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Près de Dijon, les «TRW» licenciés de l'automobile font le bilan d'un an de lutte

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Longvic (Côte-d'Or), de notre envoyé spécial.   Ils n'étaient qu'une miette dans un océan de transactions boursières. L'annonce du rachat de l'équipementier automobile américain TRW par son homologue allemand ZF Friedrichshafen AG pour la somme de 13,5 milliards de dollars (10,4 milliards d'euros), le 15 septembre 2014, démontre à quel point la stratégie d'un grand groupe peut être antagoniste à celle de ses employés. Le site de TRW Longvic (Côte-d'Or) était voué à la fermeture, ses 148 employés destinés à un plan social. Après quatorze mois de bras de fer avec leur direction, les anciens membres du conseil d'entreprise se sont réunis, début septembre, pour un dernier repas.

« C'est là que nos patrons dormaient lorsqu'ils venaient pour nous virer. » Au rez-de-chaussée de l'hôtel trois étoiles Wilson de Dijon, le dîner que se sont offert « les TRW » a presque un goût de revanche. Un an et demi après l'annonce de la fermeture du site de Longvic, en mars 2013, les anciens membres du conseil d'entreprise savourent une victoire en demi-teinte. « On a perdu puisque l'usine a fermé », résume Laurent Guigue, arrivé dans le site en 1996. Malgré tout, onze anciens célèbrent ce soir la fin de « la lutte » et l'issue du plan social qu'ils ont arraché à leur employeur après la délocalisation de leur usine en Pologne.

Repas à l'hôtel WilsonRepas à l'hôtel Wilson © Yannick Sanchez

Alors que le cégétiste Christophe Depierre lit à haute voix la lettre de soutien (lire ci-dessous) que lui ont envoyée ses camarades polonais, les membres de la délégation unique du personnel (DUP) pensent à l'avenir.

 Lettre du syndicat août 1980 Lettre du syndicat août 1980 © ASC TRW

Deux mois après le licenciement effectif des 148 employés (excepté la quinzaine de cadres qui achèvent le démantèlement de l'entreprise jusque fin octobre), ils sont tout juste dix à avoir retrouvé du boulot, soit environ 7 % de l'effectif. Avec 55 000 euros d'indemnités en poche et un congé de reclassement d'un an payé à 80 % du salaire d'origine pour chaque employé, la recherche de travail peut se faire plus sereinement.

Les TRW sont désormais entre les mains d'un cabinet de reclassement qu'ils ont dû choisir alors qu'ils n'étaient pas encore licenciés. Sébastien Dureuil, ancien du conseil d'entreprise, raconte le défilé des fournisseurs : « On travaillait toujours et on recevait des tas de coups de fil de cellules de reclassement, des vrais charognards. On en a reçu quatre ou cinq, puis ça a été vite fait, on a choisi le côté humain plutôt que les paillettes. Il y avait des grosses locomotives style Altedia. Je me souviens du commercial qui est arrivé en costard cravate, un bagou énorme, accompagné de trois jolies filles. Ça pète le luxe mais ça ne nous correspond pas. Ce qu'il nous faut, ce sont des gens qui se bougent pour nous retrouver un boulot.»

Une fois le cabinet de reclassement choisi, trois possibilités s'offrent aux anciens de TRW : l'adaptation, la reconversion ou la création d'entreprise. Dans le premier cas, ils reçoivent 5 000 euros et ont la possibilité de suivre des formations pour se remettre à jour dans leur domaine. S'il s'agit d'une reconversion, les anciens reçoivent 7 500 euros qui doivent être réinvestis dans une nouvelle formation ou pour reprendre des études. Dans le cas d'une création d'entreprise, le nouvel entrepreneur reçoit une aide au démarrage de 10 000 euros. Chaque cas est soumis au contrôle et au conseil du cabinet de reclassement qui examine la pertinence du projet professionnel.

Ainsi débutent les ateliers de groupe. « Tu te présentes pendant deux minutes et on fait un tour de table, explique Franck Pawelec. On t'aide à bien écrire un CV et à aller à l'essentiel. Il y a des jobs dating (entretiens d'embauche) pour se mettre dans la gymnastique des nouvelles techniques d'entretien. Je suis content d'en bénéficier, même si tu te rends vite compte qu'ils utilisent toujours la même présentation, que ça s'adresse à des métallos, des couturières ou des fabricants de fromages. »

Frank Pawelec aura 46 ans en octobre, il sait que son combat commence maintenant. « Il est loin le bout du tunnel. Psychologiquement, je suis déjà dans la catégorie senior. On sait qu’il doit y avoir entre 700 et 1 000 licenciements par jour et pas autant de créations d’emplois.

Frank PawelecFrank Pawelec © ASC TRW

Sans être défaitiste, tu ne peux pas t’empêcher de penser que l'industrie dans la région ne va pas revenir avant longtemps. J’ai un copain qui bossait dans l’outillage. Il a passé un diplôme sur internet en 2008 et il a retrouvé du boulot il y a seulement trois mois. Il a fait plein d'entretiens où il était toujours dans les trois premiers, sans rien trouver. Moi, je ne demande pas monts et merveilles, je suis prêt à accepter une perte de salaire (Frank gagnait 1 750 euros net/mois avec 18 ans d'ancienneté – ndlr), mais je ne veux pas refaire les trois-huit, ça te tue la santé. Si c'est pour avoir une petite prime salariale en risquant de ne pas aller jusqu'à la retraite, ça ne m'intéresse pas. Mais bien sûr, il y a ce que tu peux faire, ce que tu veux faire et ce que tu trouves. »

Entre deux anecdotes sur le cabinet de reclassement, les TRW se remémorent leurs déplacements dans toute l'Europe (Angleterre, Allemagne, Belgique et deux fois en Pologne pour se rendre sur le lieu prévu de la délocalisation). « On était prêt à faire de l’anti-dumping social partout pour faire pression sur TRW », raconte leur avocat, Ralph Blindauer, qui était également de la partie. « Le seul fait de vouloir faire des économies sur la masse salariale, ce n’est pas un motif de licenciement recevable en France. Or l’usine de Longvic n’était juste pas capable de gagner autant d’argent qu'un site en Pologne, c'est ce qu'on a essayé de faire entendre », raconte Me Blindauer.  Pour eux, c'est sûr, l'internationalisation du conflit a permis de gagner plus de crédibilité dans le rapport de force avec la multinationale en forçant certains responsables à s'asseoir à la table des négociations.

Mais les longues tractations qui ont abouti aux 55 000 euros d'indemnités de départ ont laissé des séquelles chez certains employés. Le responsable syndical de la CGT, Christophe Depierre, en première ligne dans le bras de fer avec la direction, a fait quatre semaines d'hôpital psychiatrique, courant 2011. 

Christophe DepierreChristophe Depierre © ASC TRW

Toujours sous traitement, il dit s'en être particulièrement bien sorti grâce au soutien de sa femme. D'autres sont plus vulnérables. « Avec le PSE, il y a pas mal de couples qui éclatent, confie Laurent Guigue. Certains sont en dépression, le licenciement leur laisse un gros vide. Le choc psychologique est énorme. Pour moi aussi c'était très dur, j'ai perçu la fermeture comme une trahison de la part de l'entreprise. Quand tu vois le salaire du gros patron et qu’on te dit que tu coûtes trop cher, il ne faut pas abuser. »

L'ancien PDG de l'entreprise, John Plant, a perçu en 2013 un peu plus de 41 millions de dollars de revenu annuel, soit l'équivalent de près de 2 000 fois le salaire moyen des employés du site de Longvic-Dijon. « Plus jamais je ne veux avoir affaire à un patron, lance Sébastien Dureuil, débauché par TRW en 1995. J'ai été écœuré par l'attitude de l'entreprise. Pour moi, une boîte qui fait du pognon n'est pas censée fermer. D'ailleurs, j'étais le seul à vouloir continuer le combat jusqu'en Cour de cassation. Mais tout ça, c'est fini pour moi, maintenant, j'ai fait le deuil. » Après dix-neuf ans de fidèles et loyaux services, ce dernier dit vouloir « se reconstruire »« Je vais reprendre les études et intégrer une école viticole », ajoute-t-il,  « j'ai la chance d'être né à Nuits-Saint-Georges et comme Obélix, je suis tombé dans le vin quand j'étais petit. »

« Chacun prend le licenciement différemment, déclare Christophe Depierre. Il y en a qui ne veulent plus entendre parler de l'industrie automobile alors que d'autres ne se voient pas travailler ailleurs. J'en connais même qui pourraient presque rebosser pour TRW. » Lui a décidé de monter son restaurant à Dijon. « C'est un retour à mon métier de départ », assure celui qui a démarré sa carrière dans l'hôtellerie. « Maintenant, il faut couper les ponts avec TRW », dit-il, même s'il continue deux fois par mois à se rendre à l'usine.

A l'entrée de l'usine de TRW LongvicA l'entrée de l'usine de TRW Longvic © Yannick Sanchez

Tous ne sont cependant pas armés pour rebondir. « Certains sont alcoolos, d’autres complètement paumés, précise Sébastien Dureuil. Et les personnes de 45 à 55 ans qui vont attendre la fin du congé de reclassement risquent d'aller droit dans le mur. Plus ils attendent, plus il sera dur de trouver du boulot. »

« Quand je suis arrivé chez TRW, j’avais mis dans ma tête le risque de fermeture, affirme Laurent Guigue, 43 ans. Ma mère travaillait chez Hoover, la célèbre marque d'aspirateurs, et ils ont laissé les salariés sur le carreau. Du coup, quand j’ai acheté ma maison, j’ai tout prévu avec mon assurance. » Pour ce dernier, il est hors de question de rester trop longtemps au chômage. « J'ai rapidement attaqué une formation avec mise à niveau pour être sur le marché de l'emploi le plus vite possible. Après vingt ans d'expérience dans la même boîte, ils disent qu'on est trop formaté aux équipements qu'on utilise tous les jours. Les trois-huit, je préfère laisser ça aux jeunes parce que quand tu passes le cap de la quarantaine, tu récupères moins vite. Cela dit, tout est question de compromis car comme beaucoup d'entre nous, je suis père de famille et j’ai mon crédit immobilier sur le dos. » 

En se rendant dans les différents sites de l'industriel ainsi qu'au siège européen du groupe à Düsseldorf, les employés espéraient faire pression sur les dirigeants, mais surtout sensibiliser leurs collègues européens sur l'impact des délocalisations. « C'est l'Europe qui a payé les murs et les machines de l'usine délocalisée, la Pologne a offert le terrain pour favoriser la création d'emplois. En allant là-bas, on a compris que la contrepartie de la fermeture de notre usine, c'était la création de 900 postes en Pologne », explique un des employés. Pour la députée (PS) Kheira Bouziane qui a également fait le déplacement – par ailleurs une des six députés à avoir voté en juin 2013 contre l'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi (ANI) permettant à un employeur de se passer des syndicats pour mettre en place un PSE –, la question des délocalisations doit être posée au Parlement européen.

© ASC TRW

Avec l'usine Fralib de Gémenos (Bouches-du-Rhône), TRW symbolisait l'un des derniers plans sociaux annoncés avant le vote de l'ANI. « C'était un des derniers combats classiques entre salariés et employeur, regrette Kheira Bouziane. « Aujourd'hui, avec la nouvelle loi, une entreprise comme TRW aurait beaucoup plus de facilité à fermer une de ses unités. C'est dramatique parce qu'à 50 ans, dans le contexte actuel, vous êtes limite au ban de la société. » Me Blindauer va plus loin : « Avec l'ANI, le pouvoir socialiste nous a laissés un peu à poil. Il va falloir que les salariés fassent preuve de créativité et d'inventivité. » Quitte à se faire entendre par-delà les frontières.

BOITE NOIRECet article a été édité le mercredi 24 septembre pour rendre compte du rachat du groupe américain TRW par son homologue allemand ZF Friedrichshafen AG. La transaction, annoncée à 13,5 milliars de dollars (10,4 milliards d'euros) va donner naissance à l'un des premiers équipementiers automobiles mondiaux. 

Je me suis rendu à Dijon les jeudi 4 et vendredi 5 septembre pour rencontrer les anciens employés de TRW. Tenus par un accord de confidentialité avec l'entreprise, la plupart d'entre eux n'ont pas souhaité s'étendre sur la teneur du plan social. L'avocat de l'entreprise et la députée Kheira Bouziane ont été contactés par téléphone.  

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