Jusqu'ici, tout ne va pas mal. Un mois et demi après sa constitution à Nantes (lire notre reportage), la coordination « Pas sans nous » entend bien œuvrer concrètement à la mise en œuvre, dans la politique de la ville, des principes du rapport Mechmache/Bacqué, du nom du responsable de l'association « AC le feu » (devenu porte-parole de la coordination) et d'une sociologue spécialiste de l'empowerment, sur la participation et l'interpellation citoyenne dans les quartiers populaires (lire ici). C'est un rapport, commandé par le ministère de l'égalité des territoires et François Lamy, alors secrétaire d'État dans le gouvernement Ayrault, qui a donné lieu à la création de ce « syndicat des banlieues », regroupant les acteurs associatifs présents dans les quartiers populaires. Si ce réseau jusque-là informel de militants, accompagné par des universitaires avec le soutien d'autres associations de lutte pour l'égalité (comme Droit au logement, ou ATD quart monde), a pris le temps de se construire (lire notre reportage), avant de se fonder en association nationale, l'heure est désormais aux travaux pratiques.
Ce vendredi, près de deux heures durant, la coordination a été reçue par la secrétaire d'État à la ville, Myriam El-Khomri. Cette dernière est « dans un état d'esprit très positif et prend très au sérieux ces interlocuteurs, reconnus comme tels par les pouvoirs publics, avec d'autres organisations comme les parents d'élèves ou les centres socioculturels », fait savoir son entourage. « Elle les a encouragés à s'organiser le plus rigoureusement possible », explique-t-on au ministère, qui a demandé aux préfets de recevoir les responsables locaux du « syndicat des banlieues ». En outre, les « Pas sans nous » auront deux représentants au jury de l'attribution des « bourses d'expérimentation » destinées à aider les initiatives de participation citoyenne, dont le montant vient d'être doublé pour atteindre 1,2 million d'euros (pour une cinquantaine de projets retenus).
Du côté de la coordination, on se félicite de l'échange, qualifié de « franc » et « positif ». « La ministre nous a demandé d'être carrés, d'être présents aux réunions, et c'est normal, raconte Mohammed Mechmache. Nous lui avons dit que nous étions structurés et qu'on entendait bien conserver notre autonomie dans les discussions ». Déjà, il pointe quelques « comportements inquiétants » dans la constitution des conseils citoyens de quartier, seul outil préconisé par le rapport qui a été repris dans la loi sur la politique de la ville. « Et aussi dans des villes de gauche », précise-t-il, citant Strasbourg, Sarcelles, Creil, Gennevilliers ou Ivry. « On a des alertes de la base, explique Mechmache. Pour la désignation par tirage au sort des représentants de quartiers, là où on préconise d'utiliser le fichier EDF, des municipalités préfèrent choisir parmi les seuls volontaires. Mais comment sont informés les habitants, si un maire ne prévient que ceux qui l'arrangent ? Il y a aussi ceux qui retiennent les listes électorales, empêchant du coup les résidents étrangers de pouvoir participer. »
Prédécesseur de Myriam El-Khomri au ministère, François Lamy regrette que les pouvoirs locaux aient repris la main sur ces créations, qui auraient pu être placées sous la responsabilité des préfets, alors même que l'esprit du rapport Mechmache/Bacqué reposait sur une remise en cause profonde du clientélisme dans les banlieues, et une distanciation voire une coupure du lien de dépendance entre associations de quartiers et subventions municipales. Toutefois, Lamy estime que « la méthode retenue va dans le bon sens, car elle provoque du débat et doit rendre la démocratie de représentation complémentaire avec la démocratie d'interpellation, au lieu de les opposer ».
Il y a une dizaine de jours, devant l'Assemblée nationale, une trentaine de représentants des « Pas sans nous » se sont ainsi rassemblés pour convaincre les députés de signer leur pétition en faveur de la création d'un fonds d'interpellation citoyenne, permettant le financement de la démocratie citoyenne de quartiers, et directement alimenté par le prélèvement de 10 % sur la réserve parlementaire des députés. « Pour qu'on puisse jouir des mêmes moyens qu'un élu local, en cas de désaccord, au moins qu'on puisse l'exprimer », résume Mechmache devant le Palais-Bourbon.
Quelques députés socialistes (Fanélie Carrey-Conte ou Barbara Romagnan) et écologistes (Danielle Auroi, Eva Sas, Barbara Pompili, Cécile Duflot) ont accepté de la signer, tandis que François Lamy a d'ores et déjà décidé d'attribuer 10 % de sa réserve. « Si déjà les parlementaires s'engagent à donner spontanément, ça créera une habitude et fera bouger les mentalités », dit-il.
Si la ministre reste prudente sur le dossier, revendication phare du rapport Mechmache/Bacqué, elle a dit sa disponibilité « pour favoriser le dialogue » entre la coordination et les députés. L'objectif des « Pas sans nous » est d'organiser début 2015 une grande conférence citoyenne, si possible à l'Assemblée nationale, sur la participation dans les quartiers. En attendant, les responsables de la coordination se réunissent à nouveau la semaine prochaine, à Mulhouse, pour faire le point et faire remonter les paroles locales. Un sujet semble émerger, celui des subventions supprimées dans les villes gérées par le FN. « On va réfléchir à des actions qu'on pourrait mener », a déclaré Mechmache.
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