Les réunions de famille sont souvent des moments très gênants. Surtout vers la fin du repas, lorsque cet oncle volubile, que l’on prend soin d’éviter le reste de l’année, se met à aborder des sujets comme la politique, la religion ou l’immigration. À Nice (Alpes-Maritimes) le 21 octobre, puis à Toulon (Var) le lendemain, cet oncle si prompt à l’amalgame et aux formulations malheureuses a pris les traits de Nicolas Sarkozy. L’ancien président se sent dans le Sud-Est comme chez lui. À l’aise. Détendu. Un peu trop peut-être.
« C’est vrai, je suis ici comme à la maison, comme en famille », a reconnu mardi un Sarkozy boosté par les flagorneries de Christian Estrosi et la présence d’Éric Ciotti, sa dernière – et sans doute plus belle – prise filloniste. Vingt-quatre heures plus tard, à une centaine de kilomètres de là, mais toujours en compagnie du député et maire de Nice, l’ex-chef de l’État a flatté exactement de la même façon les militants UMP venus l’applaudir à Toulon. « Je suis du Var. Je suis ici chez moi. Je m’y sens bien, en famille », a-t-il lancé à ceux qui s’irritaient la gorge à force de hurler « On t’aime ! » « Moi aussi », leur a-t-il répondu dans un sourire tendre. Gênant, on vous dit.
Du coup, comme à la maison, comme en famille, le candidat à la présidence de l’UMP s’est lâché. Il a ouvert les vannes. Et quel meilleur sujet que celui de l’immigration pouvait-il choisir pour mettre tout le monde d’accord, dans ce coin de la France où le FN réalise ses plus beaux scores ? À l’occasion de ces deux réunions publiques – qui seront suivies d'une troisième à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 28 octobre –, Nicolas Sarkozy s’est montré au naturel, prouvant à ceux qui en doutaient encore que la fameuse “stratégie Buisson” de la campagne présidentielle de 2012 était aussi et avant tout la sienne.
« L’immigration ne doit pas être un sujet tabou, mais un sujet majeur, car cela menace notre façon de vivre », a-t-il ainsi expliqué le 21 octobre, avant de dérouler une litanie d’arguments qui n’ont rien à envier aux discours de Marine Le Pen. Espace Schengen, port du voile intégral, « repas à la carte » dans les cantines scolaires, aide médicale accordée aux étrangers en situation irrégulière, ce « scandale » que représente à ses yeux ce qu’il préfère qualifier de « tourisme des droits sociaux »… Sur une heure et demie d'intervention, l'immigration a occupé une heure de discours. Et rien ne nous a été épargné.
« Les Français veulent rester en France. Nous voulons bien accueillir les autres, mais nous ne voulons pas changer profondément ce que nos parents nous ont laissé. Nous voulons que notre langue et notre culture restent ce qu’elles sont. » Du Zemmour dans le texte ? Non. Du Sarkozy. Cuvée 2014. Si l’ancien président renoue avec l’antienne de « la France tu l’aimes ou tu la quittes », c’est parce qu’il reste persuadé que la question de l’immigration est un tabou français dont personne n’ose vraiment parler. À croire qu’il n’allume jamais la télévision.
Or, pour Nicolas Sarkozy, refuser de débattre cette question, « c’est encourager les peurs ». Un risque qu’il ne prendrait jamais bien entendu… Pas même lorsqu’il parle de cet « islamisme fanatisé qui rêve de semer la terreur en Occident » et qu’un frisson général traverse la salle. L’ancien président ne veut plus s’entendre dire qu’il clive les Français. Et pour prouver qu’il est l’homme de la situation et de l’apaisement, il prend sur lui et profite de ses réunions publiques pour revenir sur deux marqueurs de son quinquennat : le discours de Grenoble et le débat sur l’identité nationale.
La question épineuse du discours de Grenoble a été abordée à Toulouse le 8 octobre. « Je crois tellement à mes idées, je m’engage tellement dans ce que je fais, que parfois, j’ai pu blesser des gens et je le regrette, avait alors assuré l’ex-chef de l’État. Si j’avais à refaire le fameux discours de Grenoble, je le referais pas pareil. » À Nice, c’est le débat sur l’identité nationale qui a été mis à l’honneur de ce mea culpa auquel personne ne croit sérieusement, à commencer par Nicolas Sarkozy lui-même. Car dans les deux cas, c’est « sur la forme » que l’ancien président reconnaît avoir péché, jamais sur le fond.
L’homme des couvertures du Figaro Magazine a changé, pas ses idées. Ceux qui avaient imputé la droitisation de la campagne de 2012 à l’influence de Patrick Buisson et qui soutiennent aujourd’hui encore Nicolas Sarkozy dans sa course à la présidence de l’UMP, devraient écouter un peu plus attentivement ce que leur champion raconte lorsqu’il se retrouve « en famille ». À l’époque, Nathalie Kosciusko-Morizet s’en était pris à l’ancien conseiller sulfureux, jugeant que son objectif était « de faire gagner Charles Maurras » plutôt que l’ex-chef de l’État. Deux ans plus tard, elle a rejoint la garde rapprochée du candidat dont elle apprécie la « capacité à faire la synthèse ».
C’est la “caution modérée” de Sarkozy, celle que Buisson qualifie de « bobo » et qui ne devrait pas tarder à tomber de nouveau de sa chaise. Seulement, cette fois-ci, il lui sera difficile de se rassurer en rejetant la faute sur un obscur conseiller, venu de l’extrême droite. L’ancien président assume. Et il n’a d’ailleurs pas attendu d’être « comme à la maison » dans le Sud-Est pour le faire : « Personne n'a jamais lobotomisé mon cerveau, c'est moi qui suis responsable », avait-il lancé dès sa première intervention, le 21 septembre sur France 2.
Comme le hasard fait bien les choses, c’est justement au moment où l’ancien président renoue avec les accents Buisson, que ce dernier sort du bois. Voué aux gémonies depuis la révélation de ses enregistrements clandestins, l’ancien directeur de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute s’est confié à L’Obs pour dénoncer l’« assassinat politique » dont il se pense victime en raison d’un changement de stratégie de Sarkozy. Cette affaire « n’a été qu’un prétexte pour habiller un changement de ligne politique », poursuit-il, profitant de l’occasion pour dire tout le bien qu’il pense de la nouvelle campagne de l’ex-chef de l’État : « La mayonnaise ne prend pas. Il est seul. Y a plus de jus. Plus rien. (…) Les choses sont maintenant claires : il sera mort politiquement avant de l’être judiciairement. »
Pour les ennemis – de plus en plus nombreux – de l’ancien président, les affaires sont les seuls ingrédients qui pourraient désormais pimenter le scénario du retour de Sarkozy. Car pour le reste, c’est toujours la même chose. Non seulement le film est mauvais, mais en plus, son visionnage nous est imposé deux fois. Cette histoire de président qui se pensait sur le boulevard de la victoire, voit que sa campagne n’intéresse finalement que les réverbères et choisit en cours de route de bifurquer sur le chemin tortueux de l’ultra-droitisation, n’a certes rien de passionnant. Mais à force d’être diffusée, elle a toutes les chances de devenir un classique.
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