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Cambadélis joue l’équilibriste habile d’un PS sur le fil

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La Rochelle, de notre envoyé spécial.   Pour l’instant, il écope, avec un certain talent, son bateau qui prend l’eau. Mais le capitaine Cambadélis ne vogue pas sur un fleuve socialiste tranquille, il contient les mutineries et tente de réparer l’armature. Sans être sûr de pouvoir affronter les prochaines lames. Désigné premier secrétaire après une révolution de palais au lendemain des municipales, en même temps que Manuel Valls accédait à Matignon, le leader du PS n’a toujours pas été élu par les militants, s’accommodant des statuts d’un parti qui fait de lui, en réalité, un « premier secrétaire par intérim » jusqu’aux prochaines échéances.

Éternel numéro 2 depuis les années 1990, le hiérarque au savoir-faire interne incontestable reprend peu à peu en main un parti en pleine déliquescence. Et il entend le restructurer après deux années de délitement accéléré, sous le mandat de son prédécesseur, Harlem Désir. Façon OCI (l’organisation trotskyste lambertiste de sa jeunesse), il exige une assiduité totale des secrétaires nationaux lors des réunions du mardi, et a attribué à chacun d’entre eux la responsabilité du bon fonctionnement des fédérations.

Jean-Christophe Cambadélis, lors d'une conférence de presse à la RochelleJean-Christophe Cambadélis, lors d'une conférence de presse à la Rochelle © S.A

Dans les médias, « Camba » a trouvé un espace et un ton et parvient à se faire entendre du pouvoir exécutif. Il affirme son autorité en jouant une petite musique, pas toujours alignée sur le pouvoir. Récemment, il a critiqué le dogme des 3 % dans Les Échos, il a multiplié les critiques contre Angela Merkel et l’attitude de la droite allemande, ou a exprimé son rejet du social-libéralisme, qui l’a « condui(t) à fixer une ligne rouge » lors de ses premières universités d’été comme patron du parti. « Il ne veut pas être le dernier premier secrétaire du PS, alors il met les mains dans le cambouis », reconnaît l’un de ses opposants internes, Emmanuel Maurel.

À La Rochelle, Cambadélis se permet de décliner l’invitation du courant hollandais pour se rendre à celui des aubrystes (où il serait arrivé en lançant : « Ça fait du bien de retrouver la famille »). Personnage insaisissable, les proches de Martine Aubry comme ceux du président, redoutent qu’il ne prépare le terrain du parti pour accompagner l’offensive de Manuel Valls. Déjà, il laisse complètement ouverte la possibilité de primaires pour 2017. Ainsi, quand il entame un raisonnement par « Imaginons un premier tour en 2017 avec n’importe lequel d’entre nous, disons le président de la République, ce sera plus simple… » Ou quand il répond sur France Info, lundi 1er septembre, à la question de savoir qui pourrait, de François Hollande ou Manuel Valls, représenter le PS en 2017 : « C’est trop tôt, ce n’est même pas dans les têtes. Pour l’instant, je suis premier secrétaire d’un parti socialiste sans candidat et c’est tant mieux. (…) D’abord le temps des idées, le casting, on verra après. »

Pour l’heure, il redit (il l’avait déjà défendue lors de notre débat avec Mélenchon et Cosse) sa proximité avec la maire de Lille et ancienne première secrétaire : « Le débat sur l’obligation des 3 % de déficit public est le cœur de ce que fut le débat entre Aubry et Hollande durant la primaire. Une trajectoire ou un couperet ? Je soutenais Martine Aubry. » Il ajoute, perfide : « Je n’y peux rien si c’est Arnaud Montebourg qui a soutenu Hollande et lui a fait emporter l’élection… » Modèle de petite phrase assassine et à multiples sens qu’affectionne Cambadélis, qui n’oublie pas ensuite de dire au même Montebourg “démissionné” : « Il n’est pas exclu du PS, je lui dis : “Bienvenue à la maison”. »

Capable de se mouvoir avec succès dans les méandres de la nébuleuse socialiste actuelle, son habileté tacticienne et dialectique a toutefois ses limites. Stratège hors pair, il agit pour l’avenir du parti, en correspondance avec son analyse sur le « tripartisme » (PS-UMP-FN), qui obligerait dès lors les autres partis de gauche à se ranger derrière lui, pour éviter tout risque d’élimination électorale.

Charge alors à « Camba » de rendre à nouveau le parti attractif, afin de permettre une « union indispensable pour la gauche, sous peine d’être marginalisée ». Mais on est loin de la défense du « front unique ouvrier » que le militant étudiant « Kostas » défendait dans les années 1970, et qui avait débouché sur l’élaboration du programme commun PS/PCF (avec le soutien de l’OCI). Pour l’heure, hormis quelques groupuscules réformistes (MUP, Front démocrate ou PRG), rares sont les organisations enthousiastes à l’idée de faire alliance ou coalition avec le PS, tant la politique du gouvernement les a éloignées d'elle.

Son sens de la formule peut faire mouche devant les médias, friands d’un si bon analyste de la vie politique, mais il n’est pas un grand tribunitien. Pour son premier discours de premier secrétaire à La Rochelle, ses mots bafouillés furent nombreux et ses aphorismes ont semblé lasser les militants, qui ne l’applaudirent que poliment. Quant à son caractère ténébreux et matois, il effraie plus qu’il ne séduit dans ses propres rangs. « Lors du débat avec les autres partis de gauche (lire ici), il m’a fait peur, raconte une militante. Quand il parle de la gauche en danger, il ressemble à Nicholson dans Shining »

Cambadélis n’hésite pas à user d’un sens de la dramatisation parfois excessif, mais celui-ci correspond aussi à une grande lucidité sur le piètre état d’un parti qu’il a cherché à diriger depuis qu’il l’a rejoint en 1986 (avec plus de 500 militants de l’OCI). L’histoire veut qu’enfin installé dans son bureau, après le désastre aux municipales, il se soit pris la tête entre les mains en se disant « J’arrive trop tard ». Depuis, il rattrape le temps perdu. Et tente de panser les plaies, le plus souvent à huis clos.

Sa conviction, il l’a exprimée devant les militants pour son premier discours en public (les conseils nationaux sont fermés à la presse) : « Il nous faut d’emblée corriger une lacune : ne pas avoir compris que le changement devait commencer par nous-mêmes. » Façon de gagner un peu de temps en attendant de fixer le futur congrès du PS, demandé par un nombre croissant de militants, désireux de passer au vote pour donner leur avis sur l’orientation gouvernementale actuelle du socialisme.

Coincé par l’incertitude du calendrier électoral des cantonales et régionales (dépendant de la réforme des collectivités territoriales et de l’avis du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendu en octobre), qui l’oblige « à moduler notre propre calendrier », Cambadélis sait qu’il devra alors enfin passer par le vote militant. « Il souhaiterait l’organiser le plus tôt possible (au printemps 2015 – Ndlr), assure un de ses amis députés. Vu le bordel actuel et la sidération de tout le monde, il serait réélu sans problème. »

Mais l’Élysée et Matignon plaident pour une date la plus tardive possible (en 2016), et Cambadélis doit en tenir compte. Pour l’heure, il se contente d’annoncer vouloir « moderniser » l’exercice. « Nos congrès ressemblent à ceux de la SFIO », dit-il en proposant d’y ajouter des « thèmes à trancher idéologiquement », citant comme exemple la réforme des institutions. Alors, en attendant, Cambadélis lance des états généraux des socialistes, qu’il entend conclure par un vote militant, façon de se légitimer sans avoir à passer par les incertitudes et les aléas du combat interne.

L’objectif : « Établir une charte des valeurs, sur le modèle des sociaux-démocrates scandinaves ». Qu’importe s’il existe déjà une « déclaration de principes » au PS, révisée en 2008 (lire ici). Il s’agit, à ses dires, de « définir le nouveau progressisme », afin de redynamiser un parti qui aurait perdu « sa force propulsive du congrès d’Épinay ». Il l’avoue sans ambages, ce travail collectif (chaque section devra choisir de répondre dans une contribution à l’une des douze questions proposées) « va permettre de faire respirer le PS et de rebattre les cartes à l’intérieur des sections. Celles-ci ne sont plus des lieux de débat politique ».

Une fois cette charte adoptée, en décembre, il entend « revoir le parti de fond en comble ». Et évoque une communication « beaucoup plus réactive », passant par un improbable réseau social ou la tenue de réunions du conseil national tous les mois (au lieu de trois ou quatre par an jusqu’ici). Son calcul : « Il ne faut pas d’affrontement entre sensibilités et le gouvernement, mais un débat dans le PS, et ensuite un dialogue entre le PS et le gouvernement. »

Parmi ses contradicteurs internes, l’eurodéputé Guillaume Balas, responsable du courant Un monde d’avance (UMA, proche de Benoît Hamon) paraît mitigé quant à l’initiative. « Sur le fond, “Camba” aurait pu suivre l’offensive idéologique de Manuel Valls, mais il ne l’a pas fait, donc ça ouvre un espace de discussion, explique-t-il. Mais attention à ne pas tomber dans le molletisme, une situation où on est très à gauche dans le parti sans que rien ne bouge au gouvernement. Une situation où des députés voteraient la journée ce qu’ils dénonceraient le soir en section… »

« Ça doit être la synthèse de “Camba”. Mais si le congrès est repoussé, redoute un dirigeant du PS, l’affrontement aura lieu lors des états généraux… ». L’aile gauche du parti demeure sceptique et entend en effet « congressiser » la réflexion, ainsi que l’explique l’un de ses porte-parole, le président du conseil général de l’Essonne, Jérôme Guedj : « Nous déposerons l’équivalent d’une contribution de congrès, sous la forme d’une réponse au questionnaire des états généraux. » D’autres sensibilités du parti envisagent de faire de même (on évoque même une contribution personnelle de Martine Aubry).

Au fil de l’eau, Cambadélis parvient encore à naviguer, mais sans savoir combien de temps il pourra contrôler le gouvernail.

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