Plus personne n'en doute: le 28 septembre, lors du renouvellement sénatorial, la gauche va perdre la majorité qu'elle détenait dans la Haute Assemblée depuis novembre 2011. Il y a trois ans, le Sénat avait basculé à gauche, une alternance historique. Dans deux semaines, sauf très grande surprise, la parenthèse va se refermer – sans que ces deux ans n'aient vraiment marqué l'histoire politique. Si le Sénat n'a pas le dernier mot en matière législative, le retour d'une majorité de droite risque tout de même de compliquer un peu plus les affaires du gouvernement, déjà aux prises avec une rébellion d'une partie de ses troupes à l'Assemblée nationale.
Les candidats aux sénatoriales avaient jusqu'à ce vendredi 12 septembre pour déposer leurs listes. Mais les états-majors ont déjà fait leurs calculs. Pour la gauche, le Sénat semble irrémédiablement perdu. Même Jean-Pierre Bel, son président socialiste depuis 2011, qui a décidé d'arrêter la politique et ne sera pas candidat, en convient désormais en privé. En mars, avant les municipales, ce proche de François Hollande espérait un tout autre scénario. Le Sénat « restera à gauche », professait-il. Mais c'était juste avant la débâcle socialiste aux municipales de mars 2014.
Tous les trois ans, la moitié des sénateurs est élue au suffrage indirect, au scrutin majoritaire (à deux tours) ou proportionnel (un seul tour) selon les départements. Les 87.000 grands électeurs qui voteront le 28 septembre sont issus à 95% des conseils municipaux. Or le seul PS a perdu en mars dernier 30.000 de ses 60.000 élus, une litanie de communes et de communautés de communes. Il a également vu lui échapper la présidence de quasiment toutes les grandes associations d'élus locaux, puissants relais d'influence dans une campagne sénatoriale. Dans une moindre mesure, les communistes et les radicaux de gauche ont eux aussi perdu des plumes.
La victoire de la droite est donc mathématique. D'autant qu'à part quelques accords locaux, notamment pour garantir au président du parti radical de gauche, le multi-cumulard Jean-Michel Baylet, sa réélection dans le Tarn-et-Garonne, PS, radicaux de gauche et communistes partent désunis. « On part un peu les uns contre les autres », admet le sénateur Luc Carvounas, secrétaire national du PS aux relations extérieures. Quant aux écologistes, aucun de leurs dix sénateurs n'est renouvelable cette fois-ci. Eux, le PRG et les communistes garderont en tout état de cause leur groupe parlementaire.
Cette logique des chiffres risque d'être aggravée par le contexte politique, à commencer par les polémiques les plus récentes, de l'affaire Thévenoud au livre de Valérie Trierweiler. « Sur le marché chez moi la semaine dernière, j'ai eu huit Thévenoud et deux Trierweiler » se désole un membre du gouvernement. La réforme territoriale, adoptée cet été en première lecture à l'Assemblée nationale, arrive au Sénat en octobre. Elle passe mal auprès des élus, de même que les 11 milliards de réduction des dotations aux collectivités locales d'ici 2017.
« Ça va être extrêmement difficile. Nous sommes challengers », expliquait dès la fin du mois d'août Christophe Borgel, secrétaire national du PS aux élections. « Le climat politique est mauvais pour nous, je l'assume. Il n'est pas bon, parce que nous avons du vent dans le nez... (…) Nous ne sommes pas favoris, mais il y a des challengers qui ont créé la surprise », veut croire Didier Guillaume, le président du groupe PS au Sénat, qui court lui-même après sa réélection dans la Drôme.
Depuis 2011, PS, écologistes, radicaux de gauche et communistes possèdent 178 sièges. Avec 128 sièges, le PS n'a pas la majorité à lui tout seul. Il doit compter avec des alliés parfois exigeants, comme les radicaux de gauche, ou en désaccord avec sa politique, comme les communistes, qui ont plusieurs fois refusé de voter des votes budgétaires. La droite, elle, détient 161 sièges. (UMP et UDI).
Cette année, le renouvellement porte sur les sénateurs élus en 2008. Il concerne 58 départements métropolitains (de l'Ain à l'Indre et du Bas-Rhin au Territoire de Belfort), la Guyane, quatre collectivités d'outre-mer et la moitié des sénateurs représentant les Français de l'étranger, soit 178 sièges au total:
Selon le PS, la droite pourrait totaliser au soir du 28 septembre entre 2 et 15 sièges d'avance. A droite, on évoque une fourchette plus réduite, entre 6 et 9 sièges.
D'après les chiffres inédits de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire, la gauche pourrait perdre au total entre 27 à 31 sièges, ce qui lui coûterait la majorité absolue dans tous les cas. Le tsunami des municipales a en effet été trop puissant pour que la réforme du mode de scrutin d'août 2013, censée avantager la gauche en attribuant davantage de poids aux délégués élus dans les grandes villes, puisse renverser la tendance.
En considérant les seules villes de plus de 10.000 habitants des départements renouvelables en France métropolitaine, le PS a perdu 29 villes au profit de l'UMP. Sept sont passées à l'UDI, et cinq au Modem ou à des divers droite. La droite a également conquis sept villes PRG, et cinq municipalités Front de gauche. La longue liste des défaites dans des villes plus petites accroît encore le cheptel des grands électeurs favorables à la droite.
En Corrèze, le fief de François Hollande où la gauche a perdu en mars des villes emblématiques (Brive, Ussel etc.), les deux sénateurs sont socialistes. La droite (qui part tout de même divisée) pourrait ravir ces sièges au PS. Ce serait une défaite de plus infligée au chef de l'Etat, d'autant que son conseiller à l'Elysée, le maire de Tulle Bernard Combes, est lui-même candidat. Les pertes risquent également d'être lourdes dans l'Aude, les Bouches-du-Rhône, en Charente, en Dordogne, dans la Drôme, dans la Haute-Garonne, la Gironde, l'Hérault, en Haute-Vienne etc.
Dans le Territoire de Belfort, le siège de l'ancien ministre Jean-Pïerre Chevènement, qui ne se représente pas, devrait passer à droite.
Le scrutin de 2017 sera d'ailleurs encore plus meurtrier pour la gauche: les départements renouvelables dans trois ans (de l'Indre-et-Loire aux Pyrénées-Orientales, mais aussi Paris et toute l'Ile-de-France) lui sont globalement défavorables: le Sénat n'est donc pas près de repasser à gauche...
A gauche, certains minimisent la victoire annoncée de la droite. « On va gagner du temps au lieu de s'escrimer à créer des compromis qui n'engagent finalement pas grand-monde », disait cet été le président de la commission des lois de l'Assemblée Jean-Jacques Urvoas.
« On va perdre le Sénat. Tout le monde s'en moque pour l'instant, parce qu'ils ne connaissent pas cette institution. Mais nous risquons vite de découvrir ce qu'est un Sénat d'opposition…», s'inquiète au contraire un ministre de Manuel Valls. La droite majoritaire pourrait en effet user de toutes les procédures à sa disposition pour retarder l'examen des textes de loi. Voire se livrer à une véritable obstruction sur des textes emblématiques, comme les textes budgétaires ou la réforme territoriale.
Signe que la droite sait sa victoire acquise, les candidatures se multiplient pour la succession de Jean-Pierre Bel. La centriste Nathalie Goulet s'est déclarée. Mais c'est des rangs de l'UMP que sortira le futur président. L'ancien premier ministre Jean-Pïerre Raffarin, l'ex président du Sénat Gérard Larcher ou l'outsider Philippe Marini ont annoncé leur candidature. En cas de victoire de la droite, ils seront départagés par une primaire interne le 30 septembre.
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