Après son départ de l’Élysée, Nicolas Sarkozy s’est fait offrir plusieurs voyages en jet privé par son ami, l’homme d’affaires Stéphane Courbit, selon des informations du Monde et de l’AFP. Il s’agirait d’un vol Le Bourget-Doha (Qatar) du 9 au 11 décembre 2012, puis d’un trajet Le Bourget-Teterboro (New Jersey) du 30 janvier au 3 février 2013, et enfin d’un vol Le Bourget-Abou Dhabi, du 26 au 27 février 2013.
Le premier l'a transporté à Doha pour participer au Forum mondial du sport au Qatar. Deuxième déplacement, l'aller-retour pour Teterboro, dans le New Jersey, en compagnie de son épouse, Carla Bruni. Le troisième voyage en cause avait pour destination Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis. Nicolas Sarkozy était invité au Global financial markets forum, organisé par la banque nationale d'Abou Dhabi, pour y donner une conférence.
Le montant global de ces déplacements serait de 330 000 euros. C’est le montant qui a, en tout cas, été facturé à la société Lov Group Industrie (LGI) de Stéphane Courbit par l’affréteur, la Société nouvelle Trans Hélicoptère Service (SNTHS). Cette entreprise est dirigée par Pierre-Marc Dreyfus, l'une des dix personnes mises en examen dans le dossier français dit « Air Cocaïne ». Pierre-Marc Dreyfus a été placé sous mandat de dépôt du 10 septembre 2013 au 28 août dernier.
Basée à Lyon, la SNTHS est spécialisée dans les vols d'affaires et la gestion d'avions privés. Elle a affrété les vols suspects, et notamment celui du Falcon 50 appartenant au lunetier Alain Afflelou qui a été intercepté le 19 mars 2013 sur l'aéroport international de Punta Cana (République dominicaine) avec à son bord trente-six valises contenant 682 kilos de cocaïne. Quatre Français avaient alors été interpellés, dont Alain Castany, le troisième pilote. Les enquêteurs ont découvert dans son portable les numéros de téléphone de nombreuses personnalités, notamment celui de Nicolas Sarkozy.
C’est au cours de cette enquête sur le trafic de cocaïne que les enquêteurs et la juge marseillaise Christine Saunier-Ruellan sont tombés incidemment sur les vols offerts à Nicolas Sarkozy. Interrogé ce jeudi par Mediapart, le parquet de Marseille indique toutefois ne pas encore avoir été saisi de ces faits nouveaux par un “soit-transmis” de la juge d’instruction, et que toute hypothèse sur les suites procédurales de cette “affaire dans l’affaire” serait prématurée.
En droit, des poursuites pour « abus de biens sociaux » sont envisageables contre les dirigeants de Lov Group, sauf à prouver que Nicolas Sarkozy voyageait pour le bien et dans l’intérêt de cette société. L’ex-président lui-même pourrait éventuellement être poursuivi pour « recel », bien que Jacques Chirac ait, voilà quelques années, échappé à une procédure de ce type dans l’affaire Euralair.
L'avocat de Stéphane Courbit, Me Christophe Ingrain, a confirmé au Monde la prise en charge par Lov Group des trois déplacements de Nicolas Sarkozy : « Ces vols avaient pour objet la création d'un fonds d'investissement dans lequel l'ancien président de la République aurait été impliqué. Nous détenons tous les documents nécessaires pour le prouver », déclare-t-il. Avocat au cabinet d’affaires de Jean-Michel Darrois, Christophe Ingrain se trouve être l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy pour la justice à l’Élysée, de 2007 à 2010. Il était alors magistrat. Sollicité par Mediapart ce jeudi, il n'a pas donné suite.
Quant à Stéphane Courbit, qui a fait fortune dans la télé-réalité, c’est un ami de Nicolas Sarkozy, d’Alain Minc et de Jean-Michel Darrois. Les quatre hommes se sont notamment associés dans un projet de fonds d’investissement faramineux, visant à lever un milliard d’euros, qui a été révélé par Mediapart en janvier 2013 (lire notre enquête ici).
Stéphane Courbit est, par ailleurs, renvoyé en correctionnelle dans l’affaire Bettencourt, et sera jugé pour « abus de faiblesse» à partir du 25 janvier prochain, à Bordeaux, aux côtés d’Éric Woerth et Patrice de Maistre.
Alors protecteur de l’héritière L’Oréal, l‘avocat fiscaliste Pascal Wilhelm avait fait signer à Liliane Bettencourt deux protocoles d’accord, en décembre 2010 puis en mars 2011 (la vieille dame était alors hospitalisée), qui l’ont conduite à investir quelque 143 millions d’euros au sein de la société Lov Group Industrie de Stéphane Courbit. Or l’homme d’affaires était l'un des clients de Me Wilhelm, qui se trouvait de facto en conflit d’intérêts. Pour convaincre Liliane Bettencourt et sa fille, l’avocat fiscaliste avait également fait effectuer par un autre de ses clients, la banque Messier-Maris de Jean-Marie Messier, une mission d’audit de Lov Group Industrie.
Les choses n’ont pas traîné. « Le versement intervenant avec une extrême rapidité laisse suspecter l’existence de difficultés financières naissantes importantes, voire même déjà réalisées, l’objectif de ces investissements étant manifestement de rembourser en grande partie des dettes ou d’effectuer à partir de LGI des remontées importantes d’argent vers d’autres sociétés du groupe Courbit », écrivent les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, signée le 7 octobre 2013.
Liliane Bettencourt n’aura d’ailleurs vu l’homme d’affaires qu’une demi-heure, le 15 décembre 2010, et l’aurait pris pour un « chanteur », selon un courriel adressé par Wilhelm à Courbit, quelques jours plus tard.
« L’intérêt financier ou social d’un investissement financier total de 143,7 millions pour Liliane Bettencourt, dans cette opération financière axée principalement sur le poker en ligne, l’énergie et la production audiovisuelle (domaine assurément étranger au domaine habituel de ses investissements) n’est pas démontré, ni d’ailleurs le soi-disant embellissement financier consécutif des deux sociétés du groupe Courbit et tout particulièrement de la société LGI », écrivent les juges. Selon eux, dans cette curieuse opération, « Liliane Bettencourt a même subi une grave perte financière nette, non causée, de 4,93 millions d’euros ».
Les clauses suspensives et de désengagement qui étaient prévues initialement ayant disparu des contrats, l’octogénaire ne peut plus récupérer sa mise aujourd'hui. Selon des informations obtenues par Mediapart, la famille Bettencourt n’a toujours pas réussi, malgré de nombreuses procédures, à récupérer un seul euro sur les 143 millions investis dans le groupe de Stéphane Courbit, alors en difficulté.
Depuis sa défaite de mai 2012, Nicolas Sarkozy bénéficie de revenus confortables et de déplacements gratuits (même s'il ne perçoit plus son traitement de membre du Conseil constitutionnel, n'y siégeant plus). Il perçoit 6 000 euros mensuels en tant qu'ancien président, engrange des revenus de son cabinet d’avocats et donne en plus des conférences grassement payées à travers le monde (lire nos articles ici et là). En tant qu’ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy a également droit à des vols gratuits et illimités en classe affaires sur Air France, mais il semble préférer les jets privés.
Autre trouvaille des enquêteurs : Stéphane Courbit n'est pas le seul mécène de Nicolas Sarkozy. Un quatrième vol avait été affrété, le 21 mars 2013, par la société SNTHS, au profit de Nicolas Sarkozy. Il s'agissait de permettre à l'ancien président de se rendre à Bordeaux où il était convoqué aux fins de mise en examen par les juges de l'affaire Bettencourt, avant d'obtenir un non-lieu aux attendus très sévères. Mais l'interception du Falcon 50 sur le tarmac de Punta Cana a obligé Nicolas Sarkozy à embarquer dans un autre avion, également mis à sa disposition par la SNTHS. Avec une différence : les factures indiquent que ce vol a finalement été pris en charge par l'Association de soutien à l'action de Nicolas Sarkozy (Asans). Un discret “parti de poche” de l’ancien président, installé dans son ancien fief de Neuilly-sur-Seine.
Cette micro-formation politique, dont Mediapart avait dévoilé l’existence à l’été 2010, aurait donc financé ce vol Paris-Bordeaux effectué le 21 mars 2013 par l’ex-chef de l’État, en avion privé, pour répondre à la convocation des juges. Cet usage privatif des fonds du parti est-il bien conforme à l’objet social défini dans ses statuts ? D’après le Journal officiel, ce parti de poche – dont on s’est toujours demandé quels types de dépenses il pouvait bien prendre en charge – a été créé en 2000 pour « défendre et promouvoir les idées de liberté, de solidarité, de justice et de réforme défendues par Nicolas Sarkozy ». Y compris devant un juge ?
Interrogé par Mediapart sur la légitimité voire la régularité d’une pareille dépense, le mandataire financier de la formation politique, Didier Banquy, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à Bercy, répond que son rôle s’arrête à la perception des dons et qu’il n’est « en rien informé de la vie financière de l’association ». « Mais à partir du moment où il y a ce type de statuts, ajoute-t-il, c’est pour financer l’action de Nicolas Sarkozy au sens large… » Très large, donc. Au-delà même de la vie politique !
Aujourd’hui, aucun adhérent ne risque certes de s’estimer floué ni abusé, puisqu’il n’y en a aucun. Pas plus qu’il n’y a de tracts, ni de manifestations publiques organisées par ce parti de façade, sinon de confort – un tiroir-caisse. À sa création d’ailleurs, l’association a tout bonnement été domiciliée chez Franck Louvrier, l’ancien conseiller communication de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, simple boîte aux lettres.
L’argent de cette structure ultrapersonnelle, pilotée jusqu’à récemment par deux proches de Nicolas Sarkozy (Christian Estrosi à la présidence et Brice Hortefeux à la trésorerie), provient pour l’essentiel des chèques de ses gros donateurs (quelques dizaines), qui versent chacun plusieurs milliers d’euros pour intégrer ce secret cénacle. Si l’État ne le subventionne pas, il le finance tout de même indirectement, puisque tous ces dons ouvrent droit à réductions d’impôts.
Dans un listing datant de 2006-2007, auquel Mediapart avait eu accès, on dénichait pêle-mêle les noms de René Ricol (par la suite nommé médiateur du crédit par l’Élysée, en 2008, puis commissaire général à l’investissement en 2010), du financier Marc Ladreit de Lacharrière ou encore de plusieurs dirigeants du groupe de casinos Tranchant. Sont-ils encore donateurs ? Trouveraient-ils quelque chose à redire à cette affaire de jet privé ? Dans la liste, on tombait surtout sur des membres de la famille Bettencourt, non seulement Liliane et André (décédé), mais aussi leur fille Françoise… à l’origine de la plainte pour « abus de faiblesse » sur sa mère qui a déclenché toute l’affaire Bettencourt et, par effet boule de neige, la convocation judiciaire de Nicolas Sarkozy de mars 2013.
Alors que ce parti de poche avait été mis en sommeil sous la présidence de Nicolas Sarkozy (1 077 euros de recettes en 2011 pour 4 000 euros de charges à peine), il semble s’être réveillé en 2012. Cette année-là, plus de 20 000 euros ont été dépensés (sans lien officiel avec une campagne électorale), dont quelque 8 000 euros de frais de voyage. Encore en réserve dans les caisses fin 2012 : 190 000 euros.
Sachant que Nicolas Sarkozy dispose d’une seconde entité beaucoup plus officielle (« l’Association des amis de Nicolas Sarkozy »), réellement active de son côté puisqu’elle est chargée d’organiser son grand retour à coups de meetings, la nature politique du « parti » de Neuilly s’avère décidément douteuse.
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