Sa récente tirade sur les gaz de schiste en est le symbole : aux yeux des écologistes et d’une partie de la gauche, Arnaud Montebourg est devenu l’anti-écolo du gouvernement, celui qui défend le nucléaire, refuse de taxer le diesel et relaie des lobbys patronaux. Pendant la primaire, celui qui n’était pas encore ministre du redressement productif avait pourtant théorisé une « nouvelle France » dont « la mutation écologique » de l’économie était un axe central.
Fin 2010, Arnaud Montebourg participe à une conférence de presse dans un café de Nîmes. Il explique alors être « parfaitement en accord avec un grand nombre de propositions que les Verts formulent ». « Je suis un Vert modéré », dit-il, avant d’ajouter : « En matière de sécurité je suis chevènementiste, en matière de réindustrialisation je suis plutôt Modem, en matière de finances je suis communiste de philosophie, donc vous ne pouvez pas me mettre dans une case parce que c’est un alliage nouveau, une proposition politique nouvelle. »
C’est dans son livre-programme Des idées et des rêves (Flammarion, 2010) dont un chapitre est consacré à la « mutation écologique » qu’il rend compte de sa « prise de conscience ». Montebourg raconte sa rencontre avec l’Américain Al Gore, quatre ans plus tôt : « J’en suis ressorti deux heures plus tard bouleversé par sa démonstration. » Il rapporte ses lectures, celle de l’agroéconomiste américain Lester Brown, qui lui a « ouvert les yeux, montrant à quel point l’écologie et l’environnement sont liés », et celles de « Patrick Viveret, Herman Daly, Tim Jackson ». Montebourg écrit même que « le rapport de Tim Jackson Prospérité sans croissance est devenu une sorte de livre de chevet ».
À l’époque, le député et président du conseil général de Saône-et-Loire se pose en rénovateur non seulement de son parti mais de sa pensée en prônant un « socialisme de création, celui du monde nouveau » qui concilie « démondialisation, le capitalisme coopératif, la VIe République, la mutation écologique des modes de vie, la mise sous tutelle du système financier, le renouveau productif avec des artisans, des agriculteurs et des petits patrons aujourd'hui dans la même situation que leurs ouvriers ou leurs employés ». « C’est un projet de protectionnisme vert et partagé », disait-il à Mediapart.
Montebourg pousse loin son raisonnement, empreint des penseurs dont il a découvert les écrits. Il réfute la décroissance mais affirme, comme les écologistes, que la croissance ne reviendra pas et que les modes de consommation doivent changer. « Nous, socialistes, avons cru sincèrement en la croissance. Aujourd’hui, le progrès n’est plus au rendez-vous. Notre modèle de civilisation, fondé sur le productivisme et une conception de l’homme affranchi de la nature est exténué. Il faut maintenant tracer les chemins politiques de la transformation. C’est le devoir de la génération à laquelle j’appartiens », écrit-il alors.
« Il n’y aura pas de miracle : il faudra bien que la consommation courante de type hédoniste (sports d’hiver, tourisme planétaire de masse, jeux vidéo et supports multimédias) stagne globalement », ajoute-t-il. Il a aussi cette phrase prémonitoire : « Dans les années qui viennent, tout dirigeant politique risque d’être violemment tiraillé lors de chaque prise de décision. Il subira la dictature du présent qui exige des résultats immédiats. Il devra aussi endurer la dictature du futur, qui exigera des peuples des comportements différents. »
À l’époque, Montebourg était très critique sur les gaz de schiste et s’il condamnait, comme aujourd’hui, la fracturation hydraulique pour les extraire, il n’évoquait jamais d’autres méthodes, ni de pôle public pour les contrôler. Il était aussi plus que réservé sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui lui a valu depuis un échange très vif avec le premier ministre Jean-Marc Ayrault au moment de Florange.
Ces affirmations avaient convaincu certains militants écologistes de voter pour Montebourg à la primaire socialiste de 2011. Lors d’un débat avec son porte-parole de campagne, Géraud Guibert, le futur ministre EELV Pascal Canfin avait refusé de « donner un brevet écolo » mais souligné des points d’accord avec Montebourg. « Il était bien vu par les écolos. Beaucoup ont voté pour lui à la primaire. Et si j’avais moi-même voté, je l’aurais sans doute fait pour lui », explique aujourd’hui le coprésident du groupe EELV à l’Assemblée nationale François de Rugy. À l’époque, il avait déjà fait part de sa préférence pour le futur ministre de l’industrie. Au PS, le pôle écologiste avait été conquis, alors que Montebourg participait régulièrement à leurs réunions (voir par exemple cette vidéo de 2011).
La principale réticence qu’exprimaient les écolos portait sur le nucléaire – un sujet sur lequel Montebourg n’a jamais varié alors qu’il est élu d’un département, la Saône-et-Loire où Areva est implanté de longue date, au point d’être qualifié par certains de ses collègues « d’élu Framatome » du nom d’un des ancêtres du groupe nucléaire français. Montebourg a aussi fait partie des élus socialistes enclins à défendre fermement Anne Lauvergeon, un temps menacée par Nicolas Sarkozy à la tête d’Areva, qualifiant l’ex-sherpa de François Mitterrand de « femme d’énergie et de vision hors du commun ».
Sans surprise, Montebourg devenu ministre a de nouveau proclamé sa croyance dans le nucléaire, « une filière d'avenir », et multiplié les déplacements à l’étranger pour vendre la fameuse « équipe de France du nucléaire », y compris l’EPR auquel il croit dur comme fer. Une délégation venue d’Arabie saoudite s’est aussi rendue en Saône-et-Loire en octobre 2012 visiter le site d’Areva en compagnie du ministre.
Mais hormis l’atome, c’est l’effet d'accumulation qui a ulcéré les écologistes. « Il a complètement abandonné l’idée qu’au moins une part du redressement productif passe par l’écologie », résume François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée. Si pendant la campagne, Montebourg avait dénoncé l’accord entre le PS et EELV pour une sombre histoire de candidature aux législatives, c’est surtout comme ministre qu’il est apparu comme le principal adversaire des Verts.
À plusieurs reprises, il s’est frontalement opposé à la ministre de l’écologie Delphine Batho. Il refuse de taxer le diesel – Montebourg explique à qui veut l’entendre que les moteurs diesel qui sortent aujourd’hui des usines polluent moins en CO2 que les moteurs essence et balaie d’un revers de la main l’objection sur la dangerosité des particules. « Mais des particules, vous en émettez, tout le monde en émet. Et les vaches produisent du méthane, on ne va pas toutes les abattre ! » lance-t-il à ses visiteurs.
Le ministre du redressement productif (“MRP”) est aussi réputé favorable à la délivrance de permis miniers parfois fortement contestés par les associations environnementales. Montebourg a publié cet hiver l’arrêté autorisant une exploitation d’or en Guyane – un permis baptisé Limonade, validé par son prédécesseur Éric Besson juste avant son départ (lire l’article de Karl Laske).
Il est également attendu sur le permis demandé par la Compagnie armoricaine de navigation (CAN) pour extraire des sables coquilliers dans la baie de Lannion, contesté par la totalité des élus locaux et une large coalition d’associations. Une réunion de concertation est prévue fin août à Paris en présence du ministre, qui espère arracher un compromis. « Je serai l’agent réconciliateur, si je le peux, dans ce dossier », a promis Montebourg à la députée socialiste des Côtes-d’Armor Corinne Erhel.
Celle-ci espère encore le convaincre des dégâts écologiques que provoquerait ce permis, et aussi de son impact économique sur le littoral (l’extraction pourrait fragiliser le tourisme ou la pêche locale). « Mon objectif est d’avoir un double regard et économique et écologique. Avec le cabinet d’Arnaud Montebourg, on a confronté les arguments. J’ai le sentiment qu’on écoute nos positions », explique la députée.
Mais sur le principe, Montebourg ne voit pas le problème : pour lui, l’écologie n’est valable qu’à la condition qu’elle cohabite avec le redressement de l’industrie française, et il rêve de bâtir un « compromis politique » entre ces deux objectifs. Il prétend défendre une « écologie raisonnable », en opposition à celle des « extrémistes » (qui comprend, par exemple, les adversaires par principe aux gaz de schiste quand lui ne condamne que la méthode actuelle, celle de la fracturation hydraulique). Parce que sinon, juge-t-il, l’écologie deviendra impopulaire dans la société et conduira à appauvrir la population en empêchant les industries de se développer.
Montebourg jure à ses amis politiques qui s’inquiètent d’un revirement sur la « mutation écologique » qu’il n’a pas changé depuis son arrivée à Bercy. Simplement, leur explique-t-il, il faut du temps pour trouver des financements et il est impossible de vouloir à la fois renoncer au nucléaire, développer les énergies renouvelables et abandonner les gaz de schiste. Il rappelle son plan automobile de juillet 2012, axé sur les voitures “propres”, son combat pour la création de champions européens du photovoltaïque ou bien le projet de reprise de l’usine Rio Tinto de Saint-Jean-de-Maurienne où une partie de l’aluminium doit être recyclée.
Montebourg promet aussi que les grands projets d’investissements qui seront présentés mi-septembre à l’Élysée s’inscriront en « grande majorité » dans la transition écologique. Et le “MRP” peut se prévaloir de ses dîners réguliers avec Benoît Hamon, Christiane Taubira mais aussi Cécile Duflot, et d’avoir recruté dans son cabinet un jeune conseiller spécialiste du sujet : Valentin Przyluski, ancien de l’équipe de Delphine Batho. Lequel avait accompagné Montebourg durant la primaire et avait largement contribué à bâtir son programme écologiste.
Mais d’autres compagnons de route s’en sont détournés. C’est le cas de Géraud Guibert. Longtemps animateur du pôle écolo du PS, il avait rejoint l’équipe Montebourg comme porte-parole, convaincu de son discours sur la mutation de l’économie – il fut ensuite le très éphémère directeur de cabinet de Nicole Bricq lors de son passage au ministère de l’écologie en mai 2012. « Après la primaire, j’avais dit à Arnaud que soit il arrivait à garder toutes les facettes de sa campagne – la démondialisation, la République, l’écologie, la rénovation –, et il était au centre du parti dans dix ans. Soit il prenait la ligne républicaine à la Chevènement, et il finirait comme Chevènement. Il a fait le second choix », raconte aujourd’hui Géraud Guibert. Dans un discours prononcé en novembre 2012 à la fondation Res Publica, présidée par Jean-Pierre Chevènement, et consacré au redressement productif, Montebourg n’a d’ailleurs pas prononcé une fois le mot « écologie ».
« C’est un choix très lucide. Il a considéré que l’industrialisation était la ligne directrice, et que c'était celle que lui demandait de suivre François Hollande, et qu’elle passait par la réfutation de thèses écolos. Il a été convaincu que la contradiction entre l’écologie et l’industrialisation ne peut pas être surmontée », poursuit le conseiller de la Cour des comptes qui parle de « grosse erreur » et « d’occasion ratée ». Tout en jurant de son « amitié » persistante pour Montebourg, Guibert conclut : « Il a des éléments de conviction écolo. Mais comme souvent dès qu’arrive la contradiction avec la logique productiviste, la logique écolo a le dessous. » Une phrase que réfuterait sans barguigner le ministre Montebourg, convaincu que dans une période de récession, le débat sur le productivisme n’a aucun sens.
Mais sa camarade Laurence Rossignol, spécialiste de l’écologie au PS et porte-parole du parti, peine à être convaincue : « Arnaud Montebourg a endossé le costume de ministre du redressement productif et a choisi un redressement productiviste. C’est assez mystérieux. Les ministres sont souvent un peu dépendants des gens qu’ils ont dans leur portefeuille. Le ministre des anciens combattants défend les anciens combattants, celui de la pêche, les pêcheurs, le ministre de l’industrie, les industries. Et en particulier les industries françaises et ses fameux "fleurons" énergéticiens. Or, ceux-là ne veulent pas de la mutation écologique et encore moins de la sobriété énergétique. »
Mais, ajoute la sénatrice, « même si le MRP a le nez dans le guidon sur des dossiers difficiles, j’aimerais qu’il raconte ce qu’on va consommer et produire dans dix ans. Je ne comprends pas pourquoi il ne fait pas avec l’industrie ce que Stéphane Le Foll réussit avec l’agriculture. Il arrive assez bien à tenir la FNSEA d’un côté et l’agroécologie de l’autre. Pourquoi Arnaud Montebourg ne fait-il pas la même chose ? »
Les plus cruels ironisent sur l’opportunisme supposé de Montebourg – une réputation tenace au PS, ou plus précisément, sa capacité à enfourcher des chevaux de bataille différents au fil des années – de la VIe République à la démondialisation en passant par la mutation écologique. D’autres parient sur un choix « tactique » dans ses relations avec le patronat. « Vu l’ambiance dans le monde industriel, Montebourg donne des gages… peut-être un petit peu trop », concède le député Arnaud Leroy, fidèle au “MRP”. « Toute la journée, les capitaines d’industrie français lui parlent gaz de schiste. C’est la concession qu’il fait au Medef. C’est l’alliance nationale productiviste, décrypte un dirigeant d’EELV. L’affrontement entre productivistes et écologistes est en train de devenir une ligne de rupture politique. Mais Montebourg ne la voit pas encore. Il est sur l’affrontement entre libre-échangistes et protectionnistes. »
Les plus compréhensifs plaident la pression de l’urgence et la violence du délitement du tissu industriel. « Montebourg reste fidèle à la ligne de mutation et de transition. La seule différence, c’est la gestion de l’urgence par rapport à un projet de mutation sur 25 ans. L’urgence aujourd’hui, c’est le parc nucléaire vieillissant, le prix de l’énergie, la situation de l’industrie automobile… Et c’est un fait que les industriels ne sont pas prêts à la mutation. Ce n’est pas la peine de faire croire que ce sera possible en claquant des doigts », justifie Arnaud Leroy, député des Français de l’étranger, qui a rejoint les partisans de Montebourg sur ses propositions écologiques. Pour lui, « Montebourg n’est pas devenu le productiviste des années 1980, mais la pression de l’urgence oblige parfois à être transgressif »… Une transgression qui pourrait lui coûter le soutien des écolos dans ses rêves de conquête politique.
BOITE NOIRESollicité, Arnaud Montebourg avait accepté le principe d’un entretien sur son rapport à l’écologie. Il a finalement refusé de s’exprimer, après la polémique suscitée par ses propos sur les gaz de schiste.
Pour cet article, j’ai interrogé une dizaine de personnes, dont certaines ont souhaité rester anonymes.
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