Pour la première fois, une étude scientifique démontre la discrimination à l’œuvre dans l’attribution des logements sociaux. À partir des milliers de données issues de l’enquête Logement 2006 de l’Insee, les économistes Pascal Favard (Université François-Rabelais de Tours), Liliane Bonnal (Université de Poitiers) et Rachid Boumahdi (Toulouse 1) ont déterminé les caractéristiques qui font qu’un ménage accède plus ou moins rapidement à un logement HLM. Le résultat confirme et va même au-delà de ce que des sociologues et des associations pointent depuis des années par leurs observations : les personnes issues d’une immigration non européenne sont lourdement désavantagées. Et des publics en théorie considérés comme prioritaires, à savoir les plus démunis ou les femmes seules avec des enfants, sont mal traités.
Commençons par la discrimination la plus forte, celle qui touche ce que les auteurs de l’étude appellent « les ménages non-européens ». Sous cette appellation sont désignés tous les ménages dont le chef de famille est de nationalité non-européenne ou bien de nationalité française avec au moins un des deux parents de nationalité non-européenne. Donc les immigrés des 1re et 2e générations.
Résultat : la probabilité d’obtenir un logement au cours du premier mois est d’environ 10 % pour les « Européens » et de 1,5 % pour les non-Européens. Au bout d’un an, les Européens ont près de 50 % de chances que leur demande ait abouti, contre 15 % seulement pour les non-Européens. La probabilité d’attendre plus de 5 ans est de 35 % pour les Européens ; de près de 70 % pour les non-Européens.
Ces calculs, rappellent les auteurs, sont faits « toutes choses égales par ailleurs » : on ne compare que des ménages qui présentent, en dehors de leur origine, des caractéristiques identiques.
Visiblement choqués au vu des objectifs assignés au logement social, les chercheurs, dont l'étude jusque-là passée inaperçue date de plusieurs mois, ont publié un résumé de leurs travaux il y a quelques jours sur le site telos-eu.com dans l'espoir de susciter un débat public. Car en théorie, les situations sociales, économiques et financières sont les seuls critères qui doivent être pris en compte dans l’attribution des logements. Mais les travaux de ces trois économistes viennent confirmer encore plus finement ce que les chercheurs Patrick Simon et Thomas Kirszbaum avaient analysé dès 2001 pour le compte du GELD (Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations).
À l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui représente quelque 760 organismes HLM, Marianne Louis tente de minimiser : « La discrimination reste marginale. On compte deux fois plus de locataires étrangers dans le parc social que dans les logements privés. On est quand même beaucoup plus ouverts. »
L’USH rappelle que suite à une condamnation d’un office HLM à Saint-Étienne en 2009 pour « discrimination raciale et fichage ethnique des locataires et demandeurs de logements », un cahier rédigé en partenariat avec la Halde (ex-Haute autorité des luttes contre les discriminations) a été envoyé aux bailleurs pour mieux lutter contre ces inégalités. Marianne Louis insiste : « Nous devons prendre en compte beaucoup de critères différents. On manque de logements, et des dossiers sont prioritaires à différents titres, il faut faire des choix. Mais je vous garantis qu’il n’y a pas de culture de la discrimination dans les organismes HLM. »
Mediapart, à travers l’exemple du maire (UMP) du Plessis-Robinson, Philippe Pemezec, a déjà montré comment une ville pouvait volontairement éviter de loger certains habitants à l’origine indésirable.
Cependant, pour Thomas Kirszbaum, un des auteurs de l’étude de 2001, le travail des sociologues révèle autre chose : « Aujourd’hui comme hier, il ne s’agit pas de dire qu’il existe une intentionnalité de discriminer, ni de pointer des dérapages individuels. Nous parlons de discrimination systémique. La logique est impulsée par un système de gestion financier, administratif et politique. Or le monde HLM est dans le déni des discriminations, il refuse de s’interroger comme deux autres institutions pourtant déterminantes pour les immigrés : la police et l’éducation nationale. Tous trois refusent de se demander pourquoi ils produisent des inégalités raciales. »
De leurs travaux de terrain, la sociologue Valérie Sala Pala (Université Jean-Monnet de Saint-Étienne) et d'autres rapportent les stéréotypes ethniques véhiculés par certains salariés des bailleurs. Les immigrés sont désignés comme « inadaptés », fauteurs de troubles, cumulant les difficultés sociales et économiques : «Ils occupent leur logement comme au bled » ; « ils vont pourrir le logement ».
L’immigré est plus ou moins consciemment assimilé au « mauvais candidat ». Le « bon » étant celui qui se comporte en « bon père de famille » et en « bon payeur discret ».
Or les commissions ont plus de choix dans leurs attributions, surtout dans des régions comme l'Île-de-France. Environ 1,2 million de Français sont en attente d'un logement social, où les loyers sont en moyenne de 37 % inférieurs à ceux du privé. Bien sûr, il ne faut pas dépasser un certain plafond de revenus pour prétendre à un logement HLM. Mais entre 60 et 70 % des Français entrent dans les critères permettant de postuler.
Que démontrent Pascal Favard, Liliane Bonnal et Rachid Boumahdi ? Les ménages les plus modestes, pour lesquels les logements sociaux ont été pensés, « ne sont pas prioritaires ». Même punition pour les familles nombreuses et monoparentales supposées mettre davantage le « bazar » dans les parties communes.
Les travaux de terrain le montrent : les postulants « à risque » sont écartés pour satisfaire à l'objectif du bailleur social – « zéro vacant, zéro impayé, zéro trouble de voisinage ».
Afin de mieux comparer les classifications réalisées de fait par les commissions d'attribution, les deux économètres ont créé deux catégories : les ménages défavorisés et les ménages favorisés. Au bout du compte, un couple favorisé, sans enfant, dont le chef de ménage est français, diplômé de l’enseignement supérieur, fonctionnaire, percevant un salaire de plus de 20 000 euros par an par unité de consommation et sans problème de loyer attendra en moyenne un peu plus de deux ans un logement HLM, contre un peu plus de 5 ans pour un couple défavorisé, dont le chef de famille est de nationalité non-européenne, sans diplôme, en situation de chômage, ayant des revenus inférieurs à 10 000 euros par an par unité de consommation et ayant connu des problèmes de paiement de loyer.
Aujourd’hui comme hier, le monde HLM justifie ses choix par un impératif de mixité sociale, par la volonté de ne pas créer de ghettos. Marianne Louis rappelle aussi que les bailleurs sociaux ne décident que d’une partie minoritaire des dossiers présentés en commission d’attribution. La préfecture, la commune, les entreprises (via le 1 % logement) présentent leurs propres candidats, et l’étude ne dit pas qui discrimine le plus.
C'est vrai. Le résultat d’ensemble est cependant saisissant. Au ministère du logement, on assure avoir pleinement conscience de la problématique. On rappelle que l’objectif de construire plus de logements sociaux devrait permettre de satisfaire plus de personnes. On insiste surtout sur le fait que la loi Duflot 2 à venir devrait simplifier le cheminement de l'attribution et imposer plus de transparence dans les choix.
À moyen terme, l’objectif du ministère est aussi de mettre en place le « scoring », un outil inspiré de la méthode rennaise. Chaque critère (ancienneté, foyer sous le coup d’une procédure d’expulsion, etc.) donnerait un nombre de points précis, à déterminer. Tout en gardant une souplesse d’appréciation, le dispositif permettrait d’objectiver les décisions d’attribution. Une expérimentation devrait être lancée dans les prochains mois.
BOITE NOIRELes données de l'étude Logement Insee datent de l'année 2006. Mais il a fallu plusieurs années aux chercheurs pour y avoir accès puis pour les exploiter au cours des années 2011-2012. Leurs premiers travaux sont restés assez confidentiels. Ils ont choisi de les résumer il y a quelques jours sur le site telos-.eu.com afin qu'ils soient connus de tous, qu'ils suscitent un débat et aussi pour que de nouvelles données soient rendues disponibles, non seulement sur les entrées en HLM (les flux) mais aussi sur le stock de personnes y vivant aujourd'hui.
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