« Nous sommes prêts à gouverner », répète Marine Le Pen depuis dimanche, à l’occasion de sa rentrée politique. On peut encore en douter à voir la gestion de son conseiller « au dialogue social », le maire d’Hayange (Moselle), Fabien Engelmann. Depuis quelques jours, les règlements de comptes dans l’équipe municipale d’Hayange tournent au grand déballage, démontrant au passage l’amateurisme de certains élus frontistes.
D’après des documents réunis par Mediapart, l’adjointe au maire, Marie Da Silva, en conflit ouvert avec le maire depuis cet été, a bien payé certaines prestations destinées à la campagne électorale. En lieu et place du mandataire financier, ce qui est strictement interdit. Au vu des règles fixées par la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CCNCFP), qui vérifie les comptes des candidats aux élections, Fabien Engelmann, l'un des onze maires Front national élus en mars, risque désormais de voir son élection invalidée.
Mi-août, Fabien Engelmann a dépossédé sa première adjointe de ses délégations (personnes âgées et affaires sociales). Lors de la campagne, le visage de cette ancienne déléguée syndicale CGT puis FO, une employée du Républicain Lorrain de 52 ans, figurait sur toutes les affiches. Mais elle accuse désormais le maire d'« incompétence » et d'« autoritarisme ». Le 3 septembre, lors d’un conseil municipal qui s’annonce houleux, elle redeviendra officiellement simple élue municipale.
Depuis mars, Hayange, 16 000 habitants, la ville des derniers hauts-fourneaux de Lorraine, fermés par ArcelorMittal, est détenue par le Front national qui l'a ravie au PS. Mais quelques mois à peine après la victoire du FN, qui détient 23 des 33 sièges du conseil municipal, rien ne va plus. Arrivée le 1er juin, la nouvelle directrice des services, Élisabeth Calou, ex-candidate du Rassemblement Bleu Marine aux municipales à Saint-Cyr-sur-Mer (Var), a quitté la ville au bout de sa période d'essai de trois mois, sans donner d'explications.
La crise couve depuis des mois. « À la mairie, les gens sont tétanisés, témoigne Marie Da Silva. Le maire ne cesse de régler des comptes personnels. Il fait pression sur les gens pour qu'ils partent, veut tout gérer. Il a déstabilisé le fonctionnement du centre communal d’action sociale, s’apprête à déloger les syndicats du local municipal qui leur était loué par la mairie. » L’adjointe n’a pas non plus apprécié les « coloriages » du maire, qui a entrepris cet été de repeindre une fontaine et un monument d’hommage aux mineurs lorrains.
Mais le conflit est surtout financier. L’adjointe affirme avoir payé de sa poche 3 000 euros de dépenses de campagne. En partie versés sur le compte personnel de Fabien Engelmann. Selon elle, la somme n'aurait été que partiellement remboursée, sans être déclarée dans les comptes officiels du candidat déposés à la CNCCFP.
L'affaire a été révélée par une scène stupéfiante, captée par un journaliste de la Nouvelle Édition de Canal Plus, diffusée ce lundi 1er septembre. On y voit l'époux de la première adjointe, face caméra, réclamer au maire 3 000 euros que le couple lui aurait versé dans le cadre de la campagne : « Je veux mon fric. Tu as eu du fric en campagne que tu n'as pas déclaré. Je veux mon fric. » (voir la vidéo à partir de 14’50).
« Quand on a commencé la campagne, Fabien Engelmann n'avait pas un sou, raconte à Mediapart Marie Da Silva. Il m'a demandé de lui avancer un peu d'argent. En novembre 2013, je lui fais un premier chèque de 1 000 euros, à son nom. Ensuite, j'ai payé l'apéro “saucisson-pinard”, lorsque Louis Aliot (vice-président du FN – Ndlr) est venu à Hayange (le 29 novembre 2013 – Ndlr). Au total, j’ai déboursé 3 000 euros. Ces paiements n'apparaissent pas dans ses comptes de campagne. » L’adjointe explique avoir, ce mardi, déposé plainte contre le maire pour « abus de confiance, abus de biens sociaux et harcèlement » au tribunal de grande instance de Thionville.
Fabien Engelmann confirme l’existence d’un chèque de 1 000 euros, mais assure que c’est parce que « M. Da Silva a acheté (s)a vieille Scénic (sic). » Ce que l’intéressée dément : « Il a vendu sa Scénic il y a quinze jours ! » Concernant la soirée avec Louis Aliot, si Engelmann confirme les dépenses et ne dément pas qu’elles ont été prises en charge par Mme Da Silva, il explique qu’il ne s’agit pas de dépenses de campagne et qu’elles n’ont donc pas été intégrées aux comptes de campagne qu’il dit avoir transmis fin mai, « dans les délais », à la CNCCFP.
En revanche, le maire confirme que c’est bien son adjointe qui, en mars, a réglé 1 575 euros destinés à l’impression de « deux tracts » : « un quatre pages couleur avant le premier tour des municipales, et un tract recto-verso avant le deuxième tour », précise Engelmann.
Comme en attestent des documents que Mediapart s’est procurés, la dépense a été réglée directement en espèces, via deux mandats-comptes, le 10 puis le 25 mars, à “Terre de Fer”, une association locale spécialisée dans le graphisme. « Son responsable est un de nos électeurs », assure Engelmann.
Cet intermédiaire a ensuite passé commande, le 25 mars, à un imprimeur sur internet. La dépense n’a donc pas été réglée par le mandataire financier, Patrice Philippot, seul habilité au yeux de la loi à engager des dépenses. « La livraison devait se faire sous 48 heures, se justifie Fabien Engelmann. Mon mandataire travaille beaucoup, il n’est pas toujours joignable. Marie Da Silva a donc versé une caution. » Pour ne pas éveiller les soupçons, le remboursement de l'adjointe s'effectue par un drôle de circuit : le 9 mai, c'est sa belle-fille qui touche le chèque de 1 575 euros de l'association Terre de fer.
Pour se mettre en règle avec la commission des comptes de campagne, Fabien Engelmann a ensuite produit à la CNCCFP une attestation en bonne et due forme attestant que c’est bien le mandataire financier qui a réglé la facture. « Un faux », assure Marie Da Silva. « Mon compte est clean, ce n’est pas Bygmalion ! » rétorque Engelmann.
Joint à plusieurs reprises par Mediapart, le trésorier et avocat du FN, Wallerand de Saint-Just, finit par expliquer qu’il « patauge » sur ce dossier et qu'il « ne conna(ît) pas le cas et la cuisine d'Engelmann ». Il nous renvoie vers Jean-François Jalkh, le vice-président en charge des élections, qui explique qu’il reviendra à la commission nationale des comptes de campagne d’estimer ces éventuelles irrégularités, mais argumente : « À toute règle, il y a des exceptions. La commission tolère qu’il y ait certaines dépenses après la désignation du mandataire financier. Il y aura peut-être une discussion sur les dates, on verra. »
Pourtant, les règles de la commission des comptes de campagne sont claires : seul « le mandataire règle les dépenses engagées en vue de l’élection, à l’exception de celles prises en charge par les formations politiques et des concours en nature ». Autrement dit, ni un de ses candidats, ni un de ses colistiers ne peut le faire, « sauf à de très rares exceptions », explique-t-on à la commission des comptes de campagne.
La CNCCFP, qui « n’a pas encore instruit le dossier », refuse de se prononcer sur le fond de l’affaire. Mais elle précise qu’une prestation d’imprimeur ne fait pas partie des exceptions tolérées. « C’est une grosse dépense, donc c’est le mandataire qui doit payer, dit-on. Les dépenses directes, du candidat ou de ses colistiers, sont une cause substantielle de rejet des comptes. » Quand elle l’examinera, la commission pourrait donc rejeter automatiquement le compte de campagne de Fabien Engelmann. En cas de rejet de ses comptes, le candidat n’est pas remboursé. Et son dossier est transmis au tribunal administratif, qui peut décider d’une peine d’inéligibilité de un à trois ans. Marie Da Silva affirme avoir apporté ses preuves à la Commission des comptes de campagne le 29 août. Une information que la commission se refuse à commenter.
Selon nos informations, la direction du Front national a été alertée bien avant que la polémique n’éclate. Le 14 août, la première adjointe d’Hayange se rend avec des colistiers à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) pour rencontrer le maire, Steeve Briois, qui est aussi le secrétaire général du parti. Après trois heures de discussion, ce proche de Marine Le Pen leur demande de lui transmettre des documents pour étayer leurs dires. Ce qui sera fait le 22 août, dans un mail dont Mediapart a eu copie.
Le maire d'Hénin-Beaumont a visiblement fait état de cette rencontre à la direction du FN puisque le trésorier du parti nous confirme que « des gens d’Hayange sont venus voir Steeve Briois ». Questionné par Mediapart, l'intéressé balaie la question : « Je ne vous répondrai pas parce que vous faites des articles pourris » (sic).
Fin août, deuxième alerte au Front national. Cette fois par Fabien Engelmann lui-même. Anticipant les révélations de son adjointe, l’élu téléphone à Jean-François Jalkh, le monsieur élections du FN. « Il m’a fait état d’un litige avec sa colistière, et m’a dit qu’il comptait écrire à la commission des comptes de campagne. Je lui ai dit que c’était une excellente idée de matérialiser ce litige », explique M. Jalkh.
Le 1er septembre, en amont du bureau politique du FN, au siège, à Nanterre, Marine Le Pen s’entretient de l’affaire avec Fabien Engelmann, pendant une demi-heure. « On a vu Engelmann, on lui a dit : “c’est quoi ce truc ?” Marine Le Pen lui a dit de se démerder », rapporte Wallerand de Saint-Just. Le maire d’Hayange assure de son côté que la patronne du FN l’a assuré de son soutien.
Sollicitée via son cabinet, Marine Le Pen n'a pas donné suite. Questionné sur France Info, mardi matin, elle a évoqué une « affaire de Clochemerle » et tenté de minimiser l’affaire, préférant y voir « un désaccord entre la première adjointe et le maire », et assurant qu'elle avait « tendance à croire le maire ». « Si la première adjointe a des éléments, qu'elle les montre, qu'elle les donne à la justice, c'est aussi simple que cela dans une République bien tenue », a-t-elle indiqué. Contacté, son bras droit Florian Philippot, vice-président du parti en charge de la communication, nous répond qu’il « ne parle pas à Mediapart ».
Mais dans le parti, certains prennent déjà leurs distances avec le maire d’Hayange. « Les candidats du Front national, ce n’est pas le Front national. Ils sont indépendants, nous on ne peut pas tout faire ! Si le compte de campagne est rejeté, ce sera celui d’Engelmann », insiste Wallerand de Saint-Just.
« Sur la salade du compte, je me doutais qu’il y avait un problème », rapporte à Mediapart un cadre du FN, qui y voit les limites de son parti une fois au pouvoir : « Dans cette affaire, il y a beaucoup d’amateurisme et d’inexpérience. Il y a des gens qui débarquent en politique, puis qui sont élus… Nous sommes de très bons gestionnaires, mais dans les municipalités Front national on se frotte aux réalités, on sort du laboratoire là… »
De son côté, Fabien Engelmann tente de décrédibiliser son adjointe, qu’il avait pourtant choisie pour être sa numéro deux. « Elle fréquente des groupes qui manifestent avec le GUD et a dit lors d’une réunion qu’elle était 100 % raciste », lance-t-il. « On va trouver tous les défauts à la mariée, maintenant qu’elle lève le voile », ironise un cadre du Front national.
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