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Les mystérieux voyages de l'UMP au Congo

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Comme un air de mystère derrière le voyage de Jean-François Copé au Congo. En France comme au Congo, le forum Forbes Afrique, organisé le 24 juillet par le magazine américain Forbes, à Brazzaville (République du Congo), crée la polémique. Charlie Hebdo a révélé que Jean-François Copé était intervenu dans cette conférence rémunérée pour laquelle il pourrait avoir touché, selon Le Journal du dimanche, 30 000 euros. Mais le patron de l'UMP refuse de confirmer le montant de sa rétribution.

Il apparaît que plusieurs dirigeants du parti ont fait le voyage, dont Rachida Dati, vice-présidente de l'UMP, dans la semaine précédant le déplacement de Copé. Les maigres interventions politiques auxquelles ils se sont livrés conduisent à s'interroger sur la raison de leur venue. De nombreux sites africains se questionnent ainsi sur ces visites au président Sassou Nguesso, au moment où l'UMP lance une souscription nationale pour rembourser 11 millions d'euros, suite à l'invalidation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.

Sur l'estrade du forum Forbes, ce 24 juillet, Jean-François Copé joue les experts de l'Afrique, « qui a ses racines, son histoire, sa culture » « L'Afrique est à la croisée des chemins » ; « Pour moi, l'Afrique, c'est d'abord celle du XXIe siècle » ; « le changement majeur que constitue le téléphone portable, l'Internet, (c'est) une révolution complète ». Voici les images de son intervention, sous l'œil du président congolais Denis Sassou Nguesso :

Vidéo de Tele Nkombo / Zenga-Mambu.com

À ses côtés pour parler de « l’émergence des classes moyennes africaines », des chefs d'État africains (Sénégal, Afrique du Sud, Burkina-Faso, Ghana), l’ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, l’ex-premier ministre belge et eurodéputé Guy Verhofstadt, Zineb Abbad El Andaloussi de la banque Rothschild (la liste des invités est ici). Le tout sous le haut patronage du président congolais et animé par la journaliste Christine Ockrent, habituée des « ménages ».

Dans la salle, d'autres UMP sont présents. Comme Alain Marsaud, député de la 10e circonscription des Français de l'étranger (Moyen-Orient, sud de l'Afrique). Sur son site, l'élu explique s'être entretenu avec plusieurs chefs d'État africains, dont Sassou Nguesso.

Le député UMP Alain Marsaud au Forum Forbes avec Jean-François Copé et Annoncia Badiabio, militante UMP, le 24 juillet 2013.Le député UMP Alain Marsaud au Forum Forbes avec Jean-François Copé et Annoncia Badiabio, militante UMP, le 24 juillet 2013.© alainmarsaud.fr

Autre UMP présent, Pascal Drouhaud, candidat aux législatives en 2012 dans la circonscription des Français en Amérique latine. Ce proche de Juppé fut le directeur des relations internationales de l’UMP de 2002 à 2006, avant de rejoindre le cabinet du ministre de la fonction publique de Chirac, Christian Jacob – aujourd'hui bras droit de Copé. Responsable Afrique d'Alstom, Drouhaud explique à Mediapart être venu au forum Forbes « pour le travail, uniquement avec (sa) casquette d'industriel ».

Pascal Drouhaud pose avec le président du Sénégal, Macky Sall, au forum Forbes.Pascal Drouhaud pose avec le président du Sénégal, Macky Sall, au forum Forbes.© Page Facebook de Pascal Drouhaud.

En juillet 2012, les anciens premiers ministres chiraquiens, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, s’étaient déjà rendus à Brazzaville, à l’occasion du lancement de Forbes Afrique, version africaine francophone de la revue Forbes. Comme eux, Copé a fait le déplacement dans un avion de 50 places spécialement affrété depuis Paris, ce que confirme à Mediapart Olivier Costes, de l'agence Havas, qui organise le forum. Le président de l'UMP a été hébergé dans un hôtel cinq-étoiles de la capitale, le Ledger Plaza Maya-Maya.

L'hôtel cinq-étoiles Ledger, où ont été hébergés les intervenants français du Forum Forbes, dont Jean-François CopéL'hôtel cinq-étoiles Ledger, où ont été hébergés les intervenants français du Forum Forbes, dont Jean-François Copé© Hôtel Ledger

Quelques jours plus tôt, c'est la vice-présidente de l'UMP Rachida Dati qui était de passage au Congo, pendant le Festival panafricain de la musique (FESPAM). Le 17 juillet, la députée européenne a été longuement reçue par le chef d'État congolais, dans le palais présidentiel, avant de dîner avec lui. Dans un communiqué, la copéiste explique avoir évoqué avec lui « des sujets de politique internationale » et avoir « salué (son) engagement pour résoudre la crise centrafricaine »

Rachida Dati reçue par le président congolais Denis Sassou Nguesso, le 17 juillet 2013.Rachida Dati reçue par le président congolais Denis Sassou Nguesso, le 17 juillet 2013.© Capture d'écran du journal télévisé.

Rachida Dati et Denis Sassou Nguesso, le 17 juillet 2013.Rachida Dati et Denis Sassou Nguesso, le 17 juillet 2013.© congo-liberty.com
Rachida Dati s'entretient dans le palais présidentiel avec D. Sassou Nguesso, le 17 juillet 2013.Rachida Dati s'entretient dans le palais présidentiel avec D. Sassou Nguesso, le 17 juillet 2013.© nerrati.net

L'ex-garde des Sceaux de Sarkozy a également rencontré les ministres du développement durable, de la « promotion de la femme », de l'enseignement primaire et secondaire, et le président du Sénat.

R. Dati et son attaché parlementaire P. Kyle avec la ministre de la promotion de la femme, C.  Embondza Lipiti, le 17 juillet.R. Dati et son attaché parlementaire P. Kyle avec la ministre de la promotion de la femme, C. Embondza Lipiti, le 17 juillet.© Agence d'information d'Afrique centrale (Adiac)

Devant la caméra de la télé congolaise, elle se dit « très impressionnée par la qualité » de l'« initiative exceptionnelle » de Sassou Nguesso sur les lycées d'excellence, développée avec « une grande intelligence ». Sur ces images, elle se présente comme « vice-présidente de l'UMP » et explique avoir évoqué avec le président du Sénat l'idée d'« échanges » entre les parlementaires congolais et français :

© Vidéo d'Artvnews Chaine

Ce déplacement a été effectué « dans le cadre de son mandat européen », souligne pourtant à Mediapart son attaché parlementaire à Strasbourg, qui précise qu'elle a été « sollicitée par les autorités congolaises en avril pour leur faire part de son expertise sur plusieurs questions », comme « la parité », « la lutte contre les violences faites aux femmes », « les lycées d'excellence », et « soutenir le reboisement ». Qui a financé ce déplacement ? « Rachida Dati a été sollicitée par les autorités congolaises », se contente de répéter son collaborateur.

Que sont allés faire les dirigeants de l'UMP au Congo ? Face aux interrogations sur un possible financement politique, l'entourage de Copé répond à Mediapart : « C'est juste une blague, vous savez comment sont encadrées les lois sur le financement politique ? » Des lois que Brice Hortefeux, vice-président de l'UMP, a tout de même proposé jeudi de « revoir » pour « donner davantage de liberté » aux donateurs privés, s'attirant les foudres du PS, dans un communiqué : « La République, ce n'est pas les petits arrangements avec les puissances d'argent, à Paris ou à Brazzaville. »

“Bébé Chirac”, Copé n'en est pas à son premier voyage en Afrique. Son entourage confirme qu'il s'y rend « très régulièrement ». En moins de deux ans, il est notamment allé deux fois en Côte d'Ivoire (en octobre 2011 et en mars 2013).

Jean-François Copé reçu par le président de Côte d'Ivoire Alassane Ouattara, le 22 octobre 2011, à Abidjan. Jean-François Copé reçu par le président de Côte d'Ivoire Alassane Ouattara, le 22 octobre 2011, à Abidjan. © newsabidjan.net

Le 14 avril 2012, le patron de l'UMP a signé un accord « de coopération et d'amitié » avec le Rassemblement des républicains (RDR), parti du président ivoirien Alassane Ouattara, lors d'une rencontre organisée par l'UMP, salle Gaveau, à Paris :

J.-F. Copé recevant à Paris son homologue ivoirien du RDR, Amadou Soumahoro, le 14 avril 2012.J.-F. Copé recevant à Paris son homologue ivoirien du RDR, Amadou Soumahoro, le 14 avril 2012.© UMP Photos / Flickr
Jean-François Copé lors de la rencontre organisée par l'UMP, salle Gaveau, à Paris, le 14 avril 2012.Jean-François Copé lors de la rencontre organisée par l'UMP, salle Gaveau, à Paris, le 14 avril 2012.© UMP Photos / Flickr


En 2011, l'avocat d'origine libanaise Robert Bourgi avait décrit en détail dans Le Journal du dimanche des remises de fonds de la part de responsables politiques africains qu'il aurait lui-même effectuées auprès de l'ex-président Chirac et de son ancien premier ministre Dominique de Villepin, entre 1997 et 2005. Il avait expliqué avoir « participé à plusieurs remises de mallettes à Jacques Chirac », et avoir également remis des fonds occultes à Dominique de Villepin. Les chiraquiens avaient démenti et annoncé une plainte en diffamation.

Mais depuis lundi, c'est surtout le silence de Copé sur sa rémunération pour son apparition au forum Forbes qui suscite la polémique. Harlem Désir a fustigé la « politique business » de Jean-François Copé en estimant qu'« un chef de parti de notre pays n'a pas à être payé pour des prestations au service d'intérêts privés à l'étranger ». Le patron des députés PS, Bruno Le Roux, a pointé du doigt un « mélange des genres » et jugé « choquant (...) quand on est président d'un parti politique, que l'on aille à l'étranger faire des conférences, faire l'aller-retour pour partir avec un chèque » (voir la vidéo).

Le ministre du développement Pascal Canfin s'est lui aussi dit « choqué » « qu'un responsable en responsabilité ou qui aspire à le devenir (...) accepte une rémunération dont on ne connaît pas le montant, mais on se doute bien que ce n'est pas 1 euro » (voir la vidéo)« On a le risque, le malaise en filigrane, du conflit d'intérêts », a estimé François de Rugy, le co-président du groupe EELV à l'Assemblée nationale. 

Chez Copé, « on assume totalement », a affirmé le 29 juillet son directeur de cabinet, Jérôme Lavrilleux, en expliquant que le président de l'UMP donnait « souvent des conférences, y compris à l'international », mais que « seules celles qui sont organisées par des organismes privés donn(aient) lieu à rémunération ». « Jean-François Copé a été invité pour intervenir à ce forum, ce déplacement a été rémunéré, mais la compensation est inférieure à ce qu'a écrit Le Journal du dimanche », explique à Mediapart son entourage, en insistant : « Ce déplacement est transparent. »

Alors pourquoi refuser de livrer le montant de la rémunération perçue ? « À un moment, on a dit stop, on n'a pas à donner cela », nous répond-on.

Nicolas Sarkozy lors de son dîner à Brazzaville avec le président congolais D. Sassou N'Guesso, le 26 mars 2009.Nicolas Sarkozy lors de son dîner à Brazzaville avec le président congolais D. Sassou N'Guesso, le 26 mars 2009.© Reuters

Au-delà de la rémunération, c'est l'affichage de responsables de l'UMP aux côtés du président congolais qui fait polémique. À 69 ans – dont 34 passés à la tête de ce pays pétrolier d’Afrique centrale –, Sassou Nguesso est l'un des trois chefs d'État africains visés par l’enquête des « biens mal acquis », ouverte en 2010 pour détournement de fonds et blanchiment. Les juges Roger Le Loire et René Grouman s'intéressent aux villas, hôtels particuliers et appartements acquis en France dans des conditions douteuses par le président du Congo.

En février, des perquisitions ont été menées aux domiciles parisiens de membres de la famille de Sassou Nguesso. En avril, lors de sa rencontre avec François Hollande, le président congolais avait dénié à la justice française « le droit » d’enquêter sur les « biens mal acquis », en invoquant le principe de « non-ingérence »

Au Congo, le forum Forbes a également déclenché un tollé. Des journalistes ont critiqué dimanche, lors de l'émission « Point de presse », diffusée sur MN-TV, le coût démesuré de cette conférence, alors que près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Un journaliste du Patriote s'est interrogé sur l'utilité d'un forum qui aurait, selon lui, « coûté 6 milliards de francs CFA (soit plus de 9,1 millions d'euros, ndlr) au trésor national »Son confrère de la Voix du Peuple s'est lui étonné de telles dépenses alors que les victimes de l'explosion du 4 mars à Brazzaville n'ont pu être ni soignées au Congo ni indemnisées.

Malgré le pétrole (le pays est le quatrième producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne), le Congo se situe au 142e rang (sur 186) du classement de l'indice de développement humain publié en avril par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). En 2011, le pays a enregistré un taux de chômage de 34,2 %, touchant de plein fouet la tranche des 25-35 ans. Selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), 26 % des enfants congolais de moins de 5 ans sont atteints de malnutrition chronique. L'espérance de vie est de seulement 57 ans. 

Le premier numéro de Forbes Afrique, version africaine francophone du magazine américain Forbes.Le premier numéro de Forbes Afrique, version africaine francophone du magazine américain Forbes.

Face à la polémique, le fondateur de Forbes Afrique, l’homme d’affaires congolais Lucien Ebata, a dû venir s'expliquer en catastrophe mardi sur la télévision nationale, TV-Congo. Patron du groupe pétrolier Orion Oil et proche du président congolais, il a assuré, en dépit des informations déjà confirmées, que les intervenants étaient venus à titre gratuit et que l'État n'avait pas déboursé un centime.

Impossible cependant d'obtenir des détails sur le financement de cette grande conférence. « Nous n'avons pas de chiffres à disposition, on ne s'est occupé que de l'accompagnement logistique du forum », affirme-t-on chez Havas, en renvoyant vers le directeur général de Forbes Afrique – qui n'a pas répondu à nos questions.

Selon la Lettre du continent, publication spécialisée sur les questions africaines, le forum a été financé par Orion Oil et la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont le conseiller juridique, Sylvain Lekaka, “parent” de Sassou, préside la revue Forbes Afrique.

Le forum comme la revue sont en tout cas à la gloire du président Sassou Nguesso. « Forbes Afrique ou Forbes Sassou ? » s’interrogeait d'ailleurs le 30 août 2012 La Lettre du continent, en détaillant le premier numéro : « L'unique publi-reportage consacre six belles pages au président congolais (...). Modestement intitulé "Congo-Brazzaville : l'aube nouvelle", cette publicité alterne, comme il se doit, propos dithyrambiques envers Sassou Nguesso et constats édifiants. Exemple : "De retour aux affaires depuis 1997, Denis Sassou Nguesso a travaillé essentiellement à redonner l'espoir de vivre à ses quelque 3 millions et demi de compatriotes". »

Dans ce premier numéro, on trouve également un portrait de Vincent Bolloré. L'homme d'affaires français contrôle l'agence publicitaire Havas, qui organise le forum Forbes. Cette grande conférence économique lui permet de rivaliser avec le New York Forum Africa organisé depuis 2012 au Gabon par Richard Attias, ancien patron de Publicis Events Worlwide, et mari de Cécilia Attias (ex-Sarkozy).

V. Bolloré s'est construit un empire en Afrique. Ici en mars 2011 lors du lancement des travaux du 3e quai au port de Lomé, TogoV. Bolloré s'est construit un empire en Afrique. Ici en mars 2011 lors du lancement des travaux du 3e quai au port de Lomé, Togo© Louis Vincent

Mais Bolloré est déjà bien établi au Congo. En 2009, il a remporté la concession du terminal à conteneurs de Pointe-Noire, dont il souhaite faire le premier port en eaux profondes d'Afrique centrale, en engageant entre 200 et 300 millionsSelon l'homme d'affaires franco-espagnol Jacques Dupuydauby, Nicolas Sarkozy aurait alors fait pression sur le président Sassou Nguesso, qui avait pesé de tout son poids pour que Bolloré, concurrencé par Dubaï Ports, l'emporte. Ce qu'avait démenti à Mediapart l'industriel français, en affirmant l'avoir obtenu « en toute légalité » (lire aussi l'enquête de Martine Orange sur l'empire Bolloré en Afrique).

BOITE NOIRENous avons sollicité Jean-François Copé via son conseiller Guillaume Bazaille, qui nous a répondu que le président de l'UMP « s'était exprimé sur le sujet » et n'avait « pas d'autres commentaires à faire ».

Contactée sur son portable, Rachida Dati n'a pas donné suite à notre demande. Son attaché parlementaire au Parlement européen nous a fourni le détail de sa visite. 

Alain Marsaud n'a pas retourné notre appel.

Sollicité par mail à plusieurs reprises, Lucien Ebata, fondateur de Forbes Afrique, n'a pas répondu à nos questions.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Allo, j’écoute !


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