L’écotaxe est morte. La ministre du développement durable, Ségolène Royal, et le secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies, ont annoncé sa suspension jeudi 9 octobre à l’issue d’une rencontre avec les fédérations des transports routiers. « Le dispositif de l’écotaxe est suspendu sine die », ont-ils annoncé dans un communiqué commun. Même si l’enterrement de cette taxe poids lourds n’est pas officiellement prononcé, la décision est sans ambiguïté pour les observateurs : l’écotaxe, dans sa forme actuelle, ne se relèvera pas de ce nouveau report.
C’est la mesure qu’attendaient les transporteurs routiers. Le ton avait nettement monté entre le gouvernement et les fédérations de transports routiers ces derniers jours. Après avoir eu des positions divergentes sur le sujet, toutes s’étaient ralliées à un même mot d’ordre : obtenir l’enterrement définitif de l’écotaxe. La Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), principale fédération des transporteurs routiers, avait appelé à une mobilisation de ses adhérents le 13 octobre dans plusieurs régions. De son côté, l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), qui regroupe les petites sociétés de transports et est très en pointe sur le sujet depuis le départ, menaçait de lancer un mouvement national de grande ampleur à partir du 17 octobre. En début de semaine, Ségolène Royal avait appelé « les transporteurs à se calmer un peu » avant de céder à leur demande. À la sortie de leur réunion avec la ministre, les transporteurs ont annoncé la levée de leur mouvement.
Pour le gouvernement, l’enterrement de l’écotaxe ressemble à une reculade de plus. Les écologistes ont été les premiers à s’indigner. « Je suis scandalisée que dans ce pays, le jour où l'on discute de la loi sur la transition énergétique, on ne soit pas capable d'avoir des mesures fortes pour lutter contre la pollution de l'air et d'avoir d'autres pratiques en matière de trafic routier (…). Qui va payer pour la pollution de l'air ? Pour l'entretien des routes ? (...) Ça va être encore les consommateurs, les citoyens et les automobilistes », s’est indignée Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts. L’ancien secrétaire d’État aux transports, Frédéric Cuvillier, qui s’était beaucoup mobilisé pour permettre la mise en place de la taxe poids lourds, s’est fendu d’un tweet vengeur pour commenter la décision de la ministre de l’environnement. « Un abandon qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses », déclarait-il.
Même si elle apparaît comme une marche arrière face à la menace des transporteurs, la suspension de l’écotaxe convient très bien à Ségolène Royal. Dès sa nomination, la ministre de l’environnement, soulignant qu’elle héritait avec ce dossier d’une sacrée « patate chaude », avait dit son opposition à cette taxe. « Je suis contre une fiscalité écologique punitive », avait-elle expliqué. Elle avait semblé avoir perdu sur cette question dans les arbitrages gouvernementaux. Après le rapport de l’Assemblée nationale insistant sur la nécessité de conserver la taxe poids lourds, après le rapport du Sénat enterrant la question d’Ecomouv, la société privée chargée de percevoir l’écotaxe, Matignon avait tranché en faveur du maintien de l’écotaxe, renommée taxe transit poids lourds, mais selon un périmètre révisé : le réseau taxable était abaissé à 4 300 kilomètres au lieu des 15 000 kilomètres prévus précédemment.
Mais en coulisses Ségolène Royal, semble-t-il, a poursuivi son combat contre la taxe poids lourds. « Je ne renonce jamais », a-t-elle dit en annonçant la fin de l'écotaxe. « Les dispositifs législatifs pour la mise en place de la nouvelle taxe transit poids lourds n’ont pas été signés », remarque un connaisseur du dossier. Le 26 septembre, le nouveau secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies, annonçait un nouveau report de la taxe. Initialement prévue au 1er janvier 2015, elle était repoussée aux « premiers mois de 2015 », sans plus de précision.
Cette décision n’était pas seulement liée à des motifs politiques mais techniques. Alain Vidalies expliquait qu’il y avait besoin de nouvelles expérimentations, de nouvelles marches à blanc pour tester le système. « En fait, on ne sait toujours pas si le système mis en place par Ecomouv fonctionne ou pas. Le ministère s’est toujours refusé à nous donner les résultats des deux premières marches à blanc qui ont été menées en 2013 et qui étaient censées prouver le bon fonctionnement du système. Maintenant, il nous demande de reprendre les expérimentations pour voir si le système fonctionne. Ce sera sans nous », prévenait Gilles Mathelié-Guinlet, secrétaire général de l’ORTE, le 7 octobre, avant l’annonce de la suspension de l’écotaxe.
Pour les transporteurs, la taxe poids lourds, aménagée ou non, n’était de tout façon plus de mise. Même la FNTR, à l’origine pourtant favorable à l’écotaxe, a été obligée de changer de position sous la pression de sa base. La profession était sur une ligne unanime : ils ne voulaient plus de l’écotaxe. Les routiers semblaient prêts à désobéir à la loi s’il le fallait, et à ne pas acheter les équipements nécessaires pour sa perception. « Le dispositif a mis trop longtemps à être mis en place. Ecomouv n’a jamais été capable de livrer son système à temps. Personne n’a compris l’usine à gaz qu’avaient imaginée les pouvoirs publics. Après les Bonnets rouges, quand les modalités du contrat, assurant la moitié de la redevance à une société privée, ont été rendues publiques, plus aucun politique n’a voulu assumer. Il n’y avait plus de dynamique en faveur de cette taxe », résume un connaisseur du dossier.
Au début de la semaine, le gouvernement a commencé à s'inquiéter du mouvement des transporteurs routiers. Mercredi, Ségolène Royal a obtenu "carte blanche" de Matignon pour déminer la situation. Toutes les solutions lui étaient ouvertes, y compris l'abandon pur et simple de l'écotaxe.
Pour les partisans d’une fiscalité écologique, sur le principe du pollueur-payeur, le renoncement à l’écotaxe est une occasion ratée. Dans les faits, cependant, l’écotaxe avait été totalement dénaturée et n’avait plus rien à voir avec la fiscalité écologique. L’administration s’était emparée du dispositif, pour repeindre en vert une taxe nouvelle afin de payer les infrastructures routières. Le témoignage de Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures et grand maître de l’écotaxe du début à la fin, devant la commission sénatoriale, était à cet égard tout à fait édifiant : l’administration voulait se garantir un milliard d’euros par an. Tout le système avait été bâti en fonction de ce résultat (voir les calculs de la haute administration).
Lors des négociations, les transporteurs avaient obtenu mille aménagements. Outre un allègement de la taxe à l’essieu, et l’autorisation d’utiliser des camions de 44 tonnes, jusque-là interdits, il leur avait été assuré que l’écotaxe serait neutre pour eux, une simple ligne supplémentaire sur leur facture de transport. L’écotaxe s’était transformée en une taxe sur les transports payée par les consommateurs. Comme l’avait relevé Ségolène Royal, lors de son audition au Sénat, la taxe allait être imposée sur tous les transports. Même les transports ferroviaires ou fluviaux devaient y être soumis. On était vraiment loin de la fiscalité écologique.
Le fait que l’écotaxe soit devenue une simple taxe pour payer les infrastructures routières est évident au vu des dernières décisions gouvernementales. Quand il est devenu manifeste que l’écotaxe, au mieux, ne serait mise en œuvre qu’au milieu de l’année 2015, des financements de substitution ont tout de suite été recherchés pour compenser le manque à gagner. Dans le projet de loi de finances 2015, une hausse de 2 % sur la taxe liée au diesel est prévue à partir du 1er janvier 2015, afin de contribuer au financement des infrastructures de transport. Cette taxe ne sera que pour les ménages. Les transporteurs routiers en seront dispensés !
« L’abandon de l’écotaxe laisse une ardoise de 3 milliards d’euros », dénonce France Nature environnement, insistant sur les nouveaux cadeaux faits au transport routier. Les syndicats de transporteurs contestent cette vision, y compris l’augmentation de la taxe sur le diesel. « On a choisi avec l’augmentation de la taxe sur le diesel la solution de facilité plutôt que regarder d’autres solutions », dit Gilles Mathelié-Guinlet. « Cela fait des mois que nous avons avancé des alternatives à l’écotaxe. Mais jusque-là, on n’a jamais voulu nous entendre. Il est normal que les transporteurs participent au paiement des infrastructures de transport. Mais il faut remettre tout à plat, savoir qui paie quoi. Ce que nous demandons, c’est un financement simple, clair et transparent. » La FNTR semble désormais aussi sur cette ligne.
Dans leur communiqué commun, Ségolène Royal et Alain Vidalies insistent sur leur volonté de dialogue. « Un groupe de travail de coconstruction d'une solution se mettra en place, la semaine prochaine, avec toutes les parties prenantes », annoncent-ils.
Parmi ses propositions, l’ORTE, très sensible à la concurrence à prix cassé des transporteurs de l’Europe de l’Est, milite pour l’instauration d'une vignette pour les camions en transit en France. « Les camions étrangers qui empruntent nos routes ne paient rien pour l’instant. Il est normal qu’ils participent au financement de nos infrastructures », relève le secrétaire général de l’OTRE.
À son arrivée au ministère du développement durable, Ségolène Royal avait avancé la même idée. Elle avait été immédiatement taclée par Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l’écologie du gouvernement Fillon. Cette dernière pointait alors l’ignorance de Ségolène Royal en matière de fiscalité écologique et de droit européen, celui-ci rendant impossible une double imposition (vignette plus péage) pour les transports autoroutiers. Le sujet semble un peu moins simple. Selon certains juristes, l’instauration d’une vignette est tout à fait possible et ne constituerait pas une double imposition avec les péages autoroutiers, ceux-ci ne relevant plus de la fiscalité mais d’une prestation de services depuis 2005.
« Il faudra bien aussi parler de la rente autoroutière », dit également l’OTRE. Le syndicat des transports routiers évoque même jusqu’à la possibilité d’une renationalisation. Le ministère du développement durable avait étudié la question au printemps. Alors que l’État a vendu les concessions autoroutières pour un peu plus de 11 milliards d’euros, les concessionnaires en réclament plus de 30 milliards pour leur rachat ! « Même à ce prix, quand l’argent est à 1,3 %, que les concessions autoroutières dégagent une rentabilité de 25 % par an, cela serait une bonne affaire pour l’État », dit le secrétaire général de ce syndicat des transports routiers.
La haute administration des transports a un avis tout différent. Au printemps, sentant le sort de l’écotaxe incertain, elle a commencé à travailler sur des scénarios alternatifs en vue de trouver des financements pour les infrastructures de transport. Sa solution préférée : un allongement de six ans des concessions autoroutières pour les porter à 30 ans, contre un versement total de 3 milliards d’euros. Un vrai cadeau pour les sociétés autoroutières qui réalisent 6 milliards d’euros de bénéfice par an.
L’Autorité de la concurrence qui, après la Cour des comptes, a fait un nouveau rapport accablant sur la gestion des autoroutes en France, a dit tout le mal qu’elle pensait de cette proposition. Loin de consolider cette rente indue, il faut au contraire la casser, selon elle. Ségolène Royal est manifestement sur la même longueur d’onde. Interrogée jeudi après-midi lors d’une conférence de presse sur les conséquences de la fin de l’écotaxe et les financements de substitution pour aider à en finir avec le tout routier, la ministre a directement visé les sociétés autoroutières : « La priorité est de prendre sur les profits d'autoroutes. Ce prélèvement doit avoir lieu. Il y a un côté un peu choquant à voir les sociétés d'autoroutes en situation de monopole faire autant de profits », a-t-elle déclaré. Elle a indiqué avoir écrit au ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour lui demander d’accélérer les discussions avec elles.
Reste une dernière question liée à la disparition de l’écotaxe : le sort d’Ecomouv. La disparition de la taxe poids lourds condamne de facto la société, formée dans le cadre d’un partenariat public-privé, qui était chargée de percevoir la taxe. Lors des auditions devant la commission d’enquête du Sénat, les promoteurs de ce partenariat public-privé avaient tous lourdement insisté sur le coût d’une rupture de contrat ou de l’abandon de l’écotaxe pour les finances publiques. Ils chiffraient le prix du dédit, en cas de la disparition de la taxe poids lourds, entre 800 à 900 millions d’euros à payer à la société Ecomouv. Autant dire qu’il valait mieux renoncer à l’idée tout de suite.
Depuis la fin des commissions parlementaires, le gouvernement est resté très silencieux sur cette question d’Ecomouv. Selon nos informations, un protocole d’accord aurait été négocié cet été entre l’État et la société pour à la fois estimer les pénalités de retard et fixer un prix en cas d’abandon de l’écotaxe. Le protocole signé prévoirait un dédit de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros pour la société Ecomouv et de 100 millions pour les sociétés de télépéage, chargées de fournir les boîtiers pour équiper les camions. Même si c’est moins que la somme annoncée, cela fait encore énormément d’argent pour un système dont on ne saura jamais s’il fonctionnait, et pour une société qui a bénéficié d’un contrat léonin.
La facture risque de disparaître dans le grand tout de la dette publique, sans que l’on cherche à en savoir plus sur les responsabilités de ce désastre. C’est en tout cas le pari que font certains. D’autres font le pari inverse. « Maintenant que l’écotaxe est morte, les langues vont se délier. On va en savoir plus sur ce système obscur et catastrophique », pronostique un familier du dossier. Peut-être…
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