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Sarkozy-Kadhafi: l’enquête judiciaire conforte le document de Mediapart

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« Sur la Libye, les juges savent que les documents sont faux », a déclaré, péremptoire, Nicolas Sarkozy la semaine dernière dans Le Journal du Dimanche à propos du document officiel libyen, publié par Mediapart, sur le financement de sa campagne présidentielle de 2007. Cela semble clair et net. L’ancien président fait croire qu’il a l’information. Et pourtant, c’est tout le contraire. Les juges, partis sur la trace du document à la suite de la plainte pour « faux » déposée par Nicolas Sarkozy, ont justement accumulé ces derniers mois de nombreux éléments qui confortent son authenticité.

Saisie de l’enquête, la gendarmerie a rendu, le 7 juillet dernier, un rapport de synthèse des auditions de membres des corps diplomatique et militaire auxquelles ils ont procédé. « De l’avis unanime des personnes consultées, le document publié par Mediapart présente toutes les caractéristiques de forme des pièces produites par le gouvernement libyen de l’époque, au vu de la typologie, de la datation et du style employé. De plus, le fonctionnement institutionnel libyen que suggère le document n’est pas manifestement irréaliste », peut-on lire dans le rapport signé par un capitaine de la section de recherches de Paris.

Dans la cour de l'Elysée en décembre 2007.Dans la cour de l'Elysée en décembre 2007. © Reuters

Entendu le 29 juillet, Bernard Squarcini, ex-directeur de la DCRI, qui avait déclaré au Nouvel Observateur qu’il s’agissait d’un « faux grossier », a finalement indiqué aux juges que c’était une « hypothèse » de sa part. « Je ne lis pas l’arabe et ne peux donc faire aucun commentaire ni sur le fond ni sur la forme, si ce n’est que les couleurs me rappellent vaguement les documents libyens que j’ai pu voir », a dit Squarcini. Ce proche de l’ancien président a en outre précisé qu’aucune enquête ou vérification n’avait été entreprise par son service, contrairement à ce que plusieurs médias avaient rapporté. « Il n’y a pas eu de rapport sur ce document établi par la DCRI, d’une part car il était hors de la compétence du service, et surtout parce que nous n’avions pas les compétences techniques, notamment linguistiques, pour analyser ce document. »

Autre avancée dans l’enquête, les juges se sont rendus, le 5 août, au Qatar, pour y entendre l’ancien ministre Moussa Koussa, également ex-directeur des services secrets extérieurs, dont la signature figure sur le document publié par Mediapart. Tout en contestant l’avoir signé, il a choisi de donner du crédit au document. « Le contenu n’est pas faux, mais la signature est fausse », déclare-t-il. « Ce n’est pas moi qui ai signé. »

« Qu’est-ce qui n’est pas faux dans ce document ? » lui demandent alors les juges. « Son origine, son contenu, c’est ça, répond-il. Le contenu de ce document, c’est ça qui est dangereux. C’est à vous de savoir si c’est un faux ou un vrai. Je ne vous ai pas dit que c’était faux ou pas. Il y a ce qui est mentionné dans ce document et quelqu’un qui a mis une fausse signature en dessous, à vous d’enquêter. »

Moussa Koussa, ancien ministre et directeur des services secrets libyens.Moussa Koussa, ancien ministre et directeur des services secrets libyens. © Reuters

Le document faisait « référence aux instructions émises par le bureau de liaison du comité populaire général », et à « l’accord de principe (…) d’appuyer la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles, Monsieur Nicolas Sarkozy, pour un montant de cinquante millions d’euros ».

Or, lors de son audition par les juges, Moussa Koussa attribue la paternité du document au secrétaire général du comité populaire général, alors premier ministre, Baghdadi Ali al-Mahmoudi. « Mahmoudi a fait le document, qui est parti après la révolution (le premier ministre s'était réfugié en Tunisie -ndlr), déclare Koussa. Vous me demandez de quels éléments je dispose pour le mettre en cause, c’est parce qu’on vivait ensemble, je veux dire par là que je le connaissais très bien. Vous me demandez si je dispose d’éléments pour le mettre en cause : oui, j’en ai, mais ne m’introduisez pas dans cette histoire. »

Si l’on suit M. Koussa, ce document a donc bien été établi au moment des faits, par les plus hautes autorités de l’État libyen. Actuellement détenu en Libye, Baghdadi Ali al-Mahmoudi a lui même déclaré à la justice tunisienne avoir coordonné le paiement d’une partie des fonds destinés à Nicolas Sarkozy. La note annonçant un feu vert, « l’accord de principe », pour le paiement était adressée au président d’un des fonds souverains libyens, le Libyan African Portfolio (LAP) – alors Bachir Saleh, directeur de cabinet de Kadhafi –, réputé pour avoir été l’un des leviers de corruption internationale de l’ancien régime.

Moussa Koussa a par ailleurs déclaré avoir « découvert ce document aujourd’hui », avec les juges, alors que les médias français ont plusieurs fois fait état de son démenti. Il a aussi été prié d’authentifier sa signature, apparaissant sur sa demande de carte de séjour obtenue en juin 2008, puis sur un formulaire de renouvellement en avril 2011, mais il a déclaré qu’il ne s’agissait pas non plus de sa signature.

Dans la cour de l'Elysée en décembre 2007.Dans la cour de l'Elysée en décembre 2007. © Reuters

L’enquête de la gendarmerie s’est par ailleurs penchée sur les caractéristiques techniques du document lui-même. Entendu le 25 mars, l’ancien officier Patrick Haimzadeh, qui fut deuxième conseiller de l’ambassade de France à Tripoli (2001-2004) chargé des questions militaires, a offert aux gendarmes le témoignage le plus circonstancié dans cette affaire, validant ligne par ligne la cohérence du document. « La couleur verte est typiquement celle de la Jamarahirya libyenne ainsi que le logo et la typographie utilisée pour le corps du texte. Il s’agit de “coufique” (style de calligraphie arabe) en ce qui concerne le destinataire ainsi que le titre du signataire », a-t-il d’abord expliqué.

« La première date est celle du calendrier grégorien avec un symbole “f” correspondant au sigle en vigueur en Libye depuis 2000 pour désigner le calendrier chrétien. La deuxième correspond au calendrier libyen en vigueur depuis 2000, c’est un calendrier solaire comprenant le même nombre de jours que le calendrier grégorien. Les numéros des mois et des jours sont donc les mêmes, seul change le numéro de l’année puisque ce calendrier débute à la mort du prophète Mohamed d’où les deux lettres figurant après la date 1374, qui sont les abréviations “d’après la mort du prophète”. Je confirme que les dates sont cohérentes de par leur correspondance et l’évocation des deux calendriers. Tous les documents de ce type ne possèdent que ces deux dates (…). Les documents à usage interne libyens étaient systématiquement revêtus de ces deux dates. Vient ensuite le numéro d’enregistrement qui me semble cohérent. Je précise que dans le bas à droite de la feuille figurent des symboles et initiales désignant probablement des destinataires internes au service », a poursuivi Patrick Haimzadeh, par ailleurs auteur d’un livre de référence sur l’ancien régime libyen, Au cœur de la Libye de Kadhafi.

Sur le fond, l’ancien militaire ne se dit pas choqué : « Selon la pratique de Kadhafi, que j’ai décrite d’ailleurs dans mon ouvrage, il était d’usage d’apporter un certain nombre de soutiens financiers à d’autres pays, entités, président ou groupes d’opposition, notamment africain. L’objectif stratégique de K. était le rapprochement avec l’Europe et en particulier la France. Je ne suis donc pas surpris en ce qui concerne la partie libyenne, mais ne peux me prononcer sur la réception d’un tel soutien de la part de la partie française. »

L’ancien commissaire divisionnaire Jean-Guy Pérès, qui fut attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de Tripoli (2005-2008), ne voit, lui non plus, rien de surprenant dans le document. « C’est tout à fait ressemblant aux documents officiels employés par la Libye en ce qui concerne le texte et la typographie (…). Les formulations sont très ressemblantes à ce que je recevais. Même sur un sujet aussi sensible, le fait que ce document existe ne m’étonne pas ; les Libyens étant très formalistes et bureaucratiques. Ils mettent tout par écrit », a-t-il fait savoir aux gendarmes sur procès-verbal, le 30 juin.

Première conseillère d’ambassade à Tripoli entre 2005 et 2008, la diplomate Véronique Vouland-Aneini est allée dans le même sens lors de son audition, le 21 mars : « L’arabe me semble d’un très bon niveau technique et correspond à un document administratif de cette nature. Les documents officiels libyens comportaient effectivement plusieurs dates (…). Dans son aspect général, cela pourrait correspondre à un document libyen. »

Enfin, le lieutenant-colonel de l’armée de l’air Bruno Vrignaud, ancien attaché de défense à Tripoli (2004-2007), aujourd’hui impliqué dans le monde du renseignement militaire, a confié aux enquêteurs le 27 juin dernier : « Le texte, la typographie et les formulations sont très ressemblantes. » Se disant seulement surpris de l’absence de lieu concernant une réunion de négociation évoquée dans le même document, le lieutenant-colonel a même conclu : « L’existence d’un écrit et d’un relevé de conclusions d’une réunion, même dans ces circonstances, ne me surprend pas. »

L’ancien ambassadeur de France en Libye entre 2008 et 2011, François Gouyette, avait déjà affirmé en janvier dans le cadre de l’enquête judiciaire « qu’il pouvait s’agir d’un document authentique ». Surtout, le diplomate avait confié aux juges René Cros et Emmanuelle Legrand, chargés d’instruire la plainte de l’ancien président contre Mediapart, avoir recueilli deux témoignages d’officiels libyens au sujet des financements occultes de Nicolas Sarkozy. Il citait notamment le diplomate et ancien traducteur de Mouammar Kadhafi, Moftah Missouri, qui avait pour sa part authentifié face caméra le document, pour l’émission Complément d’enquête sur France 2.

BOITE NOIREMediapart est à l’origine des révélations sur les soupçons d’un financement occulte libyen sous le règne de Mouammar Kadhafi à l’occasion de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, lesquels soupçons sont aujourd’hui au centre des investigations judiciaires visant le premier cercle de l’ancien président de la République (lire notre dossier).

Après plusieurs mois d’une enquête commencée à l’été 2011 et ayant donné lieu à de nombreux articles sur les relations entre les proches entourages de Nicolas Sarkozy et de Mouammar Kadhafi, Mediapart a ainsi publié, le 28 avril 2012, un document officiel libyen évoquant ce soutien financier du régime de Tripoli au candidat Sarkozy au moment de l’élection présidentielle de 2007.

L’ancien chef de l’État français, qui n’a pas poursuivi une seule fois Mediapart en diffamation, a contourné le droit de la presse en nous attaquant pour « faux et usage de faux » au printemps 2012, tandis que nous ripostions en l’accusant de « dénonciation calomnieuse » (lire ici). L’enquête préliminaire menée par la police judiciaire ne lui ayant évidemment pas donné raison, Nicolas Sarkozy a déposé plainte avec constitution de partie civile à l’été 2013, procédure qui donne automatiquement lieu à l’ouverture d’une information judiciaire pour « faux et usage de faux ».

Mediapart, à travers son directeur de la publication Edwy Plenel et les deux auteurs de cette enquête, Fabrice Arfi et Karl Laske, a été placé fin 2013 sous le statut de témoin assisté dans ce dossier. Nous n’avons pas manqué de contester une procédure attentatoire au droit de la presse et de faire valoir le sérieux, la consistance et la bonne foi de notre enquête (lire ici et ).

De fait, nos révélations sont au cœur de l’information judiciaire ouverte un an plus tard, en avril 2013, pour « corruption » sur le fond des faits de cette affaire franco-libyenne qui inquiète grandement Nicolas Sarkozy et ses proches. L'instruction a été confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman.

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