Bordeaux, de notre envoyé spécial. Déboussolés, avec une boussole à trois flèches. Lors de leurs journées d'été à Bordeaux, de jeudi à samedi, les écologistes ont livré leurs doutes et leurs désaccords. Devant plus de 1 500 cadres et militants, l'ambiance a été davantage studieuse qu'enthousiaste ou conquérante. Si les relations entre chefs à plume restent cordiales, l'ambiance bon enfant et les ateliers « sur le fond » de bonne tenue, les écologistes constatent pour l'heure une certaine impuissance, venant clore définitivement la séquence « europécologiste », cinq ans après la redynamisation écolo dans les urnes et dans les assemblées.
Après l'âge d'or et un partenariat privilégié avec Martine Aubry, la confrontation au pouvoir au côté du socialisme hollandais a tourné au fiasco, et des temps incertains s'annoncent. Alors que les députés socialistes critiques fourbissent leurs armes avant l'université de La Rochelle et qu'Arnaud Montebourg et Benoît Hamon demandent un coup de barre à gauche (lire ici) à un Manuel Valls et un François Hollande impassibles, au risque d'une crise gouvernementale, les écologistes ont fait du surplace. Aucun grand débat sur l'avenir stratégique et les orientations politiques futures du mouvement. Hormis un, qui a permis à certains « écolos de droite » de lancer des appels du pied vers le centre ou Alain Juppé (lire ici). Trois hypothèses se sont cependant dégagées des débats de coulisses, conférences de presse et autres forums improvisés.
Sur le campus de l'Université Montesquieu de Pessac, on croisait ceux qui voulaient refaire le match du gouvernement, regrettant quatre mois après leur départ de l'exécutif et réaffirmant une volonté de rester des partenaires privilégiés de la majorité de Manuel Valls. Parmi eux, on retrouve les présidents de groupes parlementaires Jean-Vincent Placé et François de Rugy, le vice-président de l'Assemblée nationale Denis Baupin, et le courant « réalo » du parti (Via écologica, emmené par Karim Zéribi, Stéphane Gatignon ou Christophe Rossignol, et qui a fait 17 % au dernier congrès).
Ceux-là continuent de ressasser et regretter le départ du gouvernement Valls. « On part après avoir avalé deux ans de couleuvres à cause de nos 2 % à la présidentielle, fulmine Rossignol, et on est partis alors qu'on en faisait 10% aux municipales, enfin en capacité de peser. » Pour Placé, qui s'éloigne ainsi de la majorité du parti, c'est « parce qu'il est resté que Montebourg aujourd'hui peut imposer ses idées dans le débat ».
La majorité des parlementaires partage ce point de vue. Ils redoutent que « désormais, ceux qui ne veulent plus gouverner ne veuillent plus être dans la majorité », et que le mouvement ne « tombe dans un toboggan gauchiste ». Pour Baupin, « ce qui compte, c'est d'être le plus utile possible, pas enthousiastes ». Et d'évoquer le débat sur la discussion parlementaire lors de la loi sur la transition énergétique, dont il est co-rapporteur : « Depuis que nous sommes sortis, notre rapport de force s'est dégradé. » Dans les têtes de certains, un éventuel retour au gouvernement n'est pas à exclure, « après les régionales », dit Placé.
Ce dernier, président du groupe EELV au Sénat, a tenté de convaincre son auditoire, lors d'un compte-rendu de mandat. « Plus on est militant, plus on est en contact avec d'autres réseaux militants et associatifs, plus on est déçus, c'est normal, explique-t-il. Mais cela a représenté 30 000 votants à nos primaires. Tous les sondages disent que nos électeurs nous préfèrent au gouvernement, à 85,88, 90 %… Et ça, ça représente deux à trois millions d'électeurs. » Dans l'assistance, un militant grenoblois lui répond : « Nous concernant, les sondages ne nous voyaient pas gagner la mairie, et si on l'a fait c'est grâce à nos réseaux citoyens et au relais des associations. »
Dans le reste du mouvement, on redoute même que ces « réalos » ne participent à une reconfiguration de l'espace politique, plus au centre et aux côtés de Jean-Luc Bennahmias, ancien dirigeant des Verts puis du MoDem, présent à Bordeaux et qui vient de créer son Front démocrate, avec la bienveillance de François Hollande. « C'est du Mitterrand/Lalonde au rabais, une tentative de Génération écologie du pauvre », persifle un ancien responsable, en référence au parti écolo concurrent, fondé par Brice Lalonde, ancien candidat écolo à la présidentielle de 1981 (3,9 %), qui avait contrarié, avec le soutien en sous-main de François Mitterrand, le début d'émergence politique des Verts, au début des années 1990.
Les #JDE l'occasion de passer un message subtil à @JVPlace ;) #EELV pic.twitter.com/lTsPkpVHcs— Fanny Dubot (@Fanny_Dub) August 23, 2014
Dans les allées de la faculté, entre les amphis rebaptisés René Dumont et Vandana Shiva, on trouve aussi une aile gauche du parti divisée mais soucieuse de renouer avec la gauche de la gauche (les amis d'Eva Joly) et le mouvement social (les proches de l'eurodéputée Karima Delli). Les premiers, après avoir défendu un rapprochement avec Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche, prônent un renforcement de la « stratégie grenobloise » qui a vu gagner l'écolo Éric Piolle. Ils évoquent déjà des primaires de l'autre gauche et une « plateforme » pour contrer Hollande, avec ou sans le PS (lire ici).
Les seconds appellent à « sortir des frondes ou des vassalités », explique Delli, pour être une « alternative ». « Les primaires, c'est pour dans trois ans, dit-elle. Il faut redonner goût aux militants dès maintenant, en se mobilisant avec d'autres sur la conférence climat, le traité transatlantique ou la situation européenne. Et reposer des débats comme le temps de travail, ou se greffer à des initiatives comme celle des Basques d'Alternatiba. » Le discours n'est pas si différent chez l'eurodéputé Yannick Jadot, ancien de Greenpeace et proche de Cohn-Bendit : « Aujourd'hui, il n'y a que Marine Le Pen qui intéresse. Il nous faut retrouver un espace dans la société, avec les syndicats, les agriculteurs, les entreprises d'énergies renouvelables… On ne peut pas gouverner avec une alliance FNSEA/Medef/Crif… »
Entre les stands végétariens, pro-palestiniens ou anti-corrida, les camions d'huîtres et de burgers bio, et l'estrade où se produisait régulièrement un groupe de rock aussi amateur de reprises que de volume sonore élevé, il y a aussi Cécile Duflot. Captant l'attention médiatique suscitée par la sortie de son livre réquisitoire de son expérience gouvernementale (lire ici), l'ancienne ministre du logement a saturé une bonne part de l'espace, entre séances de dédicaces, participations à de nombreux ateliers, lancement d'un club de réflexions (« Imagine ») avec son ancien acolyte ministériel Pascal Canfin.
Cécile Duflot a décidé de se lancer dans la bataille de la recomposition à gauche, après quatre mois de mise en retrait et un retour discret à l'Assemblée. « J'ai pris une responsabilité politique, pour qu'on puisse collectivement rediscuter de l'orientation actuelle, car on voit tous venir la catastrophe, dit-elle. Au moins que l'on renoue avec des débats et que l'on arrête la logique du “tais-toi et rame”. » Son désaccord politique avec Hollande et Valls n'est pas un « tournant gaucho », martèle un de ses proches.
Pour le démontrer, la nouvelle députée insiste auprès des journalistes. Elle constate que « Juppé parle d'écologie dans sa déclaration de candidature aux primaires de l'UMP, quand Hollande n'en dit pas un mot durant tout l'été », se dit « en phase avec Jean-Christophe Cambadélis quand il critique le dogme des 3 % de déficit », ou « en total accord avec Pierre-Alain Muet », le député PS, « qui est un économiste loin d'être gauchiste » et qui a récemment confessé à Mediapart son « effarement » (lire ici).
En revanche, elle compte bien occuper le terrain de l'union de la gauche, comme au temps de Martine Aubry. À l'Assemblée, elle sera en contact étroit avec « l'appel des 100 » députés socialistes critiques, durant les discussions budgétaires. Elle se rendra aussi à la fête de l'Humanité, puis à l'université de rentrée du courant Un monde d'avance, des proches de Benoît Hamon et Henri Emmanuelli.
En interne, les amis de Duflot entendent également influer. Au début de l'été, ils ont créé Rebondir, « une sorte d'inter-courant comme il y a des intergroupes à l'Assemblée », dit David Cormand, afin de « stabiliser un centre de gravité du parti, estimant qu'il n'y a pas des gauchistes d'un côté et des droitiers de l'autre, juste une volonté commune d'un changement de cap ». L'ancienne patronne du parti conserve une influence dans EELV, mais semble toutefois ne plus pouvoir compter sur les 90,7 % de militants qui l'avaient réélue lors du congrès de La Rochelle, il y a quatre ans, après que sa motion avait recueilli 50 %, écrasant celle de Daniel Cohn-Bendit (25 %).
Désormais, selon une estimation assez largement partagée, les trois grands courants d'Europe Écologie-Les Verts (aile gauche, aile réaliste et aile « duflotiste », que l'on peut résumer en un « réformiste mais plus à gauche que Hollande ») se répartissent environ en trois tiers dans l'appareil. « Depuis la sortie du gouvernement, les majorités au conseil fédéral sont très larges, à 60 ou 70 % », relativise David Cormand. « Pour l'instant, l'aile gauche et les amis de Cécile sont ensemble », résume un habitué des arcanes écolos. « C'est juste la réalité des faits qui marque l'échec de Hollande, pas les frondeurs ou Duflot, juge le député de l'aile gauche Sergio Coronado. C'est l'occasion pour EELV de réactiver un discours de rupture sur la finance ou le modèle de croissance. »
Mais parmi les 30 à 40 % qui s'opposent en interne, les parlementaires ont du poids politique et médiatique. Même si une bonne part des pragmatiques du parti ne les suit pas dans leur nostalgie de la participation gouvernementale. Comme Yannick Jadot, selon qui « on est très bien hors de ce gouvernement, qui incarne toutes les trahisons de la social-démocratie, et qui ne se distingue plus de la droite libérale sur le niveau de baisse du coût du travail ». Idem pour la députée Eva Sas, qui estime « intenable de rester dans un gouvernement qui s'est autant éloigné de nos positions, et qui nous a fait passer du discours rooseveltien du Bourget à l'obligation de voter contre nos volontés ».
Devant un tel paysage interne, la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse semble souhaiter d'abord stabiliser des visions divergentes, et évacue le débat devant la presse aussi prestement qu'il l'a été de la programmation des débats de Bordeaux. « Si c'est juste pour constater que la gauche périclite chaque jour un peu plus et que 2017 est perdu, ça ne sert à rien », dit-elle. Quitte à apparaître un brin tétanisée, en se refusant à toute expression d'un avis personnel sur les enjeux internes de son propre mouvement.
« Elle vient de la culture ONG, où on peut être radical, mais ou on aime parvenir à s'entendre à la fin », dit David Cormand, membre du bureau exécutif. Cette éthique de responsabilité déroute toutefois un de ses amis du groupe écologiste du conseil régional Île-de-France, où Cosse est vice-présidente. « Qui l'a connue et se rappelle ce qu'elle disait la première année au gouvernement peut avoir du mal à la reconnaître, sourit-il. Elle s'institutionnalise »…
Comme son prédécesseur, Pascal Durand, elle compte les points entre les désaccords qui s'affichent dans la presse ou dans les librairies, et souvent sans en être informée au préalable. Mais là où Durand faisait entendre sa liberté de parole, quitte à parfois dérouter un peu plus et à rendre un peu moins audible EELV, Cosse préfère ne dire mot. Et se concentre sur le fond, en lançant des « chantiers de l'écologie », séances d'audition de la société civile écolo.
« Emma doit surtout s'occuper du fond, estime de son côté Nicolas Dubourg, un autre membre de la direction d'EELV. De toute façon, les prochaines échéances électorales qui s'annoncent sont les régionales, et ça va surtout se régler localement, en vertu de nos statuts. » Les proches de Cécile Duflot plaideront pour une « autonomie ouverte ». Soit des listes de premier tour indépendante du PS, élargies à d'autres partis et personnalités. « Même si ça va être coton, vu le nombre important de sortants », dit un cadre.
Ces horizons permettent en tout cas de voir venir, et de donner un peu de temps à EELV pour sortir de son surplace actuel. À moins que la crise gouvernementale qui s'ouvre n'oblige les écologistes à sortir de leur état stationnaire. Au risque d'être bousculés par l'événement, et que les positionnements de chacun aillent dans tous les sens.
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