Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. Le Front national, qui se présente comme un opposant de longue date au cumul des mandats, ne semble pas vouloir l’appliquer quand il s’agit de ses propre élus. Élus sénateurs dimanche, David Rachline et Stéphane Ravier sont déjà tous deux conseillers régionaux et maires (le premier de Fréjus, le second du 7e secteur de Marseille).
Sur Europe 1, lundi matin, David Rachline a simplement annoncé qu'il renoncerait à son mandat de conseiller régional. Concernant celui de maire, il a répondu au Scan : « Après tout le travail réalisé dans ma commune de Fréjus, il est évident que je reste à la mairie. » Stéphane Ravier va lui aussi abandonner son mandat de conseiller régional.
Au Parlement européen, où le FN a envoyé en juin 23 eurodéputés, il compte également des cumulards. Le cas le plus emblématique est le secrétaire général du FN lui-même, Steeve Briois. Eurodéputé, il est aussi, depuis mars, maire d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) et conseiller communautaire (il n'apparaît plus en revanche dans la liste des conseillers régionaux du Nord-Pas-de-Calais). Steeve Briois a par ailleurs exprimé son mécontentement lorsqu'il a échoué à obtenir en avril une vice-présidence à la communauté d’agglomération d’Hénin-Carvin puis, le 23 septembre, lorsqu'il n'a pas réussi à s'emparer de la présidence du conseil de surveillance de l’hôpital d’Hénin-Beaumont.
Comme l'avait relevé l’Opinion, quatorze eurodéputés frontistes élus en juin étaient aussi conseillers régionaux : Jean-Marie Le Pen et Joëlle Melin (PACA), Marine Le Pen et Sylvie Goddyn (Nord-Pas-de-Calais), Nicolas Bay (Haute-Normandie), Marie-Christine Boutonnet (Champagne-Ardenne), Louis Aliot (Languedoc-Roussillon), Édouard Ferrand (Bourgogne), Jean-François Jalkh et Dominique Bilde (Lorraine), Sophie Montel (Franche-Comté), Bruno Gollnisch, Mireille d'Ornano et Dominique Martin (Rhône-Alpes). D'autres étaient aussi conseillers municipaux : Jean-Luc Schaffhauser à Strasbourg, Louis Aliot à Perpignan, Joëlle Melin à Aubagne, Florian Philippot à Forbach, Marie-Christine Arnautu à Nice, Nicolas Bay à Elbeuf, Dominique Martin à Cluses, Bruno Gollnisch à Hyères.
Des situations en contradiction totale avec les discours de ces mêmes élus. En 2008, David Rachline, alors conseiller municipal d’opposition à Fréjus (Var), raillait dans un communiqué ces « professionnels locaux du cumul » en s’en prenant à deux parlementaires-maires.
Stéphane Ravier, de son côté, a plusieurs fois fustigé les cumulards sur son blog. En septembre 2012, dans un billet intitulé « La gauche sarkozyste : cumuler toujours plus pour gagner plus ! », il relaye un article de la Provence où il est question des « députés récalcitrants » et « des sénateurs qui jouent la montre » sur le non-cumul des mandats. Deux ans plus tôt, il fustige, dans un autre billet, les « cumulards en puissance », il cible particulièrement « Hubert Falco, champion du cumul des mandats », et énumère ses fonctions : « Maire de Toulon, président de la Communauté Toulon-Provence, Secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens combattants, ancien sénateur… »
Steeve Briois, secrétaire général du FN, a lui aussi souvent dénoncé le cumul des mandats de ses adversaires politiques. Exemple le 29 juin 2012, où Briois s’en prend au socialiste Philippe Kemel, maire et député de Carvin (Pas-de-Calais), qui était « opposé au cumul des mandats de maire et de député, sauf s’agissant des villes de moins de 20 000 habitants… comme Carvin par exemple! ».
« Philippe Kemel se ridiculise totalement en tombant dans cette vieille manie des socialistes qui consiste à donner des leçons de morale sans être fichus de se les appliquer à eux-mêmes, comme les bobos qui prônent la diversité et la mixité sociale, mais qui prennent bien soin d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées et vivent dans des quartiers sécurisés ! », écrivait Steeve Briois dans son communiqué, appelant son adversaire « à un peu de décence ».
En 2011, Marine Le Pen, députée européenne et conseillère régionale, avait démissionné du conseil municipal d'Hénin-Beaumont en raison de la loi sur le non-cumul des mandats, tout en qualifiant ce texte « d’assez injuste » et « ayant des effets particulièrement aberrants ».
La position du Front national sur le cumul des mandats avait pourtant le mérite d’être claire. Dans son programme, page 103, on peut lire que le parti souhaite voter « une loi organique » qui, notamment, « rendra impossible le cumul des mandats exécutifs ».
Le 30 novembre 2012, Marine Le Pen avait expliqué à François Hollande être « très favorable » à la règle du non-cumul des mandats de parlementaire et d'exécutif local, et qu’elle espérait « qu'il passe par la voie du référendum pour pouvoir la faire appliquer ». Quelques mois plus tôt, en août 2012, Florian Philippot, vice-président du FN, ne disait pas autre chose, au micro de RMC (écoutez la vidéo ci-dessous à 6'20) : « Nous ne voulons pas d’un cumul entre une position de parlementaire et un exécutif local. Ça, on le dit de manière absolument constante. »
À l’Assemblée nationale, les deux députés frontistes, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, ont voté en janvier en faveur de la loi sur le non-cumul des mandats, qui doit s'appliquer en 2017. À la tribune du palais Bourbon, Marion Maréchal-Le Pen avait raillé ces sénateurs qui ne veulent pas se voir appliquer le non-cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale : « Ils ont ainsi montré leur attachement aux privilèges », lançait-elle.
La députée évoquait « un pas dans la bonne direction » et affirmait que le FN « réclama(it) depuis longtemps cette mesure », notamment pour une question de « disponibilité des élus ». « De nombreux parlementaires cumulent leur mandat avec celui de maire, de président de conseil général ou régional, certains cumulent ces deux mandats avec un troisième comme la présidence d’une intercommunalité, certains cumulent ces trois mandats avec une responsabilité importante dans un parti politique qui peut même être celle de président et certains cumulent même ces quatre fonctions avec un peu de conseil comme avocat par exemple, histoire de tuer un petit peu le temps. Comment sérieusement peut-on se consacrer à autant de mandats sans déléguer à outrance ? Personne n’a le don d’ubiquité (...). Il en va du respect de ses électeurs et de la performance de son travail », déclarait Marion Maréchal-Le Pen, en dénonçant « l’égo de certains élus qui souhaitent verrouiller leur circonscription pour tout contrôler ».
De son côté, Gilbert Collard affirmait en janvier que le cumul était mauvais pour le renouvellement des représentants politiques et le qualifiait de « dangereux » (voir la vidéo de son intervention). « Je crois qu’il est vital que nous ouvrions le partage démocratique, que l’on puisse permettre en interdisant le cumul à des hommes et à des femmes d’accéder à des fonctions qui leur sont interdites parce qu’il y a le cumul », disait-il.
Lundi, le député a réagi à notre article:
#Mediapart:nos deux sénateurs ne respectent pas le non cumul qui n'est pas encore en vigueur.On devrait être les seuls cocus du non cumul.
Interrogée lundi sur Europe 1 quant à cette contradiction, Marine Le Pen a répondu qu'elle ne voyait pas d'« incohérence de notre part. Nous avons clairement dit que nous étions contre le cumul des mandats mais nous appliquerons le non-cumul quand les autres se l'appliqueront eux aussi ». « Nous sommes confrontés à des mouvements politiques qui sont beaucoup plus puissants que nous (...). Alors oui, pour faire entendre la voix des millions de Français que nous représentons, nous ne ratons aucune occasion », a-t-elle ajouté.
De son côté, Steeve Briois justifie ce matin le cumul des mandats des deux sénateurs FN : « C’est plus crédible de mettre en tête de liste un élu dans un exécutif qu’un simple militant. (...) C'est normal que nous mettions en avant nos élus brillants ayant fait preuve de réussite. Si MM. Ravier et Rachline ont été élus, c'est parce qu'ils sont plus crédibles que n'importe qui ». « La loi l’autorise pour l’instant, nous devrions être les seuls à appliquer quelque chose qui n’est pas encore applicable ? », interroge-t-il.
BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé lundi 29 septembre à 15h15 avec l'annonce par Stéphane Ravier de l'abandon de son mandat de conseiller régional, puis à 16h avec le tweet de Gilbert Collard réagissant à notre article.
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