La Rochelle, de nos envoyés spéciaux. La volonté du prince. Le remaniement surprise du gouvernement a pris de court les ministres, les députés mais aussi les militants socialistes. À La Rochelle, pour leur université d’été, ils sont tous un peu sonnés, par l’ampleur du coup de semonce et par la rapidité de la manœuvre. Et comme impuissants face au « verrou » de la Ve République.
Le piège dans lequel se trouve le PS face à la politique menée par François Hollande et Manuel Valls, et le caractère personnel, voire solitaire, d’une orientation gouvernementale sur laquelle les dirigeants socialistes ne peuvent guère influer, semblent avoir fait progresser l’idée de mener à nouveau le débat sur la VIe République.
« On a quelque chose à inventer », dit un ancien ministre débarqué lors du remaniement d’avril. Le constat est partagé par Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, les “frondeurs”, Cécile Duflot et les écologistes… Tous ont réuni leurs courants vendredi soir à La Rochelle, pour discuter de leur « structuration » et ont envie de recréer un « espace critique ». Mais ils ne savent pas bien comment ni vraiment pour quoi faire.
Dans toutes les discussions, les mêmes écueils apparaissent : tous ceux qui ne se retrouvent pas sur la ligne libérale du gouvernement finissent empêtrés dans leurs contradictions. Ils disent que la politique actuelle n’a « plus de base, ni de légitimité démocratique ou sociologique » (dixit un ancien du cabinet d’Arnaud Montebourg) mais jurent qu’ils ne peuvent souhaiter l’échec du gouvernement. « On espère quand même avoir tort », dit un autre “ex” de chez Montebourg.
Ils estiment que « Valls cherche l’affrontement » (selon un député proche de Martine Aubry) mais qu’il « ne faut pas lui faire ce cadeau ». « Je ne fais pas de la politique pour flinguer mon propre camp », dit un responsable socialiste pourtant effaré par l’évolution de l’exécutif.
Ils veulent tenter d’infléchir la ligne mais craignent le couperet venu de l’Élysée et la menace d’une dissolution en cas de rejet d’un texte. Jérôme Guedj, l’un des chefs de file de l’aile gauche du PS, estime qu’« il faut décontaminer ce chantage à la dissolution. S’il n’y a pas de vote de confiance, il peut juste y avoir un autre gouvernement de nommé. Mais acter cela, ça signifie la fin du président ».
« Si on ne vote pas la confiance ou le budget, faut pas rêver ! soupire un autre député. Valls ne sera pas remplacé par un autre gouvernement plus à gauche. Ce sera la dissolution. » « Dans la Ve République, la seule légitimité vient de la présidentielle… et c’est tous les cinq ans », souffle aussi un conseiller ministériel dépité. « Et c’est toujours le même problème, soupire l’eurodéputé Guillaume Balas, proche de Benoît Hamon, pour pouvoir changer les institutions, il faut pouvoir gagner la présidentielle… »
Le député Pouria Amirshahi estime que même si le système est à bout de souffle, la situation empire. « Au fond, la gravité des institutions de la Ve République a perdu de sa force incontestable, dit-il. Elles ne suffisent plus à l’exécutif pour s’imposer à sa majorité parlementaire. Du coup, il en rajoute dans la brutalité et l’autoritarisme. » « Ils ont les institutions pour eux, mais ça ne fait qu’accroître le problème », abonde Balas. Certains imaginent d’ailleurs un Manuel Valls continuant « de pousser son avantage toujours plus loin, jusqu’à se faire mettre en minorité à l’Assemblée. Si les députés acceptent, il est gagnant, s’ils refusent, il démissionne en se disant empêché. »
Alors, les avis divergent sur la marche à suivre, entre ceux qui veulent « aller jusqu’au bout » et ceux qui « ne veulent pas faire ce cadeau à Valls ». Un député socialiste soutenant le gouvernement, mais moins Manuel Valls, avoue de son côté son trouble devant la stratégie vallsienne : « Je ne comprends pas comment on peut être à ce point fan de la Ve, et se démarquer à ce point du fait majoritaire. »
Aujourd’hui, le sujet institutionnel est devenu central dans les discussions militantes. L’atelier consacré à ce sujet à La Rochelle a fait salle comble et « tout le monde y a demandé un changement en faveur du parlementarisme », note le député Matthias Fekl. Jusqu’ici défendu par les minorités au PS (la gauche socialiste dans les années 1990, le courant NPS dans les années 2000), le débat constitutionnel avait été peu à peu enterré, jusqu’au forum des institutions confié par Martine Aubry à Manuel Valls, en 2010. Un forum qui avait entériné la conversion du PS à la Ve République et au présidentialisme. « On a fait une connerie en abandonnant le sujet et en se rangeant derrière ceux qui disaient “la VIe république, ça donne pas à manger aux gens”, regrette Balas. Sans des institutions différentes, on ne peut pas espérer obtenir de meilleure base sociale. »
Le collectif Cohérence socialiste, conduit par les députés Karine Berger et Yann Galut, évoque dans le livre Contre la mort de la Gauche (coécrit par Valérie Rabault, Karine Berger, Yann Galut et Alexis Bachelay) le choix de supprimer le poste de premier ministre et le droit de dissolution. La sénatrice de l’aile gauche Marie-Noëlle Lienemann prévoit déjà d’organiser un colloque au Sénat sur la VIe République, à l’automne. Et regarde d’un œil intéressé la volonté de Jean-Luc Mélenchon de mener bataille sur le sujet, tandis que les écologistes font de l’obtention d’une dose de proportionnelle leur dernier motif de croyance dans le quinquennat Hollande.
Même Jean-Christophe Cambadélis dit avoir « noté que le sujet institutionnel montait dans le parti et chez les militants », et a déclaré vendredi que cette question devrait figurer au centre du prochain congrès, et être tranchée par les militants.
En attendant, l’exécutif continue de s’approprier les leviers de la Ve République que la gauche a si souvent critiqués. Samedi, le cabinet de Manuel Valls à Matignon a confirmé que le gouvernement voulait procéder par ordonnances pour le projet de loi sur l’économique prévu pour le mois d’octobre, ce qui permet de court-circuiter le Parlement. Et notamment pour un sujet emblématique à gauche et au PS : la déréglementation du travail du dimanche. Un ancien ministre glisse dans un soupir : « Ils vont réussir à tuer d'un même coup la gauche et la Ve République... Bel exploit. »
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