35 pages (45 minutes), dédié au « devoir d’unité totale » de la gauche au pouvoir.
Parmi la gauche populaire, représentée par le conseiller régional Ile-de-France François Kalfon et le député socialiste d’Indre-et-Loire Laurent Baumel, les apparitions estivales du « premier flic de France » ont sonné juste. « Valls incarne une demande populaire, il a raison : on a mis une quinzaine d’années à se départir d’une image de la gauche libertaire, bienveillante de la délinquance. Même si la politique proposée par Christiane Taubira est louable et fonctionne au Canada, on en n’a pas encore les moyens en France », appuie François Kalfon, tout en regrettant que l’on « remette le couvert en permanence sur le débat de la laïcité ». Laurent Baumel approuve : « Pour moi, Valls est dans l’équilibre : il pense prévention et respect. Sur la sécurité, je pense qu’il a raison. Il appuie l’exigence républicaine et laïque. Moi, personnellement, ça me choque de voir une fille voilée à l’université ! », confie le député.
Dans cette fête à la gloire du « prodige » de Saône-et-Loire, les fans, eux, ont choisi : plutôt la marinière Made in France de Montebourg que l'uniforme « tout sécuritaire » de Manuel Valls.
Marc, 77 ans, retraité, ancien conseiller municipal aux trois mandats, entré au PS en 1974 (si l’on en croit sa femme qui tient les comptes des cotisations) : « Manuel Valls, c’est un arriviste, il a beaucoup d’ambition, et il surfe sur le fait que les Français ont peur. » Jérôme, chef de projet et informaticien de 39 ans : « Sur la méthode, sur son tout répressif, sur son aspect "mini-Sarkozy", je ne cautionne pas Manuel Valls. Son positionnement sur les sans-papiers et les Roms par exemple, ce sont des choses que je considère ne pas avoir à entendre de la part d'un ministre socialiste. » Gilles, 57 ans, conseiller juridique et militant PS depuis 27 ans, total look Made in France « la marinière, les chaussettes, le chapeau et le slip » : « Taubira c’est les vraies valeurs de la gauche, les vraies valeurs humanistes et l’indépendance d’esprit. »
À ses côtés, cheveux auburn, Nicole Clément milite au PS depuis 1981 : « Je pense que Taubira est dans le vrai pour supprimer les peines planchers. » Mais c'est à Montebourg que cette secrétaire de section PS à Mâcon voue une admiration sans équivoque. « Ce que je trouve extraordinaire chez cet homme-là, c’est qu’il ne s’est jamais trompé : il était précurseur sur la question des paradis fiscaux et sur la démondialisation. » Séduite par l’idée d’une VIe République, elle ajoute : « Bien sûr qu’il est seul, mais les gens qui sont à la marge ont toujours fait avancer les grandes idées et les grandes causes. »
Frangy-en-Bresse, c’est le moment pour Arnaud Montebourg de tirer les leçons de l'année, entre l'échec de Florange et la stratégie populaire du Made in France. Dans un discours imprégné d’optimisme, il a affiché sa volonté de « donner du pain et du travail aux Français » en unissant « les classes sociales autour de l’acte de produire ». Le ministre du redressement productif a expliqué l'importance d'un « patriotisme économique et social pour la reconstruction industrielle de la grande nation que n'aurait jamais dû cesser d'être la France », en ajoutant que « l’industrie n’est pas un problème pour l’écologie ». Pour conclure, Arnaud Montebourg a annoncé le lancement, en septembre, avec le Président, de 34 plans industriels voués à la renaissance du Made in France, dans tous les secteurs.
Un peu plus tard, il avouera : « Ce n’est pas toujours facile, des désillusions, on en a tous les jours ! On peut toujours mieux faire. » Mais « nous avons aussi des discussions tous les jours, et chacun doit pouvoir affirmer ses positions », a-t-il ajouté, comme pour rassurer ses militants sur la pérennité du « style Montebourg ».
À la buvette, Florian Maily est l’un des rares jeunes assistant à l’événement. À 23 ans, il a « fait la campagne de Montebourg », et occupe le poste de secrétaire fédéral PS à la lutte contre l’extrême droite. Pour lui, « le gouvernement doit rassembler toutes les sensibilités de gauche », mais « quand on a fait la campagne de Montebourg, on ne peut pas applaudir des deux mains le discours ultra-sécuritaire de Manuel Valls ». Montebourg « et Benoît Hamon ont toujours été proches. Ils représentent l’aile gauche du gouvernement ». Ce jeune candidat aux cantonales de 2011 à La Clayette résume : « L’échec de Florange, c’est la caricature de la différence entre Montebourg et le gouvernement, c’est la preuve que Montebourg est très à gauche. Ça prouve que François Hollande a dit vrai : il est le président des Français et pas le président du PS. C’est le problème de la Ve république et de son hyperprésident, c’est la preuve qu’il faut passer à la suivante ! » Si Montebourg s'est fait rabrouer pour avoir tenté de nationaliser Florange, « il a eu le défaut de vouloir mener une politique qui n’est pas dans la ligne du gouvernement, mais son grand succès c’est d'avoir essayé de tenir », analyse Florian avec admiration.
Pour François Kalfon, secrétaire national adjoint aux élections, « les principaux alliés de Montebourg, ce sont les 60 propositions de François Hollande. Il y a toute une gauche des élus et d’en bas qui soutient Arnaud Montebourg, Son mot, c’est celui du peuple de la gauche. Mais c’est un homme seul », ajoute-t-il.
Une analyse que réfute Arnaud Montebourg : « Je ne suis pas seul ! » Sa plus grande alliée au gouvernement ? Christiane Taubira, « une amie personnelle mais aussi politique », qui partage sa ligne de conduite. « Vous n'êtes pas sans savoir que Christiane Taubira a participé à ma campagne », déclare-t-il, rappelant ses 17 % de suffrages récoltés à la primaire socialiste. Sans toutefois vouloir trancher entre Manuel Valls et Christiane Taubira, en insistant sur l'utilité de l'indépendance de la justice, Arnaud Montebourg semble avoir déjà donné sa voix.
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