« Maintenant, je veux faire un meeting par jour ! » Cette phrase lâchée en 2012 par Nicolas Sarkozy résume la frénésie qui avait saisi le candidat à sa propre succession durant la dernière campagne présidentielle. Avec l’affaire Bygmalion, on connaît aujourd’hui les conséquences d’un tel emballement, que le bras droit de Jean-François Copé et directeur adjoint de la campagne, Jérôme Lavrilleux, avait décrit comme un « engrenage irrésistible d'un train qui file à grande vitesse ».
Deux ans plus tard, l’ex-chef de l’État repart en campagne. Pour briguer non pas l'Élysée – du moins pas encore –, mais la présidence de « sa famille politique », l’UMP. Le rythme n’a plus rien à voir avec celui de 2012 – 44 meetings, souvent enchaînés d’un jour sur l’autre –, mais il reste tout de même soutenu. Sa première rencontre avec les militants, Nicolas Sarkozy la tient ce jeudi 25 septembre, en début de soirée, au gymnase Pierre de Coubertin, à Lambersart (Nord). Elle sera suivie d’une série de rassemblements qui devraient – c’est du moins l’objectif – conduire l’ancien président à se rendre dans chacune des 22 régions métropolitaines. Soit un à deux déplacements par semaine jusqu’au 27 novembre (le scrutin électronique étant ouvert à partir du samedi 28, 20 heures).
« Ce sera une campagne tout à fait modeste », prévient son porte-parole, le jeune député et maire UMP de Tourcoing, Gérald Darmanin. « On nous a demandé quelque chose de simple, fait avec peu de moyens », renchérit le député et maire UMP, Marc-Philippe Daubresse, qui l’accueille dans sa ville de Lambersart. Pour son premier meeting, le candidat devra débourser « quelque 1 800 euros » pour la location du gymnase de Coubertin – « tarif lambersartois fixé par délibération du conseil municipal pour toutes les formations politiques », précise Daubresse – auxquels s’ajouteront un certain nombre de prestations facturées par la mairie (éclairage et sonorisation). « Le fond de scène sera géré par Paris, poursuit l'élu. Les militants du département se chargeront de l’affichage et de l’installation de la salle. »
En tout, le meeting de Lambersart « coûtera moins de 10 000 euros », indique Véronique Waché, la conseillère presse de Nicolas Sarkozy. Pour le reste, « le choix qui a été fait est de dépenser le moins possible en faisant une campagne efficace, mais sobre », affirme son directeur de campagne, l’ancien directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard. « Dans un monde où il y a des problèmes de chômage, etc., cela peut être compliqué de dépenser des sommes importantes, poursuit-il. Notre volonté est que ce soit à la fois modeste et transparent parce que les exemples passés ne sont pas toujours formidables. »
Aucune société de communication ou d’événementiel ne travaille sur la campagne, selon Péchenard. « Le seul prestataire avec lequel nous avons passé un petit contrat est une petite PME qui se charge du site internet et qui ne souhaite pas qu’on communique son nom », ajoute-t-il. Les qualificatifs « petit » et « modeste » sont répétés à l’envi. Le message est clair : hors de question de rappeler au bon souvenir des militants UMP la démesure de la dernière campagne présidentielle où le compte de Nicolas Sarkozy a littéralement explosé, atteignant plus de 39 millions d'euros, bien au-delà du plafond légal fixé à 22,5 millions d'euros.
Après les affaires Bettencourt, Kadhafi et Bygmalion, la question du financement de cette nouvelle campagne se pose forcément, quand bien même elle ne serait soumise à aucune règle. « Nous savons pertinemment que c’est un sujet, explique Véronique Waché. Nous voulons une transparence absolue et aucun mélange des genres. Nous sommes extrêmement rigoureux sur les comptes. »
Briguer la tête d’un parti politique ne nécessite pas les mêmes moyens qu’une campagne présidentielle. Mais cela coûte tout même plusieurs centaines de milliers d’euros. À titre d’exemple, Jean-François Copé avait dépensé 624 000 euros en 2012 pour batailler contre François Fillon, rappelle à Mediapart son entourage. L’UMP avait à l’époque alloué 50 000 euros à chacun des deux candidats. Le parti pourrait-il donner cette année un petit coup de pouce à ses prétendants ? « Je ne pense pas, affirme un membre du bureau politique. Il n’y a plus rien dans les caisses. » « C’est au bureau politique d’en juger, mais je ne crois pas que cela soit d’actualité », confirme Anne Levade, la présidente de la haute autorité de l’UMP. L’entourage de Bruno Le Maire, lui aussi candidat à l’élection de novembre, indique d’ailleurs que « vu la situation actuelle, jamais nous n’accepterons un centime ».
L'UMP exsangue, Nicolas Sarkozy va donc devoir puiser dans d’autres ressources que celles du parti. Outre sa “retraite” d’ancien président – une dotation égale au traitement d’un conseiller d’État, 6 000 euros par mois, définie par un texte officiel de loi daté de 1955 – et les différentes conférences – rémunérées plusieurs centaines de milliers d’euros – qu’il donne depuis deux ans, il pourrait également compter sur les nombreuses associations créées pour soutenir son action. Celle des “Amis de Nicolas Sarkozy” par exemple, présidée par « l’ami de 30 ans » Brice Hortefeux, qui a vu le montant de ses dons passer de 65 042 euros en 2012 à 508 210 euros en 2013.
« “Les Amis” n’ont rien à voir avec notre financement, assure Véronique Waché. On ne se mêle pas de cette association, on ne s’en est jamais mêlé et on ne s’en mêlera pas. » La conseillère presse de Nicolas Sarkozy précise que l’ensemble de la campagne sera financé par une autre structure, l’Association de soutien à l’action de Nicolas Sarkozy (Asans). Ce discret “parti de poche”, dont Mediapart avait dévoilé l’existence à l’été 2010, était jusqu’à peu installé dans son ancien fief de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Il a récemment déménagé au 77 de la rue de Miromesnil où se trouvent les bureaux parisiens de l’ex-chef de l’État. Également présidé par Brice Hortefeux, son trésorier n’est autre que Michel Gaudin, l’actuel directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. D’après son bilan financier, cette micro-formation politique avait 244 507 euros de côté, fin 2013.
Créée en 2000 pour « défendre et promouvoir les idées de liberté, de solidarité, de justice et de réforme défendues par Nicolas Sarkozy », l’Asans a financé depuis l’action de l’ex-chef de l’État au sens large : comme l’a récemment révélé Le Monde, c’est elle qui a pris en charge le vol Paris-Bordeaux effectué par l'ancien président le 21 mars 2013, en avion privé, pour répondre à la convocation des juges dans l’affaire Bettencourt.
L’argent de l'Asans provient pour l’essentiel des chèques de ses gros donateurs – quelques dizaines –, qui versent chacun plusieurs milliers d’euros pour intégrer cette structure ultrapersonnelle. Dans un listing datant de 2006-2007, auquel Mediapart avait eu accès, on dénichait notamment les noms de René Ricol – par la suite nommé médiateur du crédit par l’Élysée, en 2008, puis commissaire général à l’investissement en 2010 –, du financier Marc Ladreit de Lacharrière ou encore de membres de la famille Bettencourt : Liliane, André – décédé –, mais aussi leur fille Françoise… à l’origine de la plainte pour « abus de faiblesse » sur sa mère qui a déclenché toute l’affaire Bettencourt.
Si l’État ne subventionne pas ce “parti de poche”, il le finance tout de même indirectement, puisque tous les dons qui sont faits ouvrent droit à des réductions d’impôts. Sur le nouveau site de Nicolas Sarkozy, figure une page spécifiant que des dons peuvent encore être adressés à l’association dans le cadre de la campagne. « On n'a pas fait d'appel aux dons par mail ou sur Facebook parce que pour le moment, nous avons l'argent. Nous n'avons pas d'inquiétude majeure là-dessus », souligne Véronique Waché. D'autant que depuis l'affaire Bygmalion, l'appel aux dons est devenu un sujet sensible à l'UMP. Le “Sarkothon” résonne encore dans l'esprit de beaucoup de militants.
Pour ses déplacements de campagne, le candidat à la présidence de l’UMP souhaite privilégier le train. Lui qui avait loué en 2012 un jet privé à Dassault Falcon Service pour un peu plus de 386 000 euros les trois semaines, opte désormais, aux dires de Frédéric Péchenard, pour « le meilleur rapport qualité-prix ». Selon une lettre valant « décision », datée du 8 janvier 1985 et signée par le premier ministre de l'époque, Laurent Fabius, Nicolas Sarkozy bénéficie, en qualité d’ex-chef de l'État, d’un certain nombre d’avantages parmi lesquels « la gratuité pour eux-mêmes et leurs conjoints » des déplacements en France, comme à l’étranger, « sur l’ensemble des réseaux publics ferroviaires, aériens et maritimes, dans la meilleure classe ». Grâce à ce statut, il n’aura donc pas à débourser un centime pour se rendre à ses meetings. Seuls les billets de ses collaborateurs seront imputés à ses comptes de campagne.
Les déplacements « par voie ferroviaire » des deux autres candidats à la tête de l’UMP, Hervé Mariton et Bruno Le Maire, sont quant à eux pris en charge par l’Assemblée nationale, comme ceux de tous les autres députés. En revanche, les deux parlementaires ne peuvent pas bénéficier, contrairement à l’ancien président, d’un hébergement en préfecture ou en sous-préfecture « sous réserve d’en avoir préalablement informé le ministre de l’intérieur ». « Je loge chez l'habitant », a ainsi à moitié plaisanté Hervé Mariton sur LCP.
Bien qu'il soit difficile d’imaginer Nicolas Sarkozy demander à Bernard Cazeneuve l'autorisation de dormir en préfecture ou en sous-préfecture, les différents avantages que lui confère son statut d’ancien président pourraient lui être utiles durant la campagne, notamment en termes de ressources humaines. L’État met en effet à sa disposition depuis deux ans « sept collaborateurs permanents ». Parmi eux, l’ancien préfet Michel Gaudin, devenu son chef de cabinet rue de Miromesnil, mais également Véronique Waché, son actuelle conseillère média, tous deux payés sur fonds publics.
« Michel Gaudin ne participera pas directement à la campagne, explique Frédéric Péchenard. Dans la dizaine de membres de l’équipe permanente, tout le monde est bénévole, moi compris. Chacun se mettra en configuration avec ses patrons pour se dégager du temps. » La question se pose notamment pour la personne nouvellement en charge des questions politiques rue du Docteur-Lancereaux, Éric Schahl, aujourd’hui rémunéré par le Sénat pour diriger les relations extérieures du groupe UMP.
Mais elle se pose surtout sur le cas particulier de Véronique Waché, à la fois conseillère presse de l’ancien président et directrice du pôle presse du nouveau candidat. « À partir du moment où le dépôt de candidature sera officiel, c’est-à-dire le 30 septembre, je poserai des congés auprès de mon employeur (Nicolas Sarkozy, donc – ndlr) à chaque fois que j’irai au QG du candidat (Nicolas Sarkozy, toujours – ndlr) ou que je le suivrai en déplacement. » « Ça peut être parfois compliqué parce que ça se touche, reconnaît Frédéric Péchenard, mais nous essayons de bien faire la séparation pour ce soit clair. »
« Il y aura une différence très claire entre Miromesnil et les nouveaux locaux », assure encore le porte-parole de Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin. Pour bien marquer la différence, l'ex-chef de l’État a installé son QG de campagne rue du Docteur-Lancereaux, dans le VIIIe arrondissement parisien, à quelques encablures des bureaux qu’il occupe depuis deux ans pour un loyer de 15 000 euros par mois, « entièrement pris en charge par l'État, comme le veut la tradition de la Ve République ». « Un bail précaire a été signé pour trois mois, pour un loyer mensuel de 6 000 euros », détaille Véronique Waché. « Il s’agit de 85 mètres carrés en rez-de-chaussée, précise Frédéric Péchenard, avec en plus une espèce de petite salle de réunion, en sous-sol, sans lumière, dans une cave. »
Malgré toutes les précautions que prend son équipe de campagne, le retour en politique de l’ex-chef d’État pose tout de même la question du mélange des genres, du moins à moyen terme. « Cette situation est nouvelle, souligne le député PS de l’Aisne, René Dosière, auteur de L’Argent de l’État (Éd. du Seuil, 2012). On ne se posait pas ce genre de questions à l'époque du retour de Giscard. Les égards qui sont accordés depuis bientôt trente ans aux anciens présidents sont d’ordre protocolaire et n’ont pas vocation à nourrir une action politique. Si l’idée de Sarkozy est bien de se représenter en 2017, peut-il continuer à bénéficier d’avantages matériels que l’on estime à 2 millions d’euros par an ? On va forcément se retrouver devant un problème de rupture d’égalité entre les futurs candidats. »
Le retour de Nicolas Sarkozy dans la vie politique est un casse-tête juridique. En témoigne encore le flou qui entoure sa place au Conseil constitutionnel, où, comme tout ancien président, il demeure membre de droit, malgré l’interdiction pour les “sages” « d’occuper au sein d’un parti ou groupement politique tout poste de responsabilité ou de direction ». Dans l’impossibilité de démissionner, l’ex-chef de l’État avait choisi de se mettre en retrait du Conseil le 4 juillet 2012, jour du rejet de ses comptes de campagne. Depuis, il ne perçoit plus les quelque 12 000 euros mensuels d'indemnités.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet articles ont été jointes par téléphone entre le 21 et le 24 septembre.
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