Le 8 avril, la députée socialiste Nathalie Chabanne (Pyrénées-Atlantiques) faisait partie des onze députés socialistes qui s'étaient abstenus sur la déclaration de politique générale de Manuel Valls. Cinq mois et un remaniement plus tard, cette jeune élue de 41 ans, qui appartient à l'aile gauche du PS, s'apprête à faire de même ce mardi 16 septembre, alors que le premier ministre sollicite à nouveau la confiance de sa majorité. Une vingtaine de ses collègues socialistes pourraient l'imiter. Entretien.
Que voterez-vous demain ?
Je me dirige vers une abstention. Rien dans le discours actuel du premier ministre ni dans les annonces du gouvernement ne me pousse à un vote positif. Je n'irai pas non plus vers un vote contre, car je crains qu'il y ait une dissolution dont on nous rendrait responsables. Attention, que ce soit clair : je n'ai pas peur pour mon poste, c'est le cadet de mes soucis. Mais je crains l'explosion du PS qui en découlera. Je crains que l'on ne nous pointe du doigt, sur le thème : « Si nous n'arrivons pas à gouverner c'est à cause de ces "frondeurs", ces "irresponsables", c'est à cause d'eux que la droite revient." » Si nous ne votons pas la confiance, il y aura une dissolution. Même si elle n'est pas automatique, François Hollande ne nommera pas un troisième premier ministre. Et je ne veux pas porter la responsabilité de faire revenir au pouvoir une droite totalement décomplexée. Si la droite revient, elle fera pire que ce que fait aujourd'hui Manuel Valls.
Mais si vous n'êtes pas d'accord, pourquoi ne votez-vous simplement pas contre demain ? Votre « Retenez-moi ou je fais un malheur » est-il tenable ?
De nombreux militants, même les plus en colère, estiment que notre légitimité ne passe pas forcément par un vote négatif. Mais je comprends parfaitement cette position qui, au-delà du PS, est aussi exprimée par des électeurs de François Hollande en 2012.
Jean-Luc Mélenchon, par exemple, vous a de nouveau ce week-end taxés de « couteaux sans lame »…
Oui. Je l'entends. Moi-même je me suis interrogée sur le sens de mon abstention. À vrai dire, je me suis même interrogée sur le sens de ce vote : nous avons déjà voté il y a cinq mois, je ne vois pas l'utilité de refaire un vote de confiance.
Y a-t-il des pressions avant le vote de demain ?
J'attends de voir demain combien nous serons à nous abstenir. Il ne faut pas perdre de vue les coups de fil que les uns et les autres nous allons recevoir, plus ou moins aimables, d'ici demain. Moi j'ai été appelée ce week-end, mais ils connaissent déjà ma position ! (rires) Donc je ne fais pas partie de ceux sur lesquels s'exercent des pressions !
Sur quoi les pressions portent-elles: de futures investitures, des places au sein du PS, la menace de la dissolution ?
Personnellement, je n'ai pas entendu parler des investitures. Mais l'argument de la dissolution est souvent employé : c'est faire peur, en jouant sur la dramaturgie de la situation actuelle. On nous dit : "Tu vas provoquer le retour de la droite, et donc d'une politique encore plus dure pour la population."
Finalement, Manuel Valls et François Hollande n'ont-ils pas réussi leur pari ? Vous critiquez beaucoup, mais sans jamais passer à l'acte...
Il est vrai que nous n'arrivons pas toujours à faire entendre nos propositions alternatives concrètes et pouvons donner le sentiment de nous opposer au gouvernement par idéologie. Au départ, nous avons voulu exprimer notre désaccord sur la ligne économique. Mais nous n'avons pas voulu ajouter de la discorde en formulant des propositions alternatives. Et au sein des "frondeurs", nous n'étions pas tous d'accord. Mais désormais, des alternatives, nous en avons. Or de nombreux médias ne cherchent pas à les connaître. Quand on vous traite de « cigales » dépensières en opposition aux « fourmis » sérieuses du gouvernement, je trouve ça décevant de la part des journalistes !
Avant de nous traiter d'irréalistes, d'affreux gauchos et d'utopistes, que l'on regarde ce que nous proposons sur le fond ! Nous sommes les porte-voix de ce que ressentent nombre de militants. Des porte-voix qui s'égosillent ? Peut-être. Mais ce débat est indispensable. Le PS a toujours fonctionné comme ça. « Un homme, une politique, une seule voix », ce n'est pas la solution pour avancer ! J'ai l'impression qu'on veut réduire le débat au sein du parti. Mais beaucoup de militants sont attachés à la confrontation des idées.
Justement, quelles alternatives proposez-vous ?
Peu à peu, nous avons réussi à nous mettre d'accord sur l'idée qu'il faut répartir autrement les 41 milliards d'économies. Nous faisons par ailleurs une priorité de la question des déficits. Au niveau de l'Union européenne, il faut remettre frontalement en cause la politique bruxelloise en affirmant que la réduction de déficits imposée par Bruxelles est une catastrophe qui mène nos États vers l'austérité. La France doit être en pointe et beaucoup plus offensive. Il faut aussi d'urgence un plan de relance de l'activité. Je n'ai rien contre l'entreprise, mais les propositions du Medef ce lundi matin dans la presse (réduire les jours fériés, toucher au Smic, ndlr) sont inacceptables.
Est-ce une provocation de la part du Medef ?
C'est surtout le programme sur lequel Pierre Gattaz a fait campagne. Il est en train de mener une vraie offensive sur ces thèmes. En cela, c'est beaucoup plus dangereux qu'une simple provocation.
Mais ces idées ont aussi le vent en poupe du côté de l’Élysée et de Matignon, non ?
Oui. Mais c'est oublier que notre maillage industriel, ce sont d'abord des PME, leurs patrons et leurs salariés. Ils se battent pour conserver l'emploi et leur savoir-faire alors qu'ils sont parfois en situation difficile, souvent à cause des grandes entreprises d'ailleurs ! Il est donc de notre devoir de les soutenir, et vite !
Manuel Valls semble avoir d'autres idées en tête, de la remise en cause des seuils sociaux à un assouplissement du travail dominical.
Oui. Cela dit on n'entend plus beaucoup parler d'ordonnances pour faire passer ces dispositions, comme c'était le cas fin août. Il semble qu'on en revienne à un processus législatif plus classique. Et tant mieux ! Je veux bien tout entendre, mais le recours aux ordonnances serait quand même le symptôme extrême des limites de la Cinquième République…
Que vous dit-on dans votre circonscription des affaires récentes, de Thomas Thévenoud au livre de Valérie Trierweiler?
Le livre, on ne m'en parle plus car les gens ont compris que c'était une revanche personnelle. Mais l'affaire Thévenoud, oui, on en parle beaucoup car nos concitoyens sont en train de recevoir leurs feuilles d'impôt, et ils voient ce député qui ne déclarait pas ses revenus et mettait du temps à payer ses impôts. La solution, c'est une vraie réforme fiscale : les gens sont d'accord pour payer des impôts, mais ils ne voient plus à quoi ils servent. Ils voient leurs impôts augmenter, mais ne voient pas de résultats. Ils savent que l'on aide les entreprises grâce à ces impôts, mais ne les voient pas embaucher. Sur ce thème, nous sommes confrontés de la part de nos électeurs à des remarques assez assassines, mais justifiées. Cette affaire Thévenoud est très grave. J'ai été élue députée en 2012. Certains forment en nous, les jeunes parlementaires, des espoirs de nouvelles pratiques politiques. Que cette affaire concerne un jeune parlementaire me désole.
Attendez-vous encore quelque chose du discours de Manuel Valls, mardi à l'Assemblée, ou de la conférence de presse de François Hollande, jeudi ?
Je n'oublie quand même pas que le pacte de responsabilité a été annoncé lors de la dernière conférence de presse ! (rires) Donc, oui, il faudra écouter ! Mais évidemment, je crains d'être déçue. Ça ne m'empêche pas d'espérer. J'aimerais déjà que le premier ministre laisse aux parlementaires la plénitude de leurs fonctions et garantisse leur droit d'amender les textes.
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