La Rochelle, de nos envoyés spéciaux. Pour l’heure, ce sont des résistances désordonnées. Mais elles n’ont cessé de s’exprimer, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’espace Encan, lieu de l’université d’été du PS à La Rochelle. Ce samedi, l’endroit a été transformé en bunker de bord de mer, avec barrages filtrants de CRS et policiers armés postés sur le toit de l’aquarium voisin, afin de tenir éloignés la cinquantaine de manifestants de la CGT disant “non à l’austérité” et quelques drapeaux palestiniens. De l’autre côté, la passerelle permettant de franchir le canal a été relevée. Sur l’autre rive, se trouvait l’amphi de la faculté où avaient rendez-vous les députés « frondeurs ».
Ce pont coupé n’a pas empêché, malgré le détour de plusieurs minutes engendré, plus de 500 militants de venir ovationner la trentaine de députés rebelles, qui ont décidé de lancer l’initiative « Vive la gauche ». Un appel, qu’ils entendent faire signer par un maximum de militants, et qui se veut le prélude d’une réunion des courants aubrystes et des ailes gauche du PS, afin de peser à l’Assemblée comme dans le parti, et entraîner avec eux le « marais » parlementaire comme militant, actuellement en proie au doute.
Dans une ambiance surchauffée, les courtes interventions des différents élus ont recueilli de vifs applaudissements, le maximum étant atteint lors de l’entrée surprise de la ministre de la justice, Christiane Taubira. Celle-ci ne s’est pas exprimée au micro, se contentant d’afficher un large sourire, avant de repartir une dizaine de minutes après, et de lâcher aux caméras, avant d’enfourcher son vélo : « On a laissé les Français se démoraliser, oublier cette morale républicaine et perdre le moral eux-mêmes. Je dis qu’aujourd’hui nous n’avons pas le choix. Nous devons refaire place à la politique. »
La garde des Sceaux conclut : « La politique, c’est le courage de s’interroger sur la vie dans la cité, sur les espaces que nous créons, pour nous entendre, pour nous comprendre, pour nous disputer, et pour nous rassembler. Je veux y prendre ma part. Ce matin, j’y ai pris ma part. Et j’en assume les conséquences. »
Dans l’amphi, tous enfoncent le même coin, celui de la résistance à « une tentative de coup d’État idéologique d’une ultra-minorité sur l’ensemble de son camp » (Pascal Cherki). On évoque sa « loyauté », non au gouvernement, « mais au programme pour lequel on a été élu » (Nathalie Chabanne et Fanélie Carrey-Conte), son « incompréhension » devant un « pouvoir qui discute avec tout le monde sauf avec sa propre majorité », qui « n’est pas l’ami des entreprises, mais seulement des actionnaires » (Arnaud Leroy), son rejet du « social-libéralisme, idiot utile de la droite » (Henri Emmanuelli) et de l’idée selon laquelle « il faudrait être une armée silencieuse et résignée » (Laurent Baumel).
Ensemble, ils ont appelé à « quitter l’état d’esprit de sidération » dans lequel le PS est plongé, selon les termes du président du conseil général de l’Essonne, Jérôme Guedj, pour qui « une course de vitesse s’est engagée » avec ceux qui « souhaitent que nos orientations soient désormais indexées sur celles du Medef », complète Pouria Amirshahi. Il ajoute : « Si nous commémorons Jaurès, nous n’organiserons pas les obsèques du socialisme. »
Figure de l’aile gauche du parti, Gérard Filoche a quant à lui rappelé « la violence inouïe » que fut « la liquidation du vieux Labour par Tony Blair », celui qui « était ami des syndicats » et qui désormais « n’est plus dirigé que par des Macron ». « Ils se sont tous fait exclure (ceux du “vieux Labour”), car ils ont commis l’erreur de se diviser… » Moins enflammé, Jean-Marc Germain se réfère au projet socialiste « voté par tout le monde en 2011 », sous la direction de Martine Aubry. Et dit d’une voix blanche : « La gauche, ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire. »
Pour autant, bien difficile de savoir encore comment va s’amplifier le mouvement, en l’absence de date de congrès et au-delà de discussions avec d’autres partis à gauche, ni quels peuvent être les objectifs de « Vive la gauche » à l’Assemblée, hormis rallier de nouvelles forces pour pouvoir changer le cours des choses, notamment sur l’élaboration du prochain budget. « On s’est au moins rassuré, en reprenant un peu de moral militant, dit un des chefs de file de la rébellion. Pour la suite, rien n’est écrit… » « Cécile (Duflot, ndlr) rêve de récréer le PSU. Montebourg dit que le PS est dans le même état que la SFIO pendant la guerre d'Algérie... Mais on ne refait pas l'histoire. On sent bien qu'il faut organiser quelque chose qui fasse le lien entre la gauche du PS, les Verts, le PCF... Mais pour l'instant, la gauche, on n'en est pas à la reconstruire. On en est à faire des piqûres de ciment pour ne pas qu'elle s'écroule », décrypte un dirigeant socialiste.
« La nouveauté, c’est que la synthèse socialiste n’est plus aussi facile qu’avant, constate Guillaume Balas, responsable du courant Un monde d’avance (UMA, proches de Benoît Hamon). Et la distance entre le social-libéralisme et la social-démocratie est devenue un gouffre. » Pour autant, il veut croire que « la gauche de transformation sociale » est majoritaire dans l’électorat de gauche, « si on y met au cœur la question de l’écologie ».
Et si ce tropisme l’éloigne d’Arnaud Montebourg, il se félicite du fait que « ce que dit Arnaud commence à être crédible, y compris aux yeux du mainstream économique ». Le même Montebourg, ainsi que Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, ont vu leurs noms applaudis durant la réunion, même s’ils ont fait le choix de s’exprimer, eux, à l’intérieur des universités d’été, en maintenant leur participation à des débats où ils auraient dû parler comme ministre.
Montebourg: encore des idées et des rêves ?
En fin de matinée, Arnaud Montebourg faisait son grand retour devant les militants socialistes. Sa participation à une table ronde sur la politique industrielle a été maintenue, le plateau s’est simplement enrichi de la présence de Michel Sapin, le ministre des finances et des comptes publics, dont les relations avec le ministre démissionné sont assez détestables. À l’arrivée, Montebourg récolte quelques sifflets dans une salle archi-comble. Une heure et demie plus tard, il est ovationné à la fin de son discours, essentiellement consacré à son bilan de ministre du redressement productif. L’ancien candidat à la primaire a simplement glissé en conclusion : « Les hommes d’État n’ont pas vocation à se taire. C’est même parfois leur destin de se faire congédier quand, parfois, pas toujours mais parfois, ils ont raison. »
Montebourg n’en dira pas davantage. Il semble encore sonné. Ses partisans sont dans le même état. Beaucoup supportaient difficilement sa présence au gouvernement et l’appelaient à partir au plus vite mais aucun d’entre eux n’avait prévu le calendrier imposé par Manuel Valls et François Hollande. Le soulagement se mêle parfois à l’amertume. « Ils font le tournant sur notre dos, en nous faisant passer pour des anti-entreprises. La divergence n’est pas là où ils le disent : ce n’est pas la première gauche contre la deuxième gauche. C’est la question du niveau des déficits et de la dureté de la discussion avec l’Allemagne », explique un ancien conseiller du cabinet d’Arnaud Montebourg à Bercy.
« La trajectoire de réduction des déficits ne nous permet pas de faire les réformes prévues. Il faut des marges de manœuvre ! Mais Hollande et Valls n’iront jamais au clash avec l’Allemagne. Ils n’ont pas voulu prendre la tête d’un mouvement européen ; ils ne font que suivre Renzi (le premier ministre italien, ndlr). Dans ce qu’ils proposent, il n’y a pas d’offre claire, mais un discours médiatique, le storytelling d’une gauche sans idées », martèle un de ses anciens collègues, compagnon de route de Montebourg depuis la primaire de 2011.
Environ 200 de ses partisans se sont réunis vendredi soir à La Rochelle pour discuter de l’avenir de leur sensibilité regroupée de façon assez floue dans le réseau Des idées et des rêves (le titre du livre-programme d’Arnaud Montebourg pendant la primaire de 2011). « Il faut recréer un espace critique, face à la grosse bouillie que nous voyons où on mélange fidélité au président et ligne droitière », explique un proche de Montebourg. Leur première université de rentrée, prévue les 4 et 5 octobre dans le Gard, est maintenue. Une lettre d’information devrait être réactivée et les tentatives de consolider le réseau des délégués départementaux de nouveau relancées – « on ne fait pas un courant, on structure un réseau ». Mais l’ancien candidat de la démondialisation a toujours eu le même défaut : se désintéresser de l’organisation interne de son parti et de la structuration d’une sensibilité prête à le soutenir.
Hamon digère lentement
Son ancien camarade du gouvernement, Benoît Hamon, a le défaut inverse : celui de s’être longtemps cantonné à gérer les jeux d’appareil qu’il maîtrise à merveille pour le compte de l’aile gauche du PS. Cette fois, il est lui aussi encore à court de stratégie. Il aurait voulu rester au gouvernement, sa présence à Frangy-en-Bresse et le durcissement brutal de Manuel Valls et de François Hollande l’ont conduit à suivre Arnaud Montebourg. Les proches du président de la République en sont encore mal à l’aise : ils auraient eux aussi souhaité que Hamon qui avait donné tous les gages de loyauté reste. Ils s’inquiètent de le voir arriver à l’Assemblée comme député et grossir les rangs des “frondeurs”.
En attendant, l’ex-ministre de l’éducation nationale reste silencieux. Samedi, il est arrivé pour sa table ronde sur l’égalité républicaine. La salle l’a ovationné, avant d’applaudir encore plus fort Christiane Taubira qui parvient à conserver son statut d’icône de la gauche en étant restée au gouvernement de Manuel Valls. Benoît Hamon semble lui aussi un peu sonné, il ne veut manifestement pas en rajouter.
Au micro, il parle école, puis s’arrête pour choisir prudemment les mots de sa conclusion : « Aujourd’hui, vous comme moi, nous savons que nous qualifier pour le second tour des élections présidentielles sera difficile. Sachant le péril qui menace, la question qui nous est posée, (...) c’est : avez-vous utilisé toutes les marges de manœuvre pour lutter contre les inégalités ? On peut échouer. Mais on peut échouer parce qu’on a été empêché, entravé, parce qu’on a perdu une bataille politique. On peut échouer aussi parce qu’on n’a pas tenté. Rien n’est perdu. » Applaudissements. Taubira en rajoute en lui caressant le dos.
« Il est dans la prise de recul et de hauteur, dit l’un de ses proches. Il a envie de s’investir et de réfléchir à la question éducative comme député, car il est clairement frustré par cette situation. » Objectif : « s’aérer du parti et occuper tous les terrains possible. Délaisser le parti serait une erreur, s’y cantonner aussi. »
Martine Aubry encadre les loyers, Valls sifflé à son arrivée
Ses partisans avaient prévenu qu’elle allait bientôt s’exprimer – « dans quelques semaines, sur le fond. Cela fait deux ans qu’elle est silencieuse, ça frémit, elle a envie de dire des choses », disait encore un de ses proches vendredi. Ils n’avaient pas franchement prévu que ce serait au beau milieu de l’université d’été du PS à La Rochelle.
Samedi, Martine Aubry est sortie de son silence pour contester frontalement la politique de Manuel Valls : dans un communiqué, elle a expliqué vouloir appliquer l’encadrement des loyers à Lille, une disposition de la loi Duflot dont le premier ministre a annoncé vendredi l’abandon. « Lille a besoin d'une régulation de ses loyers. La loi Alur le permet », écrit-elle. Avant d’insister : « Nous demandons que, comme Paris, Lille et d'autres villes volontaires bénéficient de l'encadrement des loyers prévus par la loi Alur dans le respect de l'engagement 22 de François Hollande. »
Martine Aubry, c’est le fantôme du PS qui inquiète le plus les proches de François Hollande. La seule qu’ils jugent capables d’incarner une alternative et fédérer les mécontents. Elle envisage de publier une contribution écrite pour les États généraux du PS, prévus cet automne, et ses amis vont se réunir en octobre. Mais c’est aussi celle qui déçoit souvent ses partisans en préférant gérer sa ville et s’occuper de sa famille que de se lancer dans une conquête improbable du pouvoir. « Elle a perdu la primaire. Elle ne sera pas présidente de la République et elle ne sera pas appelée à Matignon. Elle n’a pas d’ambitions personnelles. Et elle ne veut pas flinguer son camp », explique un de ses proches.
En attendant, elle conserve une aura qui peut contribuer à l’isolement et à l’affaiblissement de Manuel Valls. Le premier ministre est arrivé samedi après-midi à La Rochelle sous les huées d’un petit groupe de militants de la CGT :
Le reste de la gauche dubitatif
Pour la première fois depuis l’élection de François Hollande, le PS a réuni autour d’une même table toutes les formations de la gauche de gouvernement, jusqu’aux plus obscures (le Front démocrate de Jean-Luc Bennahmias ou le Mouvement unitaire progressiste de Robert Hue). Et même les alliés les plus compréhensifs ont fait part de leur doute, comme le président du MRC de Jean-Pierre Chevènement, Jean-Luc Laurent, qui a appelé à une « réorientation radicale de l’Union européenne, sans laquelle il n’y aura pas de retour de la croissance possible ».
Robert Hue a très poliment plaidé pour « un minimum de souffle social » et « atténuer quand même le présidentialisme, parce que c’est pas possible… ». Moins prudemment, le président du PRG, Jean-Michel Baylet, a tonné sur le respect des accords électoraux avec son partenaire socialiste : « Faites attention, il ne reste plus que nous au gouvernement. »
Bien plus incisive, et remontée depuis l’abandon de la loi Alur sur le logement, la secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, a tenu a rectifier le discours de Matignon. « Il ne s’agit pas d’une loi écologiste, elle a été portée par des socialistes, explique-t-elle. En premier lieu par Thierry Repentin, mais aussi Jean-Yves Le Bouillonnec et tous les maires socialistes qui ont milité pour l’encadrement des loyers. Pas par idéologie, mais par besoin de régulation dans nos villes ! En Allemagne, cela fait 15 ans qu’ils encadrent les loyers, c’est ça la compétitivité… »
Mais celui qui a emporté l’applaudimètre, devant une salle visiblement conquise au rejet de l’orientation empruntée cette semaine, c’est Pierre Laurent. Secrétaire national du PCF, il a dénoncé « les ovations par le Medef de la politique annoncée » ou le détricotage de la loi Alur sur le logement, « un copié-collé de la fédération des promoteurs de l’immobilier ». Sous quelques sifflets, mais beaucoup d’applaudissements, Laurent a pris le temps d’insister sur « l’échec, au mépris de toutes les alertes venues de toutes les familles de la gauche, d’une politique à l’évidence minoritaire parmi ceux qui ont voulu le changement ».
Le chef de file communiste se dit « prêt à ouvrir un autre chemin de la gauche » en partenariat avec les socialistes. Mais il joint à sa proposition plusieurs avertissements, diversement appréciés. « Aujourd’hui, nous devrions avoir honte d’être de gauche et enterrer Jaurès une deuxième fois ? » interroge-t-il, avant de relancer : « Est-ce que c’est Pierre Gattaz (le président du Medef, ndlr) qui va nous aider à penser le monde de demain une deuxième fois ? Imposer le travail du dimanche par ordonnances, c’est ça la gauche ?! »
Et de faire connaître les sujets qu’il accepterait de discuter : « ouvrir le dossier des salaires, refonder la démocratie et en finir avec l’autoritarisme présidentiel, s’attaquer au coût du capital ». Tout en prévenant, sous les vivats et les « Unité ! Unité ! Unité ! », qu’il ne faudrait pas compter sur lui « pour rivaliser avec la droite sur son terrain, afin d’être devant elle face au FN ».
Concluant l’échange, Jean-Christophe Cambadélis n’a pas franchement répondu aux interpellations, se contentant d’une ode historique à la complexité de l’union de la gauche, assortie de quelques formules dont il a le secret (« unité n’est pas unisson »). Et de répéter pour la quatrième fois en trois jours que « le PS n’est pas un parti social-libéral et il ne le sera pas », puis de dire sa « peur » que des « débats mal maîtrisés » conduisent à l’élection du FN et à une « gauche marginalisée ». Pas sûr que cela suffise à convaincre les colères qui s’expriment.
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