C’est une procédure de consultation citoyenne comme il en existe des milliers en France : le 15 septembre, s’ouvre en Bretagne une enquête publique concernant un projet de centrale à gaz à cycle combiné à Landivisiau (Finistère), développé par la Compagnie électrique de Bretagne (CEB), une société créée par Poweo-Direct Energie et Siemens. Jusqu’à la fin du mois d’octobre, les habitants sont invités à consulter le dossier du futur site de production d’électricité et à faire connaître leur avis.
Ce qu’ils ignorent, c’est que l’État a suivi de très, très près les conditions de déroulement de cette opération. Au point de demander à RTE, la filiale d’EDF chargée de transporter l’électricité, de reporter ses études sur une éventuelle interconnexion sous-marine avec le réseau irlandais. Motif : « Le lancement de telles études risque d’être perçu comme un mauvais signal pour l’avenir de la centrale de Landivisiau. » En effet, s’il semble possible de brancher les consommateurs bretons sur le courant électrique issu des éoliennes irlandaises, l’utilité d’une nouvelle centrale électrique sur place pourrait se réduire. C’est pourquoi le préfet de région, Patrick Strzoda, écrit à la présidence du directoire de RTE, en avril dernier : « Je souhaiterais a minima qu’aucune étude ne soit menée près des côtes avant les élections régionales. Un tel calendrier éviterait un télescopage avec l’enquête publique de la centrale. » C’est ce qu’il écrit noir sur blanc dans un courrier que Mediapart s’est procuré, et que nous reproduisons ci-dessous.
On y découvre les préoccupations très politiques du préfet qui répercute « les fortes inquiétudes » du conseil régional, « à une échéance proche des élections régionales », qui « craint » que ces études « ne soient perçues comme un mauvais signal pour le développement des projets énergétiques renouvelables en Bretagne ». Terre socialiste, la région Bretagne était présidée jusqu’en 2012 par Jean-Yves Le Drian, actuel ministre de la défense, et très proche de François Hollande.
On y lit encore sa suggestion de « recours rémunéré » aux navires pêcheurs bretons pour les repérages en haute mer de ces mêmes études, pour en « faciliter l’acceptation sociale ». Une manière d’huiler les rouages de l’opinion publique.
Interrogée par Mediapart au sujet de ce courrier, la préfecture de Bretagne répond que « c’est pour éviter tout risque de confusion que le Préfet de la Région Bretagne avait demandé à RTE de tenir compte du déroulement de l'enquête publique dans le calendrier des études du projet d'interconnexion », car « la concomitance des calendriers aurait pu générer un risque important de confusion dans l’esprit des citoyens ».
Pour Alain Le Suavet de l’association Gaspare qui regroupe des opposants à la centrale, « le courrier du préfet est une forme de barrage à l’enquête publique, elle ne peut plus se dérouler comme prévu ». Son association demande l'arrêt du projet, ainsi que la remise à plat du Pacte électrique breton, le document de planification de l’offre énergétique en Bretagne jusqu’en 2020. Préparé par l’État, la région et RTE en 2010, c’est lui qui donne le top départ au projet de centrale à gaz : « L’implantation d’un nouveau moyen de production classique au nord-ouest de la Bretagne s’avère indispensable, et ce le plus rapidement possible », explique le document, car « le déséquilibre structurel entre la production et la consommation bretonne expose l’ensemble de la Bretagne à un risque généralisé d’écoulement de tension ». Cette centrale doit servir d’appoint au réseau en période de pointe, ce pic de consommation d’électricité en fin de journée, alors que chacun rentre chez soi. Les logements bretons sont souvent équipés de chauffage électrique, très énergivore.
Selon les estimations du « pacte » d'après leur scénario de référence, la consommation d’électricité devait atteindre autour de 22,5 térawattheures (TW-h) en 2013 en Bretagne, alors qu’en réalité, elle a plafonné à 21,7 TW-h, soit bien en deçà de ce qu’ils craignaient. Pour Gaspare, la centrale est désormais inutile. Les opposants ont publié leur propre scénario d’évolution du système énergétique, beaucoup plus complet et précis que celui de l’État. Ils s’appuient notamment à moyen terme sur des interconnexions avec les réseaux européens d’énergies renouvelables, notamment éolienne.
Pour Michel Rolland, militant EELV, « la centrale de Landivisiau est devenue un grand projet inutile ».
En réalité, les études de faisabilité ont tout de même eu lieu l’été dernier, explique Didier Beny, délégué RTE Ouest : au mois d’août, pendant une dizaine de jours, pour cartographier les fonds marins. Malgré la demande de la préfecture. « On leur a expliqué qu’on n’avait pas le choix », explique-t-il : les conditions météo limitent la fenêtre d’intervention et les navires nécessaires à l’opération sont très demandés et donc peu disponibles. Les études doivent se prolonger l’année prochaine, une décision pourrait être prise au plus tôt fin 2016. Soit après les futures élections régionales (prévues fin 2015).
Mais selon la filiale d’EDF, ce projet d’interconnexion sous-marine n’a rien avoir avec la centrale à gaz de Landivisiau : « Ce ne sont pas du tout les mêmes échéances de temps. Si l’interconnexion avec le réseau d’EirGrid, l’opérateur irlandais, se fait un jour, ce sera à l’horizon 2025/2030 ». Selon le pacte électrique breton, les 450 Mégawatts (MW) de la centrale de CEB sont indispensables à l’horizon 2020. Elle devrait bénéficier d’un tarif d’achat (financé par la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, prélevée sur la facture des clients) de 94 euros par megwatt-heure (MW-h) pendant vingt ans.
Sans craindre de se contredire, la préfecture de Bretagne précise encore à Mediapart que « les deux projets d'interconnexion France Irlande et de la centrale à gaz de Landivisiau sont des projets totalement différents », à la fois « dans leurs enjeux, leur périmètre et les délais de mise en œuvre ainsi que leur degré de maturité ». Sans expliquer alors pourquoi deux projets si radicalement différents risquaient de créer la confusion dans l’esprit des Bretons.
« La construction de cette centrale n’est pas souhaitable en l’état du système énergétique breton, surtout qu’il existe un fort potentiel éolien en Bretagne », considère Cyrille Cormier, de Greenpeace France : « On met la charrue avant les bœufs en essayant de répondre à la stabilité d’un territoire en augmentant la capacité de sa production d’énergie. »
Pour Yannick Jadot, eurodéputé EELV pour l’ouest de la France, « on est dans un projet totalement délirant, avec une triple incohérence : par rapport aux enjeux de la transition énergétique en Bretagne, par rapport au projet européen d’interconnexion des réseaux électriques et c’est aussi une énorme diversion d’argent public ».
Si elle est confirmée, la centrale de Landivisiau nécessiterait la construction d’un gazoduc de 111 km de long, qui traverserait plusieurs zones humides, alerte l’Autorité environnementale. Ses impacts environnementaux ne seraient donc pas uniquement climatiques.
Sur place, la mobilisation contre la centrale de Landivisiau est forte. Des réunions d'opposants ont rassemblé plusieurs centaines de personnes. À Landivisiau, ils ont été à deux doigts d’emporter les dernières élections municipales.
En Europe, le secteur du gaz est en pleine crise, suscitant la montée au créneau de Gérard Mestrallet, le PDG de GDF Suez, contre le système de tarif d’achat dont bénéficient les énergies renouvelables. Le gaz est délaissé, devenu plus cher que le charbon. L’hiver dernier en France, les centrales thermiques (fioul, gaz, charbon), qui assurent notamment les pics de demande, ont peu tourné, du fait en partie d’un hiver doux. Direct Energie a dû renoncer à son projet de centrale à gaz à Verberie (Oise), très contesté sur place. Son autre projet de centrale à Hambach (Moselle) vient d’être retoqué par la justice. Et l’ex-centrale thermique de Poweo à Pont-sur-Sambre (Nord), revendue en 2010 au groupe autrichien Verbund, cherche un nouvel opérateur.
Ouvrir une centrale à Landivisiau est donc un objectif stratégique important pour Poweo-Direct Energie, entré sur le marché de l’électricité en France à la faveur de la libéralisation exigée par la Commission européenne, mais dépourvu de moyens de production, à part de petits barrages hydrauliques. Pourtant, dans ce contexte, la viabilité économique du site de Landivisiau semble fragile, et son activité promet d’être coûteuse en argent public : jusqu’à 40 millions d’euros par an pendant vingt ans, soit 800 millions d’euros.
L’ouverture d’une centrale de production d’électricité au gaz est-elle compatible avec la transition énergétique dont le projet de loi sera discuté par les députés à partir du 1er octobre ? Sollicité par Mediapart, le ministère de Ségolène Royal n’a pas répondu à nos questions.
BOITE NOIREUne copie du courrier du préfet de Bretagne est parvenue à Mediapart en début de semaine dernière. Sollicitée par téléphone le mercredi 3 septembre, la préfecture m'a répondu par courriel le 4. Toutes les personnes que j'ai contactées à ce sujet m'ont répondu par téléphone ou courriel, à l'exception du ministère de l'écologie et de l'énergie.
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