La réponse ne s'est pas fait attendre. François Hollande a demandé lundi matin à Manuel Valls de former un nouveau gouvernement. L'annonce intervient au lendemain des discours d'Arnaud Montebourg et Benoît Hamon qui ont tous deux demandé, dimanche, une autre politique économique sans pour autant se dissocier du gouvernement mais en marquant nettement leurs divergences avec le premier ministre. « La ligne jaune a été franchie », avait riposté l'entourage de Manuel Valls. Après une rencontre d'une heure avec François Hollande lundi matin, le premier ministre, Manuel Valls, a présenté lundi 25 août la démission de son gouvernement, a annoncé l'Élysée.
Le chef de l'État a demandé au premier ministre « de constituer une équipe en cohérence avec les orientations qu'il a lui-même définies pour notre pays », a indiqué la présidence de la République dans un communiqué. La composition du nouveau gouvernement sera annoncée mardi. Manuel Valls reçoit lundi tous les membres du gouvernement, afin de sonder leur position vis-à-vis de la ligne de l'exécutif. Premiers reçus, lundi matin : Benoît Hamon, suivi de Laurent Fabius, Bernard Cazeneuve... « L'idée est de reconstituer une équipe qui soit en adéquation avec la ligne économique de l'exécutif », a précisé le cabinet de M. Valls. Dimanche, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon avaient sonné la charge lors de la Fête de la rose à Frangy-en-Bresse. Ci-dessous notre reportage :
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Frangy-en-Bresse, de notre envoyé spécial. À une semaine de l’université d’été du PS à La Rochelle, Arnaud Montebourg a lancé, dimanche 24 août à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), aux côtés de Benoît Hamon, sa propre rentrée politique en choisissant de faire dérailler le train-train gouvernemental. Si l’enfant du pays et ministre de l’économie aime revenir dans sa Bourgogne natale pour y célébrer la Fête de la rose, cette année 42e du nom, il aime par-dessus tout donner le ton de la rentrée. Exercice réussi cette année, à un point tel que Matignon estimait dimanche soir qu'«une ligne jaune a été franchie».
En invitant le ministre de l’éducation nationale à sa table, avec qui il avait fondé le Nouveau Parti socialiste en 2003, Arnaud Montebourg a voulu montrer qu’il existe des voix pour porter l’étendard d’une alternative à l’austérité et à une politique économique en faveur des entreprises.
Il a surtout balayé les mouvements tactiques engagés ces derniers jours par le président de la République et par le premier ministre pour empêcher tout débat sur la politique économique et sociale conduite. Jeudi, Manuel Valls s'était employé à verrouiller ce débat lors d'un séminaire gouvernemental agité: lire notre article Manuel Valls tente de mettre sa majorité au garde-à-vous. La veille, à l'occasion d'un entretien au Monde et du conseil des ministres de rentrée, François Hollande avait exclu une inflexion politique, s'en prenant en termes définitifs à toute voix dissonante: lire Hollande fait sa rentrée, sans changement ainsi que Pierre-Alain Muet (PS): «Une politique économique aberrante».
Dimanche, un groupe de députés « frondeurs » a répondu à l’appel de l’ancien député de Saône-et-Loire. Philippe Baumel, Christian Paul et Régis Juanico, les locaux de l’étape, ou encore Laurent Baumel, unis dans leur rejet de la politique droitière menée par le gouvernement. Un symbole fort alors que le premier ministre, Manuel Valls, qualifiait ces mêmes frondeurs d’«irresponsables» dans les colonnes du JDD le dimanche précédent.
Aux alentours de 12 h 30, Arnaud Montebourg a débarqué le premier, chemise entrouverte, un tantinet blagueur et désinvolte – « Il s'est perdu dans la Bresse profonde, Benoît Hamon ». Avant de lâcher aux journalistes qui le pressaient de questions sur la mauvaise conjoncture économique et la ligne politique du chef de l'État : « Je vais lui envoyer une cuvée du redressement, au Président. »
Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ont ensuite pris place aux côtés des frondeurs, partageant le poulet de Bresse et les idées politiques. « Il y a un combat ici et maintenant pour la réorientation de la politique économique du gouvernement », a affirmé le député d'Indre-et-Loire, Laurent Baumel. Ce dernier déplore que le « centre de gravité du parti se soit déplacé à droite » et assure qu'à terme « il faudra bien qu'il y ait un retour d'expérience sur ce que l'on est en train de traverser ».
L'un des meneurs de la fronde parlementaire, Christian Paul, souhaite que « le débat ait lieu au niveau du gouvernement. Nous partageons le constat sur la mauvaise politique économique, il faut désormais des solutions avec une vraie réforme fiscale et une deuxième loi bancaire ». Ce dernier n'a par ailleurs pas apprécié d'être traité d'irresponsable par Manuel Valls : « Je me demande qui sont les irresponsables, entre les entreprises qui ont empoché des dividendes 30 % plus élevés cette année et les parlementaires qui essaient de faire entendre une autre voix que celle de l'austérité. »
Parmi les militants, plusieurs se disent déçus des deux premières années du quinquennat Hollande. Michèle, 72 ans, a beau avoir gardé son affiche du Président chez elle, elle affirme ne pas comprendre la politique menée par le chef de l'État. « À force de prendre aux classes moyennes, il risque de n'y avoir plus que des riches et des pauvres sans rien au milieu. » Jean-Michel, venu des Hauts-de-Seine, pense que le débat n'est pas national, « il doit se jouer à l'échelle européenne ». Mais comment faire si la France n'applique pas elle-même la politique qu'elle souhaite voir se généraliser en Europe ? Pour eux, Arnaud Montebourg est l'homme de la situation. Danielle vient à la Fête de la rose depuis plus de dix ans, elle pense que le ministre de l'économie peut relever le défi et souhaite par-dessus tout que « notre pays puisse conserver son modèle social ».
Place aux discours. Il était attendu conquérant, tonitruant mais sombre comme les perspectives économiques du pays. Le discours d'Arnaud Montebourg fut moins grave qu'annoncé. Après avoir dressé le portrait de la situation macro-économique du pays, le ministre de l'économie, « depuis seulement cinq petits mois », a déclaré avoir « fait le choix d’organiser la résistance ». « La deuxième puissance économique de la zone euro n’a pas à s’aligner sur les axiomes idéologiques de l’Allemagne. La France est un pays libre qui ne peut accepter des pertes de souveraineté sur sa monnaie qu’à la condition qu’elle en retire de la prospérité. »
Si le ton d'Arnaud Montebourg envers une partie du gouvernement est plus menaçant, ses idées n’ont guère varié par rapport au discours du 10 juillet dernier. À Bercy, face à Serge Dassault et à Louis Gallois, il s’offusquait déjà de la politique du « tout austéritaire » menée en Europe : « Félicitations à l’Union européenne, nous sommes dans le tableau d’honneur mondial de l’explosion du chômage », avait-il lancé en juillet dernier. « Félicitations à monsieur Barroso », s'est-il écrié cette fois-ci. « La promesse de remettre en place l'économie n'a pas marché. Le rôle de tout homme d’État est d’accepter cette réalité en proposant des solutions économiques. »
À ce sujet, rien de neuf. Arnaud Montebourg a d’abord rappelé le décret qu’il avait pris sur le « contrôle des investissements étrangers » depuis la prise de participation de l’État dans l’entreprise Alstom. Puis il a évoqué la « règle des trois tiers » qu'il compte promouvoir à la rentrée, au moment du débat sur la loi de finances 2015. Il s'agit de mieux répartir les 40 milliards d'allègements fiscaux accordés aux entreprises. Un tiers serait dédié à la réduction des déficits, un tiers pour soutenir les entreprises, enfin un dernier tiers à destination des ménages afin de stimuler la demande et in fine la croissance.
« Cela supposerait qu’à la loi de finances 2015 il y ait des baisses d’impôt équivalant à 16 milliards sur plusieurs années », a explicité le ministre de l'économie. « La croissance est une question politique, nous pouvons donc aller la chercher avec nos propres mains », a-t-il poursuivi.
Sur les professions réglementées, l'ancien député de Saône-et-Loire a multiplié les exemples d'application de « la loi que l’on pourrait appeler Jean-Pierre-Pernault, parce qu'elle touche tout le monde ». Il s'agirait ici de « faire baisser les péages, diminuer le prix des cours de conduite, du dentiste (...). Vous allez chez le pharmacien, il se peut que les marges qui sont prises sur les médicaments soient trop importantes. » Cette partie du discours a largement plu à l'auditoire. « Vous voyez, a assuré le ministre, l’économie n’est pas une science en chambre, c’est plutôt un sport de combat. L’économie appartient à tous les Français. »
Le ministre de l'éducation nationale, Benoît Hamon lui a emboîté le pas dans un discours qui a duré plus d'une heure. « Au moment où nous faisons face à une crise majeure, est-il acceptable aujourd’hui que les chefs d’entreprise soient les champions d’Europe du versement des dividendes ? », a-t-il lancé en début de discours. « Est-ce qu’une seule fois monsieur Gattaz (président du Medef, ndlr) a demandé aux entreprises de modérer le versement des dividendes ? Jamais ! »
Pour Benoît Hamon, l'heure est grave. La montée du Front national, « premier parti de France », serait la conséquence directe des mauvais résultats économiques. Il s'agit donc, selon lui, de changer radicalement de politique économique avec « des baisses d’impôt », l'ouverture du RSA aux moins de 25 ans et « à terme la remise en cause du gel du point d’indice pour les fonctionnaires ».
Le tandem Montebourg-Hamon a fait son effet. Peu de temps après les discours, l'entourage de Manuel Valls a affirmé à l'AFP qu'une « ligne jaune venait d'être franchie » et que la riposte était à l'étude. «On considère qu’une une ligne jaune a été franchie dans la mesure où un ministre de l’économie ne peut pas s’exprimer dans de telles conditions sur la ligne économique du gouvernement et sur un partenaire européen comme l’Allemagne. Donc le premier ministre est déterminé à agir dans les prochains jours. Une chose est sûre : il y a des cadres dans lesquels on peut débattre et d’autres où la cohérence gouvernementale doit primer », a déclaré cette source. À une semaine de l'université d'été du Parti socialiste, ce ne peut être qu'un début.
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