Il y a encore quatre ans, Dominique de Villepin considérait Nicolas Sarkozy comme l’« un des problèmes de la France, parmi les principaux problèmes qu'il faut régler ». « Le sarkozysme représente la France vue d'en haut, du point de vue d'élites qui voudraient refaire la nation à leur image, ou plutôt à l'image de leurs intérêts », écrivait-il dans De l'esprit de cour, la malédiction française (Éd. Perrin, 2010).
« L'homme n'a pas de surmoi et veut être aimé pour ce qu'il est. Il s'est forgé une vision de la France qui lui ressemble, c'est-à-dire individualiste, avide de réussite sociale et personnelle, obsédée par les biens matériels et indifférente à l'Histoire », poursuivait l’ancien premier ministre de Jacques Chirac, en décrivant la manière dont Sarkozy, depuis 2007, avait « d'abord dévalorisé la présidence en la surexposant médiatiquement », puis l’avait « rabaissée par ses dérapages verbaux ».
Relaxé quelques mois plus tôt dans l’affaire Clearstream, Villepin souhaitait à l’époque « fermer la parenthèse » de cinq années de pouvoir durant lesquelles l’exécutif avait « renoué avec le fait du prince ». Mais parce qu’il n’est rien de constant si ce n’est le changement, l’ennemi juré d’hier, celui que l’ancien président voulait pendre « à un croc de boucher », a aujourd’hui rejoint « la cour apeurée de perroquets » qu’il n’a eu de cesse de moquer jusqu’ici.
« Nicolas Sarkozy a changé, a-t-il ainsi assuré le 12 octobre sur BFM-TV. Il a tiré les leçons de l'expérience du pouvoir, de l'échec au pouvoir et des blessures et des épreuves qu'il a traversées. » Dont acte. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ancien premier ministre fait désormais figure de soutien. Et il n’est pas le seul. Depuis que le retour de l’ex-chef de l’État est acquis, les censeurs d’hier sont rentrés dans le rang. Les velléités d’émancipation sont remisées au placard. Ceux qui n’avaient pas de mots assez durs pour dépeindre Nicolas Sarkozy lorsqu’ils s’en pensaient définitivement libérés semblent soudainement frappés d’amnésie.
Pour dresser le portrait du nouveau candidat à la présidence de l'UMP, Mediapart s’est replongé dans les écrits et les entretiens de ses anciens ministres, mais aussi des dirigeants étrangers et des journalistes qui l’ont côtoyé durant son mandat. Ceux qui l’ont entendu déclarer, un matin de mars 2012, qu’en cas de défaite, il arrêterait la politique. Et s’autorisaient depuis à parler sans langue de bois. S'y dessine en creux le portrait d'un homme méprisant, autocentré et changeant. Redoutable sur la forme, versatile sur le fond. Un homme qui a conduit sa famille politique à la défaite en 2012 et qui continue pourtant à la fasciner.
« On peut aimer Nicolas Sarkozy, ou le détester, le vouer aux gémonies, lui tresser des louanges, éprouver pour lui des sentiments intérieurs ou aucun, le vomir, tout continue de se presser et de grouiller autour de lui », résumait son ancien ministre de l'agriculture, Bruno Le Maire, dans Jours de pouvoir (Éd. Gallimard, 2013). « Ils se rangeront derrière lui comme des moutons... », déplorait encore début juillet celui qui entend désormais le concurrencer dans la course à la présidence de l'UMP.
« Où est-il le front anti-Sarko dont on nous rebattait les oreilles avant l’été ? a récemment plaisanté Brice Hortefeux dans Le Nouvel Observateur. Je ne vois rien, je n’entends rien. Xavier Bertrand, qui l’attaquait tous les matins, il est où ? Sous la table ? Et Bruno Le Maire ? Il est devenu drôlement prudent… » De fait, Brice Hortefeux, « l'ami de trente ans », a de quoi sourire. La prophétie moutonnière de Le Maire s’est bel et bien réalisée.
En l’espace de quelques mois, le ton a changé. Les mots aussi. Depuis le 6 mai 2012, on disait le président battu « impulsif », « narcissique », « coupé du réel » et « obsédé par l’argent ». Deux ans plus tard, c’est son « énergie », son « expérience » et sa capacité à « faire la synthèse » des différentes sensibilités de la droite, qui sont mises en avant. « L'autorité » a remplacé « l'autoritarisme ». Il aura suffi d’un été pour roder les éléments de langage. La campagne de 2007 est désormais citée en exemple. Le mandat de Sarkozy est valorisé au regard de celui de François Hollande. Quant à l’épisode de 2012, on le qualifie certes d’« erreur », mais en prenant soin de l'imputer à Patrick Buisson, l’ex-conseiller sulfureux aujourd’hui voué aux gémonies après avoir enregistré l’ancien président en secret.
Parce que Jean-François Copé craignait qu’il ne tourne « au règlement de comptes » avec le président déchu, l'inventaire du quinquennat Sarkozy, réclamé par plusieurs ténors de l’UMP, n'a jamais été fait collectivement. Qu'importe. D'anciens membres du gouvernement s’en sont personnellement chargés. L’une des premières fut Roselyne Bachelot. Dans À feu et à sang (Éd. Flammarion, 2012), paru quelques jours après les législatives, l’ancienne ministre de la santé et des sports livrait les coulisses d'une « campagne (présidentielle) hystérique » et « désorganisée », où « l’inclinaison droitière » des analyses politiques du président-candidat avait surpris plus d’un élu de droite.
Elle y décrivait surtout la dérive d’« un homme seul », « coupé du réel », qui « n’écoute que lui-même et ses conseillers ultra-conservateurs » et réduit ses ministres « au rôle de chandelier décoratif ». « Quand le président se plaint de ne pas être soutenu par ses ministres, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même, écrivait-elle. Je trouve injuste cette façon que notre candidat a (…) d’écarter ses ministres comme s’ils étaient malades d’une peste qu’il a lui-même inoculée. »
Cette façon que Nicolas Sarkozy a eue, durant son mandat, de mépriser les membres de son gouvernement – au point de rabaisser son premier ministre, François Fillon, au simple rang de « collaborateur » – a également été racontée par Franz-Olivier Giesbert dans deux de ses livres. Après avoir brossé le portrait d’un président égocentrique, tyrannique et hystérique dans M. Le Président (Éd. Flammarion, 2011), l'ancien directeur de publication du Point expliquait dans ses Derniers Carnets – consacrés en grande partie à 2012 – comment les humiliations ordinaires infligées par Nicolas Sarkozy à ses ministres s'étaient retournées contre lui en fin de quinquennat.
Il y relatait notamment une scène opposant l'ex-chef de l'État à Laurent Wauquiez, quelques mois avant l'élection présidentielle. Le député et maire du Puy-en-Velay n’avait pas apprécié que Nicolas Sarkozy souhaite recueillir seul les fruits du sauvetage de l’entreprise Lejaby, sise dans son département de Haute-Loire. Quatre mots lui suffirent à le lui signifier : « Va te faire foutre ! » « C’est ce que lui disent désormais les regards de maints caciques de la majorité qui entendent lui faire payer les humiliations passées », écrivait encore Giesbert.
Dans Le Monarque, son fils, son fief (Éd. du Moment, 2012), Marie-Célie Guillaume, ancienne directrice de cabinet de Patrick Devedjian au conseil général des Hauts-de-Seine, décrivait elle aussi, mais de façon souterraine, un Nicolas Sarkozy despote et clanique, qui se plaisait à humilier l’« Arménien » du 9-2. « Il aura peu d’amis, à son départ, il a humilié trop de gens… », renchérissait le journaliste Patrick Poivre d’Arvor dans le livre Sarko m’a tué (Éd. Stock, 2011) de Fabrice Lhomme et Gérard Davet, qui regroupait vingt-sept témoignages de « victimes du sarkozysme ».
Une fois Sarkozy déchu, les « victimes » se sont mises à parler. Après le 6 mai 2012, les ex-ministres, qui avaient exécuté des tours de souplesse dorsale pendant cinq ans, s'autorisèrent enfin à dire ce qu'ils pensaient vraiment de l'homme et de son bilan à l'Élysée. « On n’échoue pas pour deux mois de meetings, on échoue sur ce qu’on n’a pas fait pendant cinq ans ! La leçon de cet inventaire, c’est que la réformette dans un système sclérosé est insuffisante », déclarait par exemple Laurent Wauquiez en août 2013.
Celui qui se présente aujourd'hui comme l'un des plus fervents soutiens de l’ex-chef de l'État dans sa course à l’UMP, enfonçait encore le clou dans Sud-Ouest quelque temps plus tard : « J'ai beaucoup de respect pour Nicolas Sarkozy, il y a beaucoup de choses qu'il a réussies, et d'autres non. Mais je suis convaincu que 2017 ne peut être la revanche de 2012. » C’était il y a dix mois à peine.
Bon nombre de critiques post-mandat se sont cristallisées autour de la question de la droitisation. L'ex-ministre des sports, Chantal Jouanno, fut la première à dénoncer l'orientation droitière de l'UMP pendant la campagne présidentielle. La plupart de ses anciens collègues lui ont par la suite emboité le pas, jusqu'à arriver à cette situation ubuesque où la porte-parole du candidat elle-même, Nathalie Kosciusko-Morizet, s'attaqua à la stratégie Buisson en déclarant que l'objectif de l'ancien conseiller était de « faire gagner Charles Maurras ». Le député de l'Essonne plaide aujourd'hui pour « un nouveau départ » avec Nicolas Sarkozy.
Parmi la liste des déçus, figurent également : l'ex-ministre de l'économie, François Baroin, qui a longtemps critiqué le débat sur l'identité nationale et la droitisation de l'UMP, mais vient d'apporter « naturellement » son soutien ; l’ex-ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, qui s’était déclaré non favorable à l'organisation d'un référendum sur l'indemnisation des chômeurs proposée par l'ancien président ; ainsi que l’ex-ministre de l’éducation, Valérie Pécresse, qui avait regretté la stratégie d’ouverture à des personnalités de gauche. Quant à l’ancien ministre du travail, Xavier Bertrand, candidat à la primaire de 2017, il déclarait encore récemment au Journal du dimanche : « La politique de Sarkozy n'a pas été à la hauteur. » « Il ne changera donc jamais ! » a-t-il également soufflé au journaliste qui l’interrogeait sur la volonté de l’ex-chef de l’État de « tout changer » à l’UMP.
L'un de ceux qui sont allés le plus loin dans la critique du sarkozysme est sans conteste François Fillon. Depuis deux ans, l’ancien premier ministre n’a eu de cesse d’attaquer celui dont il a pourtant défendu la politique pendant cinq ans. Sur son mandat : « Nous avons agi dans l’urgence, trop souvent au coup par coup, sans aller toujours au bout des changements nécessaires et attendus. » Sur sa façon de faire de la politique : le fillonisme « pourrait être une approche plus sereine et pragmatique des choses » que le sarkozysme ; « pour moi, la vie politique, ce n'est pas un spectacle. Un homme politique n'est pas une star, ses convictions et sa détermination ne se mesurent pas au nombre de ses émissions télévisées ».
Sur son statut autoproclamé d’homme providentiel : « Je ne suis pas né en pensant que la présidence de la République était mon destin, et je suis d'ailleurs choqué que l'on puisse raisonner de cette manière. » Sur les affaires : « Sans vouloir dissuader les vocations, le rôle du prochain président de l’UMP sera de poursuivre le redressement financier et fonctionnel de notre mouvement, de gérer aussi les conséquences des enquêtes judiciaires en cours » ; « ce ne sont pas les affaires qui participent à l'établissement d'un climat serein au sein de l'UMP et d'un lien de confiance avec les Français ».
Depuis la rentrée, Fillon déguise davantage ses critiques. Lui qui a accepté de rencontrer Nicolas Sarkozy, répète à qui veut l'entendre qu'il ne prendra partie pour aucun des candidats à la présidence de l'UMP, tout en continuant à marteler qu'« il serait bon qu'une nouvelle génération prenne ses responsabilités car (le) parti doit valoriser de nouveaux talents, de nouvelles méthodes... ».
Au-delà des promesses non tenues et de la droitisation opérée en cours de mandat, c’est bien la conception que Nicolas Sarkozy se fait du pouvoir et de son exercice qui a essuyé le plus de critiques. Dominique Paillé, son ancien conseiller à l’Élysée, ex-porte-parole de l'UMP passé depuis à l’UDI, lui a certes reproché sa « volonté permanente » de « cliver les Français », mais il a également jugé que l’ex-chef de l’État était « victime de ses propres travers et, notamment, de son incapacité à maîtriser son propre comportement lorsqu'il était président de la République ». « Ce comportement ne collait pas du tout à sa fonction », affirmait-il au Télégramme en novembre 2013.
Jean-Pierre Raffarin ne tenait pas un autre discours depuis deux ans. S’il veut désormais croire que Sarkozy « va revenir avec des idées nouvelles, avec des attitudes nouvelles », l’ex-premier ministre a longtemps regretté les « quelques faiblesses comportementales » de l’ancien président et sa « pratique un peu trop solitaire du pouvoir ». Certains s’étonneront de l’entendre aujourd'hui assurer au micro d’Europe 1 que « Nicolas Sarkozy a beaucoup réfléchi sur son quinquennat, sur ses projets », lui qui estimait, il y a quelques mois à peine, que l’ancien président était beaucoup trop présent médiatiquement pour élaborer un projet qui exige « silence (ce qu’il ne fait pas suffisamment) ».
Auprès de ses visiteurs de la rue de Miromesnil, Nicolas Sarkozy s’enorgueillit d’avoir beaucoup voyagé au cours des deux dernières années. Ses conférences rémunérées lui ont non seulement permis d'engranger des centaines de milliers d'euros en dissertant sur la politique internationale, mais elles lui ont également offert l'opportunité de se placer, aux yeux de ses interlocuteurs, au-dessus de la mêlée franco-française. S’il prend soin de communiquer sur ses “rencontres privées” avec certains de ses anciens homologues, l’ex-chef de l’État n’a pas toujours entretenu avec eux de bonnes relations.
Son “je t'aime moi non plus” avec Angela Merkel a notamment largement nourri la chronique de son quinquennat. Longtemps, la chancelière allemande l’a surnommé « Monsieur Blabla », moquant ses gesticulations à travers l’expression « président Duracell » et recevant en cadeau de son mari un Louis de Funès censé l'aider à cerner son homologue français. Outre-Rhin en 2010, les interlocuteurs de Mediapart évoquaient « l'arrogance », « l'ego surdimensionné », « l'hyperactivité » et « les maladresses » du « président bling-bling » français. Des qualificatifs recyclés plus tard par l’ancien chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, qui avait indiqué au quotidien Il Giornale que « l’ancien président Nicolas Sarkozy est une personne dont l’arrogance l’emporte sur l’intelligence ».
À l'étranger, nombreux furent ceux à regretter que Nicolas Sarkozy privilégie trop souvent la forme sur le fond. Un exemple parmi tant d'autres : ce témoignage d'un proche conseiller du président géorgien, Mikheïl Saakachvili, évoquant la façon dont l'ancien président avait fait signer son plan de paix européen en pleine crise géorgienne de 2008. « Il fallait le voir, Sarkozy, incapable de rester assis plus de dix secondes et l'œil rivé sur sa montre. (...) On aurait dit un lapin cocaïnomane ! Si “Micha” a signé, c'est qu'il n'avait guère le choix. Pourtant, dans ce fameux accord, il n'y a pas un seul tracé précis, pas le moindre zonage, pas l'ébauche d'un calendrier de retrait... Quant aux sanctions en cas de non-respect des engagements, n'en parlons même pas ! »
Pendant cinq ans, l'ex-chef de l'État a été perçu exactement de la même façon à l'étranger qu'en France. Les ambassadeurs et conseillers rencontrés par le journaliste Gilles Delafon pour son livre Le Règne du mépris – Nicolas Sarkozy et les diplomates (Éd. du Toucan, 2012) ont eux aussi décrit un homme méprisant et obsédé par le tout médiatique. Des traits de caractère qui figurent encore dans le portrait au vitriol dressé par l'Américain Philip Gourevitch dans No Exit (Éd. Allia, 2012) : « exhibitionniste et opportuniste », « sans vergogne et impitoyable dans sa quête du pouvoir », « autocratique et éhonté dans sa façon de l’exercer »...
« J'ai toujours entendu dire qu'on ne changeait jamais. Personne. Ni vous ni moi », a réagi François Fillon sur RTL, le 17 septembre. L'ancien premier ministre a beau répéter à ses soutiens qu’il « méprise la caporalisation et les pressions qui pourraient s'exercer » sur eux, rien n’y fait : les vieilles méthodes de communication de “Sarkozy la menace” font de nouveau mouche. Pendant que ses ennemis d'hier jouent au roi du silence, lui s'offre un vernis de “grand rassembleur de la droite”.
Pendant deux ans, son image ne s’est pourtant pas améliorée dans l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé durant le quinquennat. Au contraire, elle a plutôt eu tendance à se détériorer sous l'effet dévastateur du “pas de deux” et des “cartes postales”. En témoigne la violence des nombreux “off” qui accompagnent aujourd'hui son retour. Les critiques sur l’homme et sa façon d’utiliser le pouvoir – y compris pour se protéger judiciairement – sont toujours aussi vives. Mais à présent, elles se murmurent.
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