Manuel Valls pensait renverser la table. Lundi matin, c’est lui qui avait exigé, et obtenu, de François Hollande le départ d’Arnaud Montebourg et des ministres ouvertement contestataires. En démissionnant son gouvernement, le premier ministre comptait marquer les esprits : imposer un cap social-libéral tout en se dégageant, un peu, de l’influence de François Hollande. Au vu du casting gouvernemental, le pari de l’autonomisation est raté : le gouvernement (16 ministres, 17 secrétaires d’État) reste à la main de François Hollande, chef de l’État conforté par les institutions de la Cinquième République.
Le premier ministre annonce d’ores et déjà un vote de confiance « en septembre ou en octobre » qui s’annonce délicat. Et il promet « des annonces dans 48 heures pour débloquer le pays ». Mercredi 27 août, il est attendu à l’université d’été du Medef, où il pourrait dérouler une partie de ce menu devant un parterre de patrons. « Il n'y a qu'une seule ligne, a martelé mardi soir le premier ministre sur France 2. La France est un immense pays, la cinquième puissance mondiale, la deuxième puissance économique de l'euro, sa voix pèse dans le monde. Mais pour être fort, il faut une économie forte. Ma seule mission c'est que notre économie soit plus forte, réduire le chômage. »
Les poids-lourds reconduits
Sept heures de tête-à-tête entre Manuel Valls et François Hollande à l’Élysée et de multiples coups de téléphone auront finalement abouti à un gouvernement en forme de quasi-décalque du précédent. Hormis Montebourg, Hamon, Filippetti et Frédéric Cuvillier, virés ou auto-exfiltrés, les poids-lourds occupant les postes régaliens, la plupart “hollandais”, restent à leur poste : Jean-Yves Le Drian (défense), Marisol Touraine (affaires sociales, qui récupère le droit des femmes), François Rebsamen (emploi, travail et dialogue social), Bernard Cazeneuve (intérieur), Stéphane Le Foll (agriculture et porte-parole du gouvernement) etc. Idem pour Ségolène Royal (écologie, développement durable et énergie), nommée en avril dernier, et Christiane Taubira (garde des Sceaux), maintenue à un poste qu’elle occupe depuis juin 2012.
Le casting des secrétaires d’État est assez peu modifié. De même que les périmètres ministériels. À l’exception du droit des femmes : noyé dans un grand ministère des droits des femmes, des sports et de la ville en avril dernier, ce portefeuille est désormais placé sous l’égide de Marisol Touraine. Et bénéficie d’une secrétaire d’État, la vallsiste Pascale Boistard. Sous Jean-Marc Ayrault, c’était un ministère de plein exercice.
Une femme à l’éducation
Le gouvernement reste paritaire. Najat Vallaud-Belkacem, nouvelle numéro quatre du gouvernement, remplace Benoît Hamon. C’est la première femme ministre de l’éducation depuis 1824, comme le remarque notre blogueur Claude Lelièvre. Fleur Pellerin, chargée du commerce extérieur depuis 2012, prend le portefeuille de la culture. Des « symboles », a fait remarquer Manuel Valls, de « nouveaux visages qui représentent la diversité du pays ».
À part Emmanuel Macron, peu de nouvelles têtes
La nomination d’Emmanuel Macron, ancien associé-gérant de la banque Rothschild, ex-conseiller de François Hollande à l’Élysée et proche des milieux d’affaires, est évidemment très remarquée (lire notre portrait). À part ce choix, qui hérisse une partie de la gauche, au PS et au-delà, peu de nouvelles têtes font leur entrée. Mais en installant Emmanuel Macron à Bercy, François Hollande construit une ligne de responsables qui lui sont dévoués : Macron et Sapin auront la haute main sur la politique économique, avec Pierre Moscovici comme futur commissaire européen – à un poste économique important, exige Paris – qui devrait la relayer. Ce qui laisse peu d'espace pour Manuel Valls.
Seul autre nouveau ministre (hormis la promotion de Fleur Pellerin) : Patrick Kanner. Actuel président du conseil général du Nord, âgé de 57 ans, il est nommé ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Militant socialiste depuis son plus jeune âge, ce Lillois est proche de Martine Aubry, mais n'est pas considéré comme un aubryste (il était déjà actif à Lille du temps de Pierre Mauroy, dont il était devenu à la fin des années 1980 adjoint à la mairie). Il a remplacé Bernard Derosier à la présidence du conseil général du Nord en 2011. Patrick Kanner, membre du conseil national du parti socialiste, s’alarmait à la veille de sa nomination.
Sous la Vème République nous vivons une crise digne de la IVeme...Ne sommes nous pas arrivés à la fin d'un système qui montre ses limites ?— Patrick Kanner (@PatrickKanner) August 25, 2014
Il y a deux mois, il se montrait aussi très critique à l’égard de la réforme territoriale prônée par l’exécutif.
Je ne partage pas la méthode choisie pour conduire une telle réforme #départements— Patrick Kanner (@PatrickKanner) June 2, 2014
Diplômé de droit public et professeur à l’université de Lille III, Patrick Kanner, par ailleurs président de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCASS), va devoir mettre en œuvre la réforme de la politique de la ville, finalisée en juin dernier par Najat Vallaud-Belkacem.
Seuls trois des dix-sept secrétaires d’État n’ont jamais été ministre : Pascale Boistard (droit des femmes), Thomas Thévenoud (commerce extérieur), Myriam el-Khomri (politique de la ville).
Ancienne élue parisienne parachutée in extremis dans la Somme en 2012, où elle s’est fait élire députée, Pascale Boistard, 43 ans, est une fabiusienne de choc, qui a fait ses armes à Solférino sous la direction de Martine Aubry, où elle s’est notamment occupée de la tutelle de la fédération de l’Hérault. Elle s’est rapprochée récemment de Manuel Valls, dont elle est devenue ces derniers mois un des soutiens les plus affirmés à l’Assemblée. En circonscription, en revanche, la nouvelle secrétaire d’État est redoutée par ses collaborateurs, qui ont dénoncé ses méthodes devant les prud’hommes, ainsi que l’a raconté notre partenaire Le Télescope d’Amiens.
Adjointe de Bertrand Delanoë puis d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, Myriam el-Khomri, 36 ans, est nommée secrétaire d’État à la politique de la ville. C’est une spécialiste de la sécurité. Sous Ayrault, ce portefeuille bénéficiait d’un ministère délégué (occupé par François Lamy). Mais dans le premier gouvernement Valls, aucun poste n’était dédié à cette tâche, qui entrait dans les attributions de Najat Vallaud-Belkacem. Fin 2013, quand Anne Hidalgo demande à Daniel Vaillant de ne pas se représenter dans le 18e, elle escompte prendre la place. Mais le maire sortant ne veut pas qu’elle prenne sa succession. Elle négocie alors de se retirer contre un portefeuille élargi auprès de Anne Hidalgo (sécurité, prévention, politique de la ville et intégration). En dépit de ce mandat, elle a continué à être rémunérée en tant qu’assistante parlementaire de Daniel Vaillant, comme l’a révélé la déclaration d’intérêts du député, publiée cet été.
Autre entrant : Thomas Thévenoud, nommé au commerce extérieur, au tourisme et aux Français de l’étranger auprès de Laurent Fabius. Député de Saône-et-Loire, le fief d’Arnaud Montebourg, Thevenoud, fabiusien de 40 ans qui a soutenu Aubry à la primaire socialiste, est un proche de l’ancien ministre de l’économie. Souvent déçu par son mentor, Thevenoud joue depuis deux ans sa propre carte : défense des « petits » salariés (il était contre la suppression du dispositif des heures supplémentaires de Nicolas Sarkozy), patriotisme économique, etc. Il a à son actif quelques coups d’éclat remarqués : un rapport sur la TVA dans la restauration qui lui a valu les foudres de McDonald’s, son travail de dynamiteur dans le conflit entre les taxis et les VTC. Plein de bagou, capable de défendre à peu près tout et son contraire, Thomas Thévenoud avait été nommé récemment porte-parole des députés PS.
Enfin, Alain Vidalies, ancien ministre des relations avec le Parlement de Jean-Marc Ayrault, viré du premier gouvernement Valls, fait son retour, cette fois aux transports, à la mer et à la pêche. Des dossiers sensibles (SNCF, SNCM) pour cet avocat de profession, soutien de Martine Aubry à la primaire. C'est un spécialiste des dossiers sociaux, réputé pour sa diplomatie.
Pas d’élargissement, aucune ouverture
Valls, le magicien de la com’, semble avoir perdu sa baguette. En l’espace de 24 heures, le premier ministre a essuyé une série de refus relativement impressionnante, ne parvenant pas à élargir la majorité actuelle. Lundi, Luc Carvounas, sénateur proche de Manuel Valls, nous disait espérer que « des chevènementistes, des écologistes ou Robert Hue rejoignent le bateau PS ». C’est raté. Jean-Michel Baylet et Robert Hue ont fait connaître, avant l’annonce du nouveau gouvernement, leur refus d’en être, l’un devant les caméras à la sortie de l’Élysée, l’autre par communiqué. Personne non plus du côté du MRC.
Quant aux écologistes, après avoir laissé fuiter leurs discussions avec Jean-Vincent Placé et Barbara Pompilli (présidents de groupe EELV au Sénat et à l’Assemblée), ces derniers se sont finalement rangés à la position unanime de la direction du mouvement écolo, prise la veille. « Des débauchages individuels n’apportaient rien à Valls dans l’escarcelle parlementaire, au contraire ça aurait même contraint certains pro-gouvernement à se radicaliser », explique un dirigeant d’EELV.
Côté PS, ce nouveau gouvernement quasi identique n’a connu qu’une réelle défection, outre les trois départs fracassants de la veille, celle du secrétaire d’État aux transports Frédéric Cuvillier, un proche de François Hollande. Celui-ci, maire de Boulogne-sur-Mer (le seul ministre à s’être présenté tête de liste aux dernières municipales), a fait connaître dans un communiqué, peu avant l’annonce élyséenne, son refus de continuer sous l’autorité de Ségolène Royal : « Dans la configuration qui m’a été proposée, j’estime ne pas disposer de cette capacité d’action et de l’autonomie nécessaire à la réussite d’une politique cohérente porteuse d’espoir pour nos territoires et nos concitoyens, confrontés à une crise profonde. »
L’ancien proche lieutenant de Martine Aubry, François Lamy, a quant à lui refusé de faire son retour au gouvernement. « C’est une question de ligne politique, a expliqué l’ancien secrétaire d’État à la politique de la ville de Jean-Marc Ayrault : « Je ne suis pas sûr de partager les orientations du futur gouvernement sur la réforme du code du travail, le relèvement des seuils sociaux ou la baisse des dépenses publiques, et notamment les 11 milliards d’euros en moins pour les collectivités locales. » Les aubrystes ne seront représentés à la table du conseil des ministres que par Marylise Lebranchu.
Enfin, aucune ouverture vers des personnalités centristes n’a été réalisée. Pas de Corinne Lepage ou de Jean-Luc Bennhamias, ni de François Bayrou, annoncés dans la presse comme autant d’intox rituelles dans ces moments-là. Mais la personnalité d’Emmanuel Macron à Bercy agit à elle seule comme un épouvantail pour la gauche. Sur France 2 mardi soir, Manuel Valls a martelé sa confiance de voir désormais la discipline dans les rangs. « L’immense majorité des députés nous soutient et sera au rendez-vous », a-t-il estimé.
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