Foule des grands jours, ce mercredi à la XVIIe chambre correctionnelle de Paris, spécialisée dans les affaires de presse. On juge l’ancienne « plume » de Nicolas Sarkozy et actuel député (UMP) des Yvelines Henri Guaino, venu pour l’occasion avec une quinzaine de collègues de son parti, plus goguenards que silencieux sur les bancs du public. On reconnaît notamment David Douillet, Georges Fenech, Alain Marsaud, Jacques Myard et Patrick Ollier, parmi cet échantillon de la droite parlementaire ne supportant les juges que lorsqu’ils condamnent les gueux (Patrick Balkany était absent). On remarque aussi quelques avocats proches de l’UMP, dont Thierry Herzog, ancien défenseur et ami proche de Nicolas Sarkozy (tous deux sont mis en examen dans l’affaire Bismuth-Azibert).
Costume gris impeccable, grand sourire, micro à la main, Henri Guaino lui-même semble aussi à l’aise que pour une remise de décoration. Pourtant, le député est renvoyé par le parquet de Paris pour deux délits assez sérieux : avoir « cherché à jeter le discrédit sur une décision de justice » (article 434-25 du Code pénal) et « outrage à magistrat » (article 434-24).
Au lendemain de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse », prononcée le 21 mars 2013 dans l’affaire Bettencourt (avant un non-lieu rendu en sa faveur le 7 octobre), Henri Guaino avait parcouru plateaux de télé et studios de radio pour vitupérer une « accusation insupportable », « grotesque », une « décision irresponsable » d’un juge, Jean-Michel Gentil, qui aurait « déshonoré les institutions et déshonoré la justice ».
Ce contre-feu des sarkozystes n’avait rien de spontané. L’ex-chef de l’État n’avait pas contesté sa mise en examen elle-même, mais avait envoyé ses lieutenants guerroyer sur le front médiatique. Et qu’importe si cette mise en examen avait été décidée collégialement par trois juges d’instruction, et qu’on ignore toujours si Jean-Michel Gentil y était favorable ou s’il a dû plier face à ses deux collègues. Il fallait bien cibler un bouc émissaire, comme l’ont aussi montré les insinuations sur la partialité d’un médecin-expert qui était amie du même juge.
Les faits, ce n’est pas le sujet d’Henri Guaino. Sûr de lui face au tribunal, le député dit ignorer ce que recouvre les délits d’outrage et de discrédit sur une décision de justice. Il préfère revendiquer fièrement sa « liberté d’expression » et son « droit d’indignation ». Le pouvoir législatif dans toute sa splendeur, qui tient l’autorité judiciaire pour chose négligeable et préfère les magistrats aux ordres. À en croire Henri Guaino, il faut se garder de la « tyrannie judiciaire » et dénoncer les « abus de pouvoir ». Visiblement peu au fait de la procédure pénale, comme du dossier Bettencourt, il estime néanmoins que son mandat s’exerce partout, pas seulement dans l’hémicycle, et que sa liberté de parole doit être absolue.
Le débat pourrait être intéressant si Henri Guaino et son avocat ne se livraient pas à des provocations répétées vis-à-vis des magistrats, et s’ils n’étaient pas venus là pour instruire le procès de la justice. Ils feignent, par exemple, d’ignorer que l’ensemble de la procédure Bettencourt a été validée par la cour d'appel de Bordeaux puis par la Cour de cassation, et agitent le spectre de graves « irrégularités » qu’aurait commises un seul des trois juges. Le même, bien sûr.
Témoin au procès, Christophe Régnard, l’ancien président de l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire), explique à la barre l’émotion et la colère ressenties alors dans la magistrature après ces sorties violentes du député Guaino. « Quand il n’y a plus de respect ni pour la justice ni pour les magistrats qui la rendent, il n’y a plus de République », lâche-t-il. Cité à dessein par Henri Guaino, Christophe Régnard est malmené par l’avocat du député, Éric Dupond-Moretti, qui s’est fait une spécialité de « bouffer » du juge. Ce procès dans le procès, celui des juges, amuse les députés UMP dans la salle, qui rient de bon cœur.
Les avocats du juge Gentil, Rémi Barousse et Léon-Lef Forster, racontent que le magistrat a reçu des menaces de mort, et que sa fille a dû être placée un temps sous protection policière. Ils expliquent les conséquences que peut avoir la violence verbale. Rappellent qu’un juge est tenu par le devoir de réserve, et qu’il doit se dessaisir s’il porte plainte lui-même contre son détracteur. Les stratégies de déstabilisation des juges sont anciennes, et bien connues.
Henri Guaino ne quitte son grand sourire que lorsque ces avocats annoncent le montant des dommages et intérêts demandés par le juge Gentil : 100 000 euros.
Dans un réquisitoire sobre et précis, le procureur rappelle quant à lui que la liberté d’expression n’est totale pour les députés qu’au sein de l’Assemblée (article 26 de la Constitution), estime les deux délits constitués, et réclame une amende de 3 000 euros contre Henri Guaino.
Le jugement a été mis en délibéré après la plaidoirie de la défense; il sera rendu le 27 novembre.
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