Lors de la passation de pouvoir, Benoît Hamon a bien glissé à la nouvelle ministre, Najat Vallaud-Belkacem, qu’elle héritait d’un beau budget et que les 60 000 postes dans l’éducation étaient préservés. Il n'empêche, le climat social chez les 800 000 enseignants, qui ont fait leur rentrée ce lundi, n’est pas à l’enthousiasme. Les frustrations dans leurs rangs, pour cette troisième rentrée sous un gouvernement qui a affirmé faire de l’école sa priorité, sont palpables.
Beaucoup de réformes ont été engagées depuis deux ans et demi – formation des enseignants, rythmes scolaires, éducation prioritaire, refonte des programmes – mais sont pour la plupart encore au milieu du gué. Surtout, elles n’ont dans l’ensemble pas amélioré les conditions de travail des profs qui ont, pour beaucoup, le sentiment d’avoir été un peu les oubliés de la priorité à l’école.
De manière unanime, en cette rentrée, les syndicats enseignants ont tous exprimé, à l’instar du secrétaire général du SE, Christian Chevalier, que « le temps des personnels est venu ».
Les créations de postes sont toujours aussi peu perceptibles sur le terrain. À y regarder de près, il n’y a d’ailleurs là rien d’étonnant, puisque la moitié des postes créés jusqu’à présent – 22 000 – ont été affectés à la formation des enseignants (c’est-à-dire au retour à l’année de stage), les postes restants ont d’autre part été immédiatement absorbés par la forte hausse démographique de ces dernières années avec, en trois ans, plus de 37 000 élèves supplémentaires.
Dans son rapport remis au ministre Benoît Hamon à son arrivée rue de Grenelle, la Direction générale de l’enseignement scolaire craignait donc une « rentrée tendue » avec une « légère érosion du taux d’encadrement hors éducation prioritaire ».
Dans le secondaire, certaines disciplines – les mathématiques, les lettres classiques, l’anglais, l’allemand et les lettres modernes – n’attirent plus assez de candidats. Dans toutes ces disciplines, des centaines de postes sont donc restés vacants. « Nous manquerons de profs à la rentrée et les présents devront faire toujours plus d’heures supplémentaires », regrettait la co-secrétaire générale du Snes-Fsu, Frédérique Rolet, lors de la conférence de presse de rentrée du syndicat majoritaire dans le second degré. Les difficultés de recrutement sont telles qu’elles pourraient empêcher que la promesse de créer 60 000 postes sur le quinquennat soit tenue.
« Du fait du cumul des déficits de recrutement sur les années 2012 et 2013, l’équivalent de près de 7 000 emplois n’ont pas été consommés pour le seul second degré en 2013 », estime le Snes-FSU qui s’appuie sur les chiffres du rapport de la Cour des comptes de mai 2014. Si cette trajectoire devait se poursuivre, ce serait donc quelque 10 000 postes qui, tout en étant inscrits au budget, pourraient rester vacants faute de candidats suffisants.
Dans ce contexte, l’attractivité des métiers enseignants est devenue un enjeu majeur. Si les difficultés de recrutement actuelles s’expliquent en partie par les suppressions massives de postes de ces dernières années qui ont découragé les étudiants de s’engager dans cette voie, l’image dégradée du métier pèse aussi fortement.
Malgré l’incontestable priorité budgétaire accordée à l’école, les conditions de travail des enseignants ne se sont guère améliorées ces dernières années. Trois quarts des enseignants du premier degré estiment, selon une enquête du Snuipp, que la réforme des rythmes scolaires a eu « un impact négatif sur leur situation professionnelle ». Autant dire que la prime annuelle de 400 euros, accordée l’an dernier dans le cadre d’une politique de rattrapage avec les enseignants du second degré, a un peu été vécue comme une aumône par le corps enseignant le plus mal doté du système français. En début de carrière, les salaires du premier restent faibles et progressent peu. Entre 30 et 50 ans, les instituteurs gagnent 2 099 euros en net par mois, selon l’Insee, alors qu’ils déclarent travailler 44 heures par semaine, dont 25h30 devant élèves.
Dans le secondaire, les situations sont disparates mais les certifiés sont incontestablement les moins bien lotis puisqu’ils travaillent plus pour gagner sensiblement moins que leurs collègues agrégés – 43 heures hebdomadaires pour les premiers contre 39 heures pour les seconds.
La décision du gouvernement de prolonger le gel du point d’indice jusqu’à la fin de la mandature a douché tout espoir de revalorisation. Selon le Snes, « de 2000 à 2014, la baisse du point d’indice et l’augmentation de la retenue pour pension conduisent à une perte en euros constants de deux mois de salaires par an ».
Les syndicats enseignants – qui ont combattu la généralisation des heures supplémentaires pour compenser les suppressions de postes – le mettent moins en avant, mais la refiscalisation des heures supplémentaires a aussi porté un coup très dur au portefeuille. Les suppressions de postes sous la droite avaient en effet été compensées par un recours massif aux heures supplémentaires défiscalisées, avec trois quarts des enseignants déclarant faire au moins une heure supplémentaire par semaine. Le retour de l’année de stage – unanimement demandé par les syndicats enseignants en 2008 – s’est aussi accompagné du rétablissement du point d’indice des débuts de carrière, supprimé en 2010, avec pour conséquence un léger recul des premiers salaires.
Dans le contexte de rigueur budgétaire choisie par le gouvernement, les 60 000 postes laissent peu de marges de manœuvre. Le gouvernement a bien concédé quelques revalorisations ponctuelles pour les personnels les plus mal payés ou les plus exposés, ceux enseignant en éducation prioritaire, les enseignants du premier degré, les directeurs d’école, mais globalement, le pouvoir d’achat des enseignants a donc reculé ces dernières années. Un paradoxe qu’ont de plus en plus de mal à digérer les enseignants, à l’heure de la priorité affichée à l’école.
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