Les salariés français sont 15 % à travailler au moins occasionnellement entre minuit et cinq heures du matin. Et en vingt ans, la proportion de ceux dont le travail de nuit est « habituel » a été multipliée par deux. Quant aux femmes, elles sont près de 10 % à travailler la nuit, contre 5,8 % vingt ans plus tôt. Ces chiffres frappants sont issus d’une étude publiée hier par la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), l’institut statistique attaché au ministère du travail.
L’organisme a épluché les derniers résultats disponibles de l’enquête emploi de l’Insee, qui datent de 2012. Et il constate une emprise toujours plus grande du travail de nuit. Le nombre de ces salariés travaillant au moins de temps en temps la nuit est passé de 2,4 millions en 1991 (13 % des salariés à l’époque) à 3,5 millions en 2012 (15 %).
Les statisticiens retiennent une définition plus restrictive que la législation : ils considèrent qu’une personne travaille la nuit quand elle déclare que sa période de travail se situe, même partiellement, dans la tranche de minuit à 5 heures du matin, alors que pour le code du travail, la notion couvre une plage horaire allant de 21 heures à 6 heures du matin.
Entre 1991 et 2012, la proportion de salariés déclarant travailler habituellement la nuit est passée de 3,5 % à 7,4 %. Mais le travail de nuit occasionnel est devenu un peu moins fréquent (9,5 % des salariés en 1991, 8 % en 2012). Durant cette période, la proportion de salariés travaillant au moins occasionnellement la nuit a augmenté de façon continue : 13 % en 1991, 14,3 % en 2002, 15,2 % en 2009, 15,4 % en 2012.
Aujourd’hui, plus d’un homme sur cinq est dans ce cas. On dénombre moins d’une femme sur dix à l’être, mais, souligne l’étude, « au cours des vingt dernières années, le nombre de femmes travaillant la nuit, occasionnellement ou habituellement, a doublé (500 000 en 1991 ; 1 million en 2012), alors que le nombre d’hommes concernés n’augmentait que de 25 % » : « Au total, en 2012, 30 % des personnes qui travaillent la nuit sont des femmes, contre 20 % en 1991. »
Une évolution qui s’explique sans doute en partie par la changement de la loi : jusqu’en 2001, l’industrie ne pouvait pas employer de femme après 21 heures, mais une directive européenne datant de… 1976 imposait d’annuler cette disposition. Face aux revendications du distributeur de parfums Sephora, le Conseil constitutionnel a en revanche rappelé en avril qu’ouvrir les magasins après 21 heures ne pouvait être qu’exceptionnel.
Des risques pour la santé
Le travail de nuit est le plus répandu dans le tertiaire, puisqu’il concerne 30 % des salariés dans la fonction publique et 42 % dans les entreprises privées de services. Sans grande surprise, les conducteurs de véhicules et les salariés de l’armée, de la police et des pompiers sont les deux familles professionnelles qui sont le plus concernées (72 % des policiers et militaires le sont). Les infirmiers, sages-femmes et aides-soignants, où les femmes représentent la quasi-totalité des effectifs, arrivent juste après. Curiosité du « classement », les enseignants seraient 8 % à travailler la nuit. Renseignements pris auprès de l’Insee, ces chiffres reposent sur des déclarations individuelles, et concernent donc certainement le travail de préparation des cours et de correction des copies.
On ne peut pas dire que les travailleurs de nuit sont plus précaires que les autres. Ils disposent en effet plus souvent d’un contrat stable ou à temps complet. En revanche, « le travail de nuit se cumule bien souvent avec d’autres formes d’horaires atypiques », pointe l’étude. Les Français qui travaillent régulièrement après minuit sont plus de sept sur dix à travailler aussi le samedi, et 62 % à travailler le dimanche.
Certes, financièrement, le jeu en vaut un peu la chandelle, puisque la Dares estime que le bonus salarial « associé au travail habituel la nuit peut être estimé à 8,1 % et celui associé à un travail occasionnel la nuit à 3,6 % ». Mais il coûte cher sur d’autres plans. D’après les chiffres 2013 de l’Insee, les salariés de nuit décrivent des conditions de travail nettement plus difficiles que leurs collègues « de jour » : « Ils sont plus souvent soumis à de fortes contraintes de rythme de travail, doivent plus souvent se dépêcher et peuvent plus rarement faire varier les délais fixés. (…) Ils sont plus souvent confrontés à des personnes en détresse, à des tensions ou même à des agressions. Leur travail comporte davantage de facteurs de pénibilité physique et de contraintes de vigilance et ils déclarent plus souvent risquer être blessé ou accidenté. »
Ils considèrent néanmoins être mieux formés aux risques que le travail fait courir à leur santé. Ce qui ne veut pas dire que la pratique est sans danger. La Dares cite une étude de 2007 qui établissait que, « à caractéristiques sociodémographiques équivalentes, une exposition de quinze ans ou plus au travail de nuit accroît la probabilité d’être limité dans les activités quotidiennes de presque 50 % » après 50 ans. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a pour sa part classé le travail de nuit comme « cancérogène probable » pour l’homme.
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