Les députés ont achevé, samedi, l’examen des 65 articles du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Il doit être adopté en séance publique mardi après-midi, avant de partir au Sénat, où la perte de la majorité par la gauche promet le rejet du texte. L'Assemblée ayant le dernier mot, il pourrait donc bien peu évoluer.
Cette loi tient-elle les promesses de son titre ? Permet-elle de changer de système énergétique, qui offre aujourd'hui un kilowattheure (kWh) d’électricité moins cher à l’unité qu’ailleurs en Europe et assure un service de même qualité sur à peu près tout le territoire, mais qui est polluant, dispendieux, centralisé, monopolistique, fragilisé par le spectre d’un accident nucléaire et sans solution pour ses déchets ?
Ce texte n’engage pas de révolution économique, industrielle, ni écologique. Pour autant, il n’est pas inconsistant. La future loi comprend même quelques mesures structurelles, très concrètes, qui pourraient réellement réduire la consommation énergétique en France dans les prochaines décennies. Ce n’est pas rien.
Pour s’extraire des réactions politiciennes, et, en pleine débâcle de l’écotaxe, et pour tenter une appréciation de la portée de la loi défendue par Ségolène Royal, les principales innovations du projet législatif peuvent être séparées en deux catégories : réformes structurelles et réformes symboliques.
Au total, on ne décompte que peu de dispositions structurelles positives, contre quelques négatives, de nombreuses réformes de portée symbolique. Et beaucoup de manques. Si bien que la grande loi, l’une des plus importantes du quinquennat avait déclaré François Hollande, semble se réduire à peu de choses.
Dans le projet de loi
- Mesures systémiques positives
1. Obligation de rénovation énergétique dans certains cas
Les travaux d’amélioration de la performance énergétique des logements deviennent obligatoires en cas de ravalement, de travaux de toiture ou d’aménagement de nouvelles pièces. C’est important car aujourd’hui les propriétaires investissent trop souvent dans des opérations sans prendre en compte la dépense en chaleur ou électricité de leur habitation. Résultat : l’amélioration de la qualité du parc, et donc les économies sur les factures de chauffage et d’électricité, sont beaucoup trop faibles. Le logement est aujourd’hui la deuxième source d’émission de gaz à effet de serre, après les transports, en France.
D’autres mesures structurelles vont dans le même sens : d'ici à 2030, tous les bâtiments consommant plus de 330 Kwh par mètre carré et par an doivent avoir été rénovés ; un carnet numérique de santé des bâtiments est créé pour suivre leur état et connaître leur historique (mais généralisé seulement en 2025) ; objectif de rénovation de 500 000 logements par an à partir de 2017, dont la moitié occupée par des ménages modestes.
2. Reconnaissance du tiers-financement
C’est l’une des principales innovations de la loi de transition énergétique : la création d’un système opérationnel de tiers-financement, qui permet aux régions d’avancer aux particuliers le coût de leurs travaux de rénovation thermique, en se remboursant sur les économies d’énergie réalisées. Plusieurs collectivités, dont la région Île-de-France, avaient déjà lancé des opérations de ce type, mais elles se fracassaient jusqu’ici sur le lobby bancaire qui refusait toute atteinte à son monopole d’octroi de crédit (voir notre enquête à ce sujet). La loi résout ce blocage et réduit les délais des procédures d’autorisation par l’autorité de contrôle prudentiel (à deux mois). En revanche, il reste à trouver une solution transitoire pour les projets déjà lancés et aujourd’hui menacés de mise sous cocon.
3. Permis unique pour l’éolien terrestre
La loi généralise l’instruction unique pour les projets d’éolien terrestre, aujourd’hui soumis à des processus administratifs épars et très lents. Cette simplification procédurale doit aussi bénéficier aux installations de biogaz (méthanisation) et aux petits barrages.
Par ailleurs, le texte autorise la participation financière des citoyens à toutes les phases de développement de projets d’énergies renouvelables (alors que jusqu’ici ce n’était possible qu’à leur création). C’est un vrai coup de pouce à l’éolien participatif, qui permet d’associer les riverains aux mâts qui s’installent près de chez eux, et qui en améliore l’acceptabilité. Les communes et leurs intercommunalités pourront aussi participer au capital d’une société anonyme dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables. En revanche, la réforme du système du tarif d’achat, principal mode de soutien aux renouvelables, secteur frappé de plein fouet par les stop and go des politiques publiques depuis 2009, et la création d’un système de marché couplé à l’octroi de primes, suscitent pas mal d’inquiétudes non éteintes par le texte.
4. Obligation d’un plan de mobilité d’entreprises dans les établissements de plus de 100 personnes
Co-voiturage, voitures collectives, affrètement de cars, taxis partagés, prêt de voitures électriques… L’idée est de réduire les déplacements des travailleurs en voitures individuelles et de mobiliser leur employeur afin de leur fournir une alternative adaptée à leurs besoins particuliers, notamment horaires. La loi crée également une indemnité kilométrique pour les trajets domicile-travail réalisés en vélo (avec une baisse des cotisations patronales).
5. Dispositif de suivi des financements
Tous les six mois, un bilan de l’avancée des dispositifs financiers pour la transition énergétique doit être réalisé. Par ailleurs, chaque année, un bilan de l’ensemble des financements publics et privés est également prévu sur le sujet.
- Mesures systémiques négatives
Au moins trois mesures de la loi peuvent entraîner des effets négatifs structurels.
1. L’ouverture au privé des barrages, par le biais de création de sociétés mixtes hydroélectriques, que l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho a dénoncé dès le premier jour d’examen des articles de la loi : « Pourquoi l’État se défait-il de sa principale source d’énergie renouvelable, un véritable trésor national, qui produit une électricité moins chère que le nucléaire », s’inquiète la députée des Deux-Sèvres, selon qui marché, logique de rentabilité financière et transition écologique ne sont pas compatibles. C'est par application d'une directive européenne sur les concessions que les centrales hydroélectriques doivent être ouvertes à la concurrence. Pour se conformer à la libéralisation du marché de l’énergie, la France doit ouvrir, d’ici 2015, 20 % de son parc hydraulique à la concurrence. 49 barrages, regroupés en 10 lots, d’une puissance installée de 5 300 MW, sont concernés, selon le décompte d'Euractiv. Ils sont actuellement pilotés en grande majorité par EDF, le reste par une filiale de GDF Suez.
2. La prise en compte dès 2018 (au lieu de 2020) d’un plafond de CO2dans la mesure de la performance énergétique des logements, qui pourrait se révéler très favorable au chauffage électrique énergivore (voir notre enquête à ce sujet).
3. L'obligation d'équipement des places de stationnement en bornes de recharge pour les voitures électriques. Objectif avant 2030 : au moins sept millions de points de charge de véhicules électriques et hybrides rechargeables, installés sur les places de stationnement des ensembles d’habitations et autres types de bâtiments, ou sur des places de stationnement accessibles au public. Cela risque d’aggraver le problème de pointe du système électrique français, en créant un énorme besoin de courant à certaines heures. Selon les estimations de l’association d’experts Negawatt, une voiture électrique branchée en mode de recharge rapide (20 minutes environ) nécessite autant de puissance que tout un immeuble.
- Mesures symboliques
Toutes ces mesures ne sont pas anecdotiques, loin de là. Mais elles portent soit sur des délais de mise en œuvre qui dépassent le mandat présidentiel de François Hollande et donc contraignent peu la politique de l’exécutif actuel. Soit elles concernent des mesures concrètes mais ponctuelles ou périphériques par rapport à l’ensemble du système français. Leur contribution à une véritable transition peut donc être relativisée.
1. Objectifs sur les gaz à effet de serre et la dépense énergétique
50 % de nucléaire en 2025 dans la production d’électricité (contre 75 % aujourd’hui) ; division par deux de la consommation d’énergie d’ici 2050 et création d’une étape intermédiaire en 2030 visant à la réduire de 20 % ; baisse de 30 % de la dépense en énergies fossiles en 2030 ; atteindre 32 % d’énergies renouvelables dans la production d’énergie en 2030 : baisser de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990), et les diviser par quatre en 2050.
2. Interdiction des sacs et couverts en plastique
À partir de 2016, les sacs en plastique à usage unique seront interdits (cela vise les rayons frais : fruits et légumes, boucherie, poissonnerie), tandis que la vaisselle en plastique jetable devrait l’être à partir de 2020. Ils devront être recyclables et compostables.
3. Création d’un chèque-énergie pour les ménages modestes
Ce chèque-énergie, sous condition de ressources, doit servir à payer les factures énergétiques mais aussi les travaux de rénovation. Aujourd’hui, les tarifs sociaux sont réservés aux consommateurs d’électricité et de gaz (ni fioul, ni bois).
Il est prioritaire d’aider les ménages aux revenus modestes à échapper à la précarité énergétique qui rend malades et tue les plus vulnérables. Mais cette proposition de chèques-énergies reste floue tant que l’on n’en connaît ni le montant, ni les critères d’attribution. Surtout, ils ne permettent pas d’agir sur la cause de la précarité énergétique : des habitations très mal isolées. Or selon le tout dernier rapport de l’Observatoire national de la précarité énergétique, au moins 5 millions de Français ont du mal à se chauffer. On est très loin de ce que proposait la synthèse du débat national sur la transition énergétique (enjeu n°3), qui préconisait de rénover en priorité les logements des ménages en situation de précarité, à hauteur de 330 000 habitations par an (130 000 dans le parc social et 200 000 dans le privé).
4. Condamnation de l’obsolescence programmée
La loi crée le délit d’obsolescence programmée dans le code de la consommation.
5. Réduction des déchets
Objectifs de réduire de moitié les quantités de déchets mis en décharge, et de recycler 60 % des déchets en 2025. C’est significatif mais on ne sait ni comment ni par qui cela sera mis en œuvre.
Mesures absentes du projet de loi
Pour être sérieusement apprécié, le projet de loi doit être analysé dans son contexte, exercice cruel.
- Mesures systémiques
1. Disparition de l’écotaxe
C’est la plus grosse faille de la loi : être votée alors que l’écotaxe (votée par une loi du même type, celle du Grenelle de l’environnement en 2008) est ajournée sine die par Ségolène Royal. Matthieu Orphelin, porte-parole de la fondation Nicolas Hulot, s'en fait l'écho : « Il y a des avancées intéressantes dans le projet de loi mais elles sont écrasées par l'abandon de l’écotaxe. » Concrètement, rien n’est mis en place pour organiser le report du transport de marchandises vers le ferroutage et le fluvial. Ni pour relocaliser la production agro-alimentaire. Aucune source de financement n’est identifiée pour remettre en état les transports collectifs ou même permettre de sauver RFF, la filiale de la SNCF. D'une manière générale, la loi contient très peu d’articles sur les transports.
2. Pas de plan d’action précis pour réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité
La loi se contente de plafonner la puissance nucléaire installée à son niveau actuel, 63,2 gigawatts (GW), ce qui oblige à fermer au moins une tranche lorsque ouvrira l’EPR de Flamanville. Mais elle n’organise pas la fermeture des réacteurs nécessaires à la mise en œuvre de l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025 : elle se contente de renvoyer ces décisions à une programmation pluriannuelle énergétique (PPE), adoptée par le seul gouvernement et par décret. Rien aujourd’hui ne permet le respect de cet objectif. Autre exemple de faille : les députés ont rejeté l’amendement des écologistes limitant à 40 ans la durée de vie des centrales nucléaires, mécanisme dont l’automaticité aurait garanti la cessation d’activité des réacteurs et leur planification.
3. Baisse du budget du ministère de l’écologie et de l’énergie
Le ministère de l’écologie et de l’énergie subit l’une des plus fortes baisses budgétaires dans le projet de loi de finances 2015 : les crédits de paiement du ministère (hors programme d'investissement d'avenir et contribution de l'État aux pensions) vont passer de 7,1 milliards d'euros en 2014 à 6,7 milliards d'euros en 2015. Soit une baisse de 5,8 %. En 2014, le budget du ministère de l'écologie avait déjà été réduit de 6,5 % par rapport à 2013.
Cette déperdition de moyens s'inscrit dans une tendance à la baisse plus ancienne, qu’avait dénoncée Delphine Batho, ce qui lui avait coûté son poste. Le projet de loi ne crée aucune source de financements pour la transition énergétique, et repose au bout du compte en grande partie sur les crédits d’impôts et prêts à taux zéro. Le crédit d'impôt en faveur de la transition énergétique et la rénovation du bâtiment est renforcé en 2015, son taux passant à 30 %.
La Caisse des dépôts dispose d’un fonds de 5 milliards d’euros qui doit servir à abonder des prêts bonifiés en direction des collectivités locales. La Banque publique d'investissement va aussi participer à l'effort à travers des crédits aux entreprises.
Mais c’est bien loin de la dizaine de milliards d’euros, au minimum, que les experts avaient estimé nécessaire lors du débat national sur la transition énergétique.
4. Pas d’alignement du diesel sur l’essence
La loi maintient l’avantage fiscal du diesel sur l’essence, malgré ses conséquences désastreuses pour la santé publique (voir ici notre enquête).
5. Pas d’interdiction des hydrocarbures non conventionnels
La loi de transition énergétique n’ajoute rien à la loi Jacob de 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Cette ligne rouge correspond à la position de l’exécutif : pas d’exploitation ni d’exploration des gaz de schiste. Pourtant, des permis de recherche pour des hydrocarbures qui pourraient se révéler non conventionnels sont en cours d’examen par l’État et pourraient être acceptés. Une forte ambiguïté juridique demeure donc bien en France sur la possibilité ou non de forer des gaz de schiste. La seule interdiction de la technique de la fracturation hydraulique se révèle insuffisante à en écarter la perspective.
Le projet de loi ne dit rien non plus sur l’arrêt des grands projets routiers et aéroportuaires (donc rien concernant Notre-Dame-des-Landes).
- Mesures symboliques
La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim ne figure pas dans le projet de loi, et aucune autre tranche de fermeture n’est annoncée.
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Cet article a été complété lundi 13 octobre vers 10h30 pour compléter le paragraphe sur la l'ouverture à la concurrence des barrages.
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