La Rochelle, de nos envoyés spéciaux. Ils sont comme groggy. Ministres ou secrétaires d’État, ils sont toujours de l’équipe de Manuel Valls et comptent y rester. L’essentiel de la politique menée leur convient, ils ne voient pas franchement d’alternative. Mais la mise en scène d’un tournant libéral de l’exécutif les met mal à l’aise. Après deux ans et demi d’exercice du pouvoir, l’exécutif ne sait plus très bien où il habite ni ce qu’il est. Social-libéral, social-démocrate, socialiste, les mots valsent et ne semblent plus signifier grand-chose.
En chœur, bien sûr, l’Élysée et le gouvernement défendent l’éviction d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon. Jurent qu’il était impossible qu’un ministre de l’économie critique la politique économique qu’il devait mettre en œuvre. Qu’au-delà des mots, certaines attitudes sont insupportables. Les éléments de langage sont calés : les partants sont au choix des immatures peu dignes d’occuper une fonction si importante, des manœuvriers qui ont confondu le congrès du PS avec le gouvernement, ou des comédiens qui jouent de postures au service de leur ambition.
« Au-delà de la ligne, c’est le style, le ton et la désinvolture qui étaient problématiques », explique une ministre du gouvernement. « Ils se sont comportés comme des gamins. Arnaud (Montebourg, ndlr) est intéressant et travailleur mais c’est un comédien. Il a joué. Benoît (Hamon, ndlr) n’avait pas mesuré qu’il serait la vedette américaine alors qu’il était ministre de l’éducation nationale à huit jours de la rentrée scolaire », dit un de ses collègues.
Mais ce ne sont que petites phrases et fausses confidences destinées à éteindre un incendie médiatique. Elles ne sauraient étouffer tous les doutes, même parmi les partisans les plus farouches de François Hollande. Cette incertitude, voire ce désarroi, ce sont les membres d’un gouvernement, militants du parti socialiste depuis de longues années, obligés de s’expliquer toute la journée sur leur appartenance à la gauche. Ce sont des journalistes de tous médias qui leur demandent quelle est la différence entre leur politique et celle de la droite. C’est ce ministre, dans le train qui l’emmène à La Rochelle, qui accepte de répondre à la question sans même trouver incongru qu’elle soit posée.
« Manuel Valls est social-libéral. Il a une ligne clairement identifiée. Mais à côté de ça, il faut réaffirmer que notre objectif est la justice sociale et la redistribution. L’enjeu de l’emploi n’est pas le seul : il faut créer des richesses pour relancer l’activité mais aussi pour faire des réformes sociales de redistribution », explique un ministre qui a toujours revendiqué son appartenance à la deuxième gauche de Michel Rocard. Et qui insiste : « Il faut être sur une ligne sociale-démocrate. Il faut l’expression d’une volonté sociale. Je ne suis pas du tout social-libéral, je suis social-démocrate. »
Favorable à un assouplissement du travail de dimanche, critique envers les « blocages et pesanteurs » dont souffrirait la France, partisan de la réduction des déficits, ce membre important du gouvernement veut pourtant continuer à parler « services publics et solidarité ». « Être de gauche, c’est ça. Ne parler que des entreprises, c’est tronqué. » L’incroyable, en réalité, est de devoir le préciser.
« En ce moment, je suis un mauvais porte-parole du gouvernement, car on ne sait pas où Manuel Valls et François Hollande vont », lâche aussi un secrétaire d’État. Lui aussi juge qu’il n’y avait pas d’autre issue possible que le départ des ministres, mais le regrette. « Le sujet, c’est l’expression publique des désaccords, dit-il. Les débats continueront à avoir lieu, même si on peut avoir un questionnement sur la qualité de ce débat. » En revanche, il ne se remet pas de la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy : « Les symboles, quand il ne reste plus que ça, c’est important. » Et de considérer cette promotion comme « une faute de fabrique, on va être obligé de rappeler les voitures à l’usine ».
Pour autant, il veut croire que ce « tournant libéral » ne durera pas. « Il y aura des rééquilibrages, assure-t-il. Car aujourd’hui il manque un pan dans le discours du Medef (prononcé mercredi par Manuel Valls, ndlr), c’est la question du volet social de l’action gouvernementale. Ce sujet, Manuel aura besoin de l’ouvrir, il n’est pas fou. Le tournant libéral ne peut pas tenir, on ne peut pas faire une politique sans le parti et sans majorité à l’Assemblée. »
Social-démocrate, pas social-libéral, c’est le mantra également répété par les proches de François Hollande. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture et porte-parole du gouvernement, fait le service après-vente devant la presse : lui aussi doit rappeler qu’il est de gauche. « Le PS est un grand parti de gauche avec une assise populaire qu’il faut garder. Nous avons quatre grands principes : la lutte contre les inégalités ; privilégier la production face à la rente ; la transition énergétique ; l’éducation qui reste une priorité. Ces valeurs montrent bien que notre politique est de gauche. Je revendique ces valeurs de gauche », explique-t-il. En soi, la scène est éclairante. Le Foll insiste : « On n’est pas social-libéral, on est des sociaux-démocrates. La preuve, on s’est beaucoup appuyé sur le dialogue social. » Des mots déjà prononcés par le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis jeudi dans Le Monde.
Ce dernier a, ce vendredi à La Rochelle, de nouveau insisté : « Le social-libéralisme, ce n’est ni notre langage, ni notre culture, ni notre tradition. » Face « à un trouble qui s’est installé par un enchaînement d’événements », il souhaite « fixer des lignes rouges ». Et il prévient : « Je marquerai la même distance avec le social-libéralisme qu’avec certaines critiques exprimées par l’aile gauche. » Avant de toutefois souhaiter que le PS puisse « se moderniser sans se renier » et de lancer des « états-généraux des socialistes » (voir ici), pour « définir un nouveau progressisme » dans les quatre prochains mois.
Deux ans et demi après la victoire de François Hollande, les principaux responsables du gouvernement et du PS en sont donc à justifier ce qu’ils font, et même ce qu’ils sont. Et signe supplémentaire d’un certain désarroi, on n’y comprend pas grand-chose. La définition de la social-démocratie varie d’un ministre à l’autre. Quand l’un rappelle l’importance conférée au dialogue social, et donc à la nécessité de compromis entre des forces ayant des intérêts divergents, l’autre affirme que la lutte des classes a disparu depuis longtemps.
« La social-démocratie, c’est l’adaptation », dit un ministre en une formule dont on peine encore à comprendre le sens. Un autre ajoute : « Quand on se met dans la main de la politique de l’offre, il faut avoir le patronat avec nous. C’est notre faiblesse. On est dans la main du patronat. » Un troisième défend que la social-démocratie, c’est de ne pas faire ce que ferait la droite – une définition par la négative. C’est ne pas remettre en cause la protection sociale, ne pas baisser les salaires, ne pas faire davantage d’économies, ne pas dérembourser des médicaments, ne pas toucher à la durée légale du travail. Être de gauche, pour le gouvernement, c’est ne pas être de droite. Pour la suite, Stéphane Le Foll promet : « Il faut clarifier idéologiquement ce qu’on est en train de faire. »
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