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Sénat : mes amis, mes amours, mes électeurs

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Dimanche 28 septembre, 87 625 grands électeurs sont appelés aux urnes. En quelques heures, ils vont élire la moitié des sénateurs, toujours désignés au suffrage indirect. Lundi matin, 178 des sièges de la Haute Assemblée auront été renouvelés. Il n'y a pas de suspense : vu l'ampleur de la défaite du PS aux municipales, le Sénat devrait repasser à droite. D'ici 2017, l'opposition compte bien en faire une tribune anti-Hollande.

Parmi ces électeurs, 3 900 députés, sénateurs, conseillers régionaux et généraux des 63 départements et collectivités d'outre-mer, renouvelés cette année. Lorsqu'ils sont élus municipaux (ce qui est souvent le cas), ceux-ci détiennent d'ailleurs une sorte de double voix : ils doivent dans ce cas désigner un remplaçant, souvent un membre de leur famille, qui votera évidemment comme eux.

La liste des 87 625 grands électeurs appelés aux urnes dimanche, fournie à Mediapart par le ministère de l'intérieur (format .xls)
 
Le reste du corps électoral ? Les délégués des conseils municipaux. Dans leur écrasante majorité, ils sont élus. Mais ce n'est pas le cas dans les villes de plus de 30 000 habitants où des "délégués supplémentaires" sont désignés avant chaque scrutin. Ces délégués très particuliers sont nommés selon le bon vouloir de la majorité et de ses oppositions. En théorie, ils sont là pour équilibrer le mode de scrutin sénatorial, qui a toujours avantagé la représentation du monde rural au détriment des villes.

En août 2013, le gouvernement a même fait voter une loi pour augmenter leur nombre. Dans les grandes villes, il y a désormais un "délégué supplémentaire" par tranche de 800 habitants. Au total, ils sont plusieurs milliers – dans les données qu'il nous a fournies (lire aussi la boîte noire), le ministère de l'intérieur ne distingue pas les délégués de droit et les supplémentaires, d'où un calcul forcément au doigt mouillé !

Dans les plus grandes métropoles, cela fait beaucoup de monde. À Marseille, la deuxième ville de France, ils sont plus de 1 000 : c'est près d'un tiers du collège des grands électeurs du département des Bouches-du-Rhône. Ils sont 550 à Lyon (auxquels il faut rajouter ceux des autres grandes villes du Rhône), 520 à Toulouse, 390 à Nice, 300 à Montpellier, etc. Beaucoup plus que les délégués élus !

Certes, ce privilège de voter aux sénatoriales ne rapporte rien (les grands électeurs qui ne votent pas doivent d'ailleurs acquitter une amende de 100 euros). Mais dans les grandes villes, il est frappant de constater que ce droit est parfois accordé aux très proches : femme, époux ou enfant(s) des candidats, parents des colistiers aux municipales, collaborateurs politiques, responsables administratifs, cadres du parti, entrepreneurs locaux, etc. Ils sont si proches de l'élu, ou lui doivent tant, que leur vote est garanti. Voilà comment une partie de l'élection sénatoriale est légalement accaparée par les élus et leurs entourages. Ils ont d'autant plus de poids que dans les départements les plus peuplés, le scrutin est proportionnel à un seul tour…

Cette année, 93 villes ont désigné des "délégués supplémentaires", d'après les calculs de Mediapart. Nous nous sommes centrés sur les plus importantes. Et le cas le plus frappant est sans conteste Marseille. Comme Marsactu et Le Monde l'ont raconté, la liste des 1 000 délégués supplémentaires est un véritable défilé de proches, d'amis et de soutiens politiques. Samia Ghali, sénatrice PS sortante, a désigné une vingtaine de membres de sa famille, dont son mari, ses deux fils, ses deux assistantes parlementaires, et deux cousins épinglés par la chambre régionale des comptes pour des subventions douteuses versées par le Conseil régional lorsque Samia Ghali en était la vice-présidente. On trouve aussi deux proches de Samia Ghali, Daniel Bœuf un lobbyiste, membre du cabinet de conseil HBQ créé par le député PS Razzy Hammadi, et Béatrice Attali, femme du promoteur immobilier Hubert Attali (PDG de Sud Réa) qui a plusieurs programmes à Marseille.

Candidat à un quatrième mandat de sénateur, le maire Jean-Claude Gaudin a recruté une foule d'employés municipaux (le directeur de la communication de la ville, des secrétaires, des membres du service de presse, etc.) ; mais aussi des architectes proches de la mairie, l'homme d'affaires Xavier Giocanti, compagnon de la patronne du FMI Christine Lagarde, des membres de la famille Dumon actionnaires de Sodexo qui gère les cantines de la ville. Ou encore d'anciens responsables du puissant syndicat FO-Territoriaux avec qui Gaudin cogère la ville.

Auto-exclu du PS et candidat à sa réélection au Sénat sur les listes du parti radical de gauche, le président du conseil général Jean-Noël Guérini, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Marseille pour "détournement de fonds publics", fait voter sa fille et certains fidèles. Quant au maire Front national du 7e arrondissement Stéphane Ravier, qui pourrait devenir dimanche le premier sénateur FN, il a inscrit ses deux neveux et sa belle-sœur.

Samia Ghali, lors de la campagne des primaires PS à MarseilleSamia Ghali, lors de la campagne des primaires PS à Marseille © Reuters

Dans le même département, Aix-en-Provence offre aussi un beau spécimen de cooptation des amis. La déjà sénatrice Sophie Joissains, fille de la maire Maryse Joissains-Masini, est à nouveau candidate aux sénatoriales, deuxième de la liste UMP du département derrière Jean-Claude Gaudin. Et tout est fait pour la faire gagner.

Une vingtaine de proches de conseillers municipaux UMP ont été désignés, de même que des anciens adjoints. Mais aussi le père de la sénatrice, qui est aussi son assistant parlementaire... et a été lui-même maire d'Aix, condamné pour abus de biens sociaux après avoir fait financer par la municipalité des travaux dans la maison de ses beaux-parents. Entre 2001 et 2008, il fut directeur de cabinet de Maryse Joissains, jusqu’à ce que la justice administrative s’émeuve de son salaire. Il a déposé un ultime recours et n’a toujours pas remboursé le trop-perçu (167 806 euros).

Maryse Joissains et sa fille, sénatrice et candidate à sa réélectionMaryse Joissains et sa fille, sénatrice et candidate à sa réélection © DR

Les employés municipaux et leurs proches ne sont pas en reste : la directrice de cabinet du maire (Jacqueline Barbolosi) et son époux, la directrice de la communication, la directrice de cabinet de la communauté d’agglomération, des directeurs et cadres de la communauté d'agglo. Deux petites mains du cabinet du maire, leurs proches, mais aussi Omar Achouri, chauffeur de la maire promu par ses soins cadre A de la fonction territoriale Ainsi que son amie Sylvie Roche, ancienne chargée de la maltraitance animale à l'agglomération, dont l’embauche a valu à Maryse Joissains une mise en examen pour "pour prise illégale d'intérêts et détournement de fonds". La liste ne serait pas complète sans Maurice Farine, PDG de la confiserie du Roy René et président de l’agence de développement de l'agglomération. Le roi du calisson a inauguré en juin 2014 sa nouvelle unité de production à Puyricard, près d’Aix-en-Provence.

À Lyon (Rhône), les grands électeurs (la liste ici) ont été désignés lors d'une séance extraordinaire non ouverte au public, raconte Lyon Capitale. Le journal a décortiqué leur pedigree. Gérard Collomb, sénateur PS et maire de Lyon (un de ceux qui s'étaient le plus opposés à la loi contre le cumul des mandats), sera ainsi réélu dimanche par son épouse, des collaborateurs de son cabinet à la mairie et à la communauté urbaine (et parfois leurs conjoints), des responsables ou salariés du PS lyonnais (et leurs conjoints), ou des cadres de grandes entreprises (Compagnie nationale du Rhône, Eiffage) passés par les cabinets socialistes locaux. L'UMP n'est pas en reste.

Gérard Collomb, sénateur PS et maire de LyonGérard Collomb, sénateur PS et maire de Lyon © Reuters


À Nice (Alpes-Maritimes), la famille Estrosi a pillé son carnet d'adresses pour permettre l'élection au Sénat de Dominique Estrosi-Sassone, l'ex-épouse du député et maire UMP. Parmi les délégués supplémentaires (la liste est ici), on trouve la mère de la candidate et une des filles du couple. Mais aussi une foule d'employés de la ville et de la métropole (tenues toutes deux par Christian) : sa secrétaire, son directeur de cabinet Anthony Borré (marié à son adjointe, elle-même électrice), son chef de cabinet Pascal Condomitti et trois de ses proches (dont sa femme... ex-chef de cabinet d'Estrosi) ; le directeur général des services techniques, les chargés de communication, le conservateur du patrimoine, le chef du protocole, celui du service automobile, le président d'un centre sportif ou la directrice de la cinémathèque, etc. ; des salariés de Côte d'Azur Habitat (présidé par Dominique) ; le propriétaire de nombreux restaurants italiens de Nice et celui de la "Petite Maison", la cantine d'Estrosi ; de nombreux maris, épouses, fils et filles d'élus UMP locaux ; le président de l'OGC Nice ou encore l'entrepreneur qui s'est occupé des sites de campagne du maire. Au Cannet, le fief de Michèle Tabarot, ex-numéro deux de l'UMP, 15 des 29 délégués supplémentaires sont des employés municipaux.

Christian Estrosi et son ex-femme Dominique, candidate aux sénatorialesChristian Estrosi et son ex-femme Dominique, candidate aux sénatoriales © DR


À Montpellier (Hérault), les grands électeurs n’échappent pas à la règle de l’entre-soi et du vote familial. Parmi les délégués supplémentaires (voir ici), on retrouve d’anciennes figures politiques locales (la maire sortante Hélène Mandroux, l’ancien chef de cabinet de l'ancien maire Georges Frêche Jean-Pierre Foubert, le responsable des grands équipements de l’agglomération, l’ancien élu et militant associatif Brahim Abbou), ou leurs conjoints (la femme du premier adjoint, celle d'un élu régional, etc.). Les filières familiales sont également au rendez-vous : on dénombre trois Saurel (de la famille du nouveau maire de la ville), trois Tortorici (de la famille d’un adjoint au maire). Plusieurs patronymes identiques se retrouvent sur la liste, concernant des élus ou responsables socialistes, mais aussi de droite comme du Front de gauche.

Le choix des délégués spéciaux, qui se déroule ailleurs dans le calme puisque chaque camp désigne qui il veut, a été l’occasion de constater à quel point le PS local, battu aux municipales de mars par le “dissident” Philippe Saurel, est en ruines. Le président du groupe PS au conseil municipal, Jean-Pierre Moure, a en effet désigné lui-même les noms sur la liste. Or beaucoup sont des proches du sénateur Robert Navarro, ancien homme fort du PS exclu du parti pour avoir rallié l'ancien président du conseil régional Georges Frêche, mis en examen pour abus de confiance suite à une plainte de son propre parti dans l’affaire des frais de fonctionnement de la fédération PS de l'Hérault.

Resté proche de François Hollande, Navarro a lorgné (en vain) le siège du président de la région Languedoc-Roussillon, Christian Bourquin, décédé il y a un mois. Il rêve désormais de garder son siège au Sénat, même sans l’étiquette socialiste. « Cela fait trois semaines qu’il invite des grands électeurs à tous les matchs possibles, en profitant des invitations de la région », soupire un socialiste local. À Béziers, le maire Robert Ménard, soutenu par le FN, a nommé son épouse Emmanuelle. De même que nombre d'anciens colistiers, conjoints ou parents d'adjoint(e)s, ou des employés de la mairie.

À Toulon (Var), le maire Hubert Falco, sénateur depuis 1995, est à nouveau candidat aux sénatoriales. Et il met toutes les chances de son côté. On retrouve sur la liste (lire ici) de nombreux parents de ses adjoints. Mais aussi ses trois enfants Emmanuel, Estelle et Fabien, ainsi que leurs conjoints. Ou encore le président de l'association "Les amis du maire" Gilbert Picconi, son ancien directeur des services au conseil général (dont il a été président), le directeur du CCAS, le président du crédit municipal, le suppléant de la députée UMP de Toulon qui est aussi l'adjointe au maire de Falco, etc. À Frejus, le FN David Rachline a blindé la liste de plusieurs anciens colistiers.

Çà et là, on repère d'autres curiosités. À Montauban, la maire UMP Brigitte Barèges a nommé son compagnon (dont l'embauche dans la société d'économie mixte d'émargement avait fait polémique), la directrice d'une clinique privée, le président de l'office municipal des sports, ou Gérard Poujol, le plus gros promoteur immobilier de Montauban qui fait des affaires avec la ville.

À Bordeaux (Gironde, la liste ici), la femme du maire, Isabelle Juppé, figure sur les listes. Didier Cazabonne, adjoint d'Alain Juppé, va voter pour son frère jumeau Alain, maire de Talence, vice-président de la communauté urbaine chargé de la communication, qui lorgne un siège au Sénat. Et l'on retrouve de nombreux affidés politiques : en parcourant les tout premiers noms de la liste, on tombe sur une attachée du groupe de la majorité à Bordeaux, un responsable de la communauté urbaine, une chargée de mission au cabinet de Juppé, des responsables UMP locaux, l'assistante d'une adjointe au maire, etc.

À Toulouse (Haute-Garonne, ici la liste) ont été désignés des très proches du nouveau maire (et député) UMP Jean-Luc Moudenc : sa femme Blandine (qui est aussi sa cheffe de cabinet à l'agglo), son chef de cabinet à la mairie Michel-Paul Monredon, sa cheffe du secrétariat particulier, des conseillers, des proches d'adjoints. Toute la famille Micouleau (Jacques, Adrien, Édouard, Émilie) a été enrôlée. Pas étonnant : adjointe au maire de Toulouse et fidèle de Moudenc, Brigitte Micouleau espère bien être élue sénatrice dimanche soir.

BOITE NOIREObtenir le nom des "délégués supplémentaires" n'est pas chose aisée. Bien que l'information soit publique, il n'existe pas de liste nationale des 87.000 grands électeurs. « Nous n'avons pas de fichier global, cela n'a pas d'utilité pour nous », affirme le ministère de l'intérieur qui supervise les élections. Il faut donc s'adresser aux préfectures. Qui n'ont visiblement pas de consignes claires pour la publication de ces données. Souvent, la liste est accessible en quelques clics à partir de la page d'accueil. Mais dans d'autres cas, il faut ramer. Rien par exemple d'immédiatement visible sur le site de la préfecture du Rhône. Au téléphone, on nous assure même que la liste n'est pas publique. Avant, finalement, de nous envoyer le bon lien : « elle est disponible depuis le 18 juillet, mais le chemin pour la trouver est un peu compliqué », admet une chargée de communication. En Gironde, le listing n'est même pas en ligne. Pour l'obtenir, c'est uniquement par mail, et il faut être électeur ou candidat! Après avoir consulté le ministère de l'intérieur, la préfecture nous a finalement envoyé une liste. Mais elle n'est pas à jour, nous prévient le service de presse…  

Une fois les informations obtenues, il n'est pas simple de les traiter. Ces listes sont disponibles au format "pdf", mais pas en "excel", plus pratique pour construire des bases de données. Aucune présentation n'est similaire: simples scans sans possibilité de cliquer ou de faire des copiés-collés (Alpes-Maritimes), longues listes presque illisibles (Hérault), ordre alphabétique aléatoire (tout le temps). Pour les décomptes, aucun chiffre (sauf dans le Var ou en Gironde): il faut faire les calculs à la main.

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