C’est la troisième fois en deux ans. En engageant militairement la France en Irak, François Hollande confirme son statut de président le plus interventionniste de la Ve République en si peu de temps. À chaque fois, le même argument est avancé : la lutte contre le terrorisme, que ce soit au Mali et en Centrafrique depuis 2013, aujourd’hui en Irak ou demain, probablement, en Libye. À tel point que le président français est régulièrement taxé de néoconservateur, et accusé de s’aligner sur les États-Unis.
Lundi, à l’occasion de la conférence sur la paix et la sécurité en Irak, organisée à Paris avec une trentaine d’États représentés, le chef de l’État français a de nouveau défendu la nécessité de frapper militairement l’État islamique (EI), que les autorités françaises n’appellent plus désormais que par son acronyme en arabe, Daech, pour lui dénier le droit de constituer un État. « Les États-Unis ont agi pour former une large coalition. La France y prendra sa part », a-t-il expliqué.
Un peu plus tôt, Jean-Yves Le Drian avait indiqué dans un discours devant les forces françaises positionnées aux Émirats arabes unis : « Soyez donc prêts à devoir intervenir. » Il a également précisé que « dès ce matin (lundi, ndlr), de premiers vols de reconnaissance auront lieu avec l’accord des autorités irakiennes et émiriennes ». Depuis le mois d’août, la France a également « livré plus de 60 tonnes de matériel » dans le cadre de son opération humanitaire en Irak. Elle devrait prochainement fournir du matériel militaire aux combattants irakiens, notamment kurdes, qui luttent contre l’État islamique.
Sans surprise, François Hollande a surtout insisté lundi sur la nécessité de la lutte contre le terrorisme, qualifiée de « menace globale ». Même si la référence est involontaire, la rhétorique rappelle évidemment celle de George W. Bush et sa guerre globale contre le terrorisme. « Telle est la menace, elle est globale, la réponse doit donc être globale », a expliqué lundi François Hollande qui a rebaptisé la conférence « sur la paix et la sécurité en Irak, et contre le terrorisme ».
Il faut « punir tous ceux qui sont associés de près ou de loin » à l’EI, a-t-il également déclaré, avant de redire sa volonté de « punir les responsables ». « Punir », c’était déjà le terme, très contesté à l’époque, que le président français avait utilisé pour appeler à des frappes militaires contre le régime de Bachar al-Assad. Et comme il y a un an, Hollande est prêt à intervenir militairement sans mandat de l’Onu. Quant aux procédures françaises, il n’a, cette fois, même pas évoqué l’organisation d’un débat parlementaire.
Surtout, François Hollande a fait le lien entre l’intervention militaire en Irak et le risque terroriste qui pèse sur la France. « Alors que la France se tient prête dans ces moments décisifs pour sa sécurité, car c’est bien aussi la sécurité de la France que menace Daech, ce pseudo-État islamique », avait déjà déclaré depuis Abou Dhabi le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Une rhétorique déjà abondamment utilisée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui défend à l’Assemblée son projet de loi antiterroriste. « Nous faisons face à une menace inédite, par sa nature et par son ampleur. (…) Face à ce phénomène inédit, notre riposte est globale : nous combattons les terroristes à l'intérieur et à l'extérieur », a-t-il expliqué au JDD.
Selon Cazeneuve, la France fait face à un risque d’attentat : « Cette menace est diffuse. Et d'autant plus dangereuse. » « Nous sommes obligés de nous défendre parce que nous sommes au bout du fusil », juge également Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Un des principaux responsables de la lutte antiterroriste en France, Loïc Garnier, à la tête de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), a même affirmé lundi : « Aujourd'hui, nous n'en sommes plus à nous demander s'il y aura un attentat en France, mais quand. » À tel point que certains médias en sont à dresser un pseudo-portrait-robot du « prochain attentat terroriste en France ».
Là encore, le parallèle avec les États-Unis interroge. Bush avait résumé le pilier de sa doctrine par la phrase suivante : « Mener le combat contre l’ennemi chez lui avant qu’il ne puisse nous attaquer chez nous. » Cela a mené les États-Unis durant les années 2000 à développer le concept des « frappes préventives », les interventions dans des pays qui ne représentaient pas une menace immédiate (Irak, Pakistan) et, d’une manière générale, la permanence d’actions militaires aux quatre coins de la planète, de la Somalie au Waziristan.
L’Élysée et le Quai d’Orsay réfutent de façon virulente tout parallèle entre leur politique et celle de Bush. Si les États-Unis ont attaqué l’Irak sous prétexte d’une menace imaginaire (les armes chimiques), il s’agit cette fois, a expliqué en privé Laurent Fabius, de frapper à la demande de l’État irakien une menace avérée. Pour le chef de la diplomatie française, on assiste actuellement à un changement de paradigme international dans un monde qui se décompose.
Reste que la France est déjà engagée sur de nombreux terrains, au maximum sur ses capacités militaires, avec des résultats très contestés. Au Mali, l’opération Serval est devenue l’opération Barkhane. Le changement n’est pas uniquement sémantique puisque le théâtre d’opération des militaires français n’est plus le seul Mali, mais aussi les pays alentour : Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad. Si la logique antiterroriste est évidente, les djihadistes et les trafiquants de tous acabits qui leur sont associés passant aisément d’un territoire à l’autre, la question du mandat est confuse et la question politique assez faiblarde.
Contrairement à l’intervention malienne de janvier 2013 (officiellement à la demande du président de l’époque et sous la menace des combattants venus du Nord), les soldats français de Barkhane opèrent au nom d’accords bilatéraux avec les cinq pays concernés et donc avec des règles d’intervention qui changent d’une nation à l’autre. Quant à la gestion politique de cette crise qui affecte le Sahel, elle semble toujours au point mort.
« La crise politique malienne, à l’origine de l’affaissement de l’État qui a suscité l’intervention française, n’est absolument pas résolue, soupire un diplomate européen en poste à Bamako. Le président Ibrahim Boubacar Keita s’est coulé dans les habits de ses prédécesseurs et il traîne des pieds pour entreprendre les réformes ou renouer le dialogue avec les Touaregs. Quant à la formation de l’armée malienne par les Européens, on nous dit que cela va durer des années… »
Sur France Info, le général Palasset, en charge de l’opération Barkhane, parle d’une durée minimum de trois ou quatre ans. Connaissant les prévisions généralement optimistes des militaires dans ce domaine, il faut admettre que la France est réengagée lourdement et pour très longtemps dans cette partie du Sahel.
De plus, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a récemment appelé à « agir en Libye », estimant que Barkhane pourrait être amené à « monter vers la frontière libyenne ». La Libye est pourtant l’exemple d’une intervention militaire décidée sans réel accompagnement sur le long terme, qui finit par se retourner contre ses initiateurs. À la dictature libyenne a succédé un état de chaos qui menace de basculer dans une « beyrouthisation » de la capitale Tripoli.
Depuis le début de son mandat, François Hollande donne en tout cas le sentiment de céder aux sirènes néoconservatrices, du moins de se laisser aller à l’air du temps (lire notre enquête). Ou à un « interventionnisme libéral » assez désidéologisé, comme l’estime le chercheur Christian Lequesne, auteur d’un article récent sur la politique extérieure de la France. « Il y a aujourd’hui un assez grand consensus chez les diplomates français, de gauche comme de droite, pour dire que la coercition militaire fait partie des outils de la diplomatie. Depuis Nicolas Sarkozy, et aujourd’hui avec François Hollande, le vieux paradigme gaullo-mitterrandien n’est plus l’état d’esprit », explique-t-il à Mediapart.
Un dernier diagnostic partagé par Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur. « On est dans la gestion de crise, sans donner de perspectives plus lointaines. Et on n’est plus du tout dans la tradition gaullo-mitterrandienne. Il s’agit plutôt d’une tendance occidentaliste, celle d’un Occident qui devrait affirmer ses valeurs, comme sous Nicolas Sarkozy », décrypte-t-il. Selon lui, une partie de l’opinion publique des pays arabes risque de percevoir la France comme étant à la remorque des États-Unis, dans une coalition où elle n’aurait que peu d’indépendance. D’autant plus que, selon Aubin de la Messuzière, la France a abdiqué tout rôle dans le conflit israélo-palestinien.
En Irak, et peut-être même en Syrie, « notre rôle sera modeste, il s’agit d’un rôle d’appoint par rapport aux États-Unis », dit aussi François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran. Mais, insiste l’ex-diplomate, la France fait tout « pour se poser dans le champ médiatique comme une puissance motrice, à l’initiative ».
Selon plusieurs sources, Paris a demandé à Washington de conserver un minimum de marge de manœuvre. « Il y a deux choses qui inquiètent l’Élysée : la légitimité de l’intervention et le souci de ne pas trop dépendre des Américains », analyse un diplomate du Quai d’Orsay. Avant d’ajouter : « Pour la première, c’est réglé grâce à l’appel à l’aide du premier ministre irakien. Pour le deuxième, c’est plus compliqué : les Américains ont des moyens et des renseignements que nous n’avons pas. Il est donc délicat d’être complètement autonomes à leur égard, et en même temps, on ne veut pas se retrouver embarqué dans une guerre qu’on ne maîtrise pas. » Une frappe française qui ferait des victimes civiles sur la base d’un renseignement américain aurait un effet dévastateur.
Mais sur le fond, précise encore ce diplomate qui se dit plus proche de l’UMP que du PS, « Hollande fait partie de cette génération de socialistes, comme Fabius, qui se veulent réalistes et décidés à dépasser ce qu’ils estiment être un vieux tropisme de gauche : le non-interventionnisme et le pacifisme ».
Si Barack Obama est apparu comme un « guerrier réticent », selon une expression que l’on retrouve de plus en plus dans la presse américaine, refusant de bombarder la Syrie en 2013 et se mobilisant contre l’État islamique sous la pression de la droite américaine, François Hollande semble même aimer se draper dans des habits martiaux. Il avait ainsi déclaré, peut-être submergé par l’émotion lors de sa visite au Mali en février 2013 : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique, parce qu'à un moment une décision doit être prise, elle est grave, elle engage la vie d'hommes et de femmes. »
« Hollande est comme tous les présidents de la Ve République qui arrivent à l’Élysée », confiait il y a quelques semaines un général en retraite à qui l’on demandait si l’actuel président ne se précipitait pas un peu trop pour intervenir à l’étranger. « Il découvre que l’armée est une institution qui fonctionne au quart de tour et sans poser de questions. Il suffit de prendre une décision et, 48 heures plus tard, des centaines de soldats français interviennent à l’autre bout du monde avec généralement la plus grande efficacité. C’est très grisant d’appuyer sur un bouton et d’obtenir un résultat immédiat. »
Le président français espère aussi que son interventionnisme à l’étranger lui permette de conserver ce qui lui reste de popularité en France. Il sert en outre à exercer une pression supplémentaire sur les députés rétifs, qui hésitent à voter la confiance que demandera mardi à l’Assemblée le premier ministre Manuel Valls.
Plusieurs responsables de la majorité expliquent aussi depuis plusieurs jours que les débats sur la politique économique ne sont pas à la hauteur, alors que la France est sous la menace d’un attentat terroriste et qu’elle s’engage en Irak. « Il faut sortir de l’hémicycle : la France s’engage en Irak ; le président a besoin d’appuis sur la scène européenne et le FN est le troisième parti de France. L’enjeu du vote de confiance est à cette hauteur-là », affirmait récemment un proche de François Hollande. Pas sûr que la ficelle, grossière, soit non plus à la hauteur.
BOITE NOIREUn vif débat sémantique fait rage sur le nom de l’État islamique (EI), d’abord appelé État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et que les autorités françaises refusent désormais de désigner autrement que par l’acronyme en arabe Daech (ou Daesh, ou Da’ech). Quant au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, il ne parle plus que des « égorgeurs de Daech ».
« Vous avez parlé d'un prétendu “État islamique” : permettez-moi de revenir, un instant seulement, sur cette expression. Le groupe terroriste dont il s'agit n'est pas un État. Il voudrait l'être, il ne l'est pas, et c'est lui faire un cadeau que l'appeler “État”. De la même façon, je recommande de ne pas utiliser l'expression “État islamique”, car cela occasionne une confusion entre l'islam, l'islamisme et les musulmans. Il s'agit de ce que les Arabes appellent “Daech”, et que j'appellerai pour ma part “les égorgeurs de Daech” ! », a justifié Laurent Fabius devant le Parlement, comme l’a relevé Marianne.
Mais ce choix sémantique – récent de la part de la France – est contesté, y compris par des chercheurs spécialistes de la région. C’est par exemple le cas de Romain Caillet, qui considère que « l’acronyme Daech est un terme impropre et péjoratif, utilisé par les opposants à l’État islamique ». « Si en langue arabe il peut y avoir une légitimité à l’employer, son utilisation en français est clairement idéologique », explique-t-il.
À Mediapart, nous continuons à parler d’État islamique (EI), évidemment pas en signe de soutien avec ce groupe terroriste, mais par souci de cohérence dans notre couverture journalistique.
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