Ce devrait être l’une des « bombes » du rapport Moreau sur l’avenir des retraites qui doit être rendu ce vendredi : aligner le régime du public sur le privé, calculer les pensions des agents de la fonction publique sur les dix meilleures années de carrière et non plus sur les six derniers mois quand celles du privé sont calculées sur les vingt-cinq meilleures années. Les fuites parues dans la presse ces derniers jours ne laissent que peu de place au doute, tout comme les signaux lancés par le gouvernement.
Dans un entretien récent au Parisien Dimanche, Marisol Touraine, la ministre chargée de piloter cette réforme, prévient que « tout le monde devra faire un effort ». Tout en défendant les fonctionnaires pour ne pas braquer ceux qui constituent un des électorats clés du PS : « Ils ne sont pas des privilégiés. Ils cotisent le même nombre d'années que dans le privé. De même, la moyenne des retraites versées dans le public est équivalente à celle du privé. »
Sa collègue, chargée des personnes âgées, Michèle Delaunay, le suggère aussi fortement. « Il n’est pas exclu que la volonté d’équité et d’égalité de notre gouvernement rapproche les deux systèmes», a-t-elle déclaré en début de semaine. Bref, l’argument, qui consiste à chaque réforme des retraites à pointer du doigt les différences entre le régime du privé et celui du public, grande injustice pour une majorité de Français selon les sondages, est de retour. Et le débat s’annonce enflammé.
Les syndicats de la fonction publique planchent déjà sur une « journée de mobilisation et d’action, au plus tard début octobre ». Dans un communiqué, six organisations (CGT, FO, FSU, Solidaires, CFTC, CFE-CGC) ayant obtenu les deux tiers des voix aux élections professionnelles (hors CFDT et UNSA) exigent le statu quo du calcul des pensions des agents du public, rejetant tout nouvel allongement de la durée de cotisation ou report de l'âge légal de départ.
Pour la CGT, toucher aux règles de calcul de la retraite des fonctionnaires sera « un casus belli irrémédiable » ; pour Force ouvrière, « une ligne rouge ». Pierre Pihet, le “monsieur Retraites” de FO, un des principaux syndicats de la fonction publique, « regrette qu'on jette à nouveau en pâture les fonctionnaires dans la lignée de ce que pratiquaient les gouvernements de droite ». Pas la CFDT. Dans un entretien à L'Express, son chef de file Laurent Berger se dit favorable à « un rapprochement des différents régimes » de retraite, « à condition de prendre en compte la spécificité des carrières et des structures de rémunération », tout en prenant ses distances avec la future réforme, qu'il ne veut pas cautionner.
Les syndicats jouent gros sur cette question. Dans un peu plus d’un an, en décembre 2014, un scrutin important pour leur représentativité aura lieu. Pour la première fois, l'organisation des élections professionnelles se fera de concert dans la fonction publique territoriale, la fonction publique d'État et la fonction publique hospitalière. Et leurs troupes, plus enclines à descendre dans la rue que les salariés du privé, si elles ne se sentent pas assez défendues, pourraient les sanctionner en cas de soutien à une réforme qui viendrait encore mettre à mal leur sort.
La droite n'est pas mécontente de voir le gouvernement pris dans cette réforme qui s’annonce explosive. Depuis toujours, elle milite pour une convergence des deux régimes public et privé. Par ses précédentes réformes, la droite a déjà fait converger le public et le privé sur la durée de cotisation (41,5 années), sur l’âge légal d’ouverture des droits et l’âge de départ à taux plein (62 et 67 ans), sur le taux de cotisation (7,85 %) qui augmente chaque année de 0,27 point pour être progressivement aligné sur celui du privé d'ici 2015 (10,55 %). Elle a aussi mis fin au départ anticipé à la retraite accordé aux fonctionnaires parents de trois enfants, justifiant d’au moins quinze années de service ou encore à la possibilité de toucher le minimum garanti (1 087 euros) sans avoir toutes ses annuités.
« Nous avons entamé l’alignement des régimes du public et du privé, il faut le poursuivre. Aujourd’hui, les Français n’acceptent plus qu’il y ait des différences dans les modes de calcul », martèle Éric Woerth, l’ex-ministre du travail, artisan de la réforme tant décriée de 2010. Luc Chatel, le vice-président de l’UMP, ne dit pas autre chose : « Même si cela ne se fera pas du jour au lendemain, il faut un système de convergence. »
État des lieux des grandes différences entre les régimes à la veille de la remise du rapport Moreau.
Le même âge de départ mais des inégalités persistantes
Les réformes passées – Raffarin-Fillon en 2003 pour les fonctionnaires et celle de 2007 pour les régimes spéciaux (RATP, EDF, SNCF...) – ont considérablement rapproché les règles d’âge entre les différents régimes. Public et privé sont désormais logés à la même enseigne pour l’âge légal de départ à la retraite qui passe progressivement de 60 à 62 ans, selon l’année de naissance, depuis la réforme de 2010. Les durées de cotisation ont elles aussi été harmonisées (41,5 années). Progressivement, les régimes spéciaux, dont la durée de cotisation a été relevée de 37,5 ans à 40, devraient s’en rapprocher.
Mais derrière ces harmonisations, subsistent encore de nombreuses inégalités avec le privé, notamment pour les catégories de fonctionnaires dites actives, c’est-à-dire exerçant des professions présentant une fatigue exceptionnelle ou des risques particuliers (policiers, pompiers, infirmiers, douaniers, etc.). Ils peuvent profiter de départs anticipés s’ils ont accompli une durée minimum dans cette activité. Les âges pivots de départ (50 ou 55 ans) sont cependant progressivement reportés à 52 ou 57 ans.
Ainsi, et malgré les réformes, le public part toujours plus tôt que le privé, comme le rappelait le conseil d’orientation. 61,9 ans : c’est l’âge moyen réel de départ en retraite des salariés du privé en 2011 d’après un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) (consultable ici, lire à partir de la page 50). Dans la fonction publique d’État, la moyenne est de 57,1 ans. Mais si l’on exclut les militaires, les catégories dites actives qui peuvent liquider leurs droits à retraite avant l’âge minimum légal de droit commun, et ceux qui entrent dans le cadre du dispositif de départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants après 15 ans de services, l’âge moyen est de 61 ans pour les fonctionnaires de « catégories sédentaires », soit presque le même âge que les salariés du privé. Dans les collectivités territoriales et les hôpitaux, les départs ont eu lieu en moyenne à 58,4 ans.
Mais selon le COR, l'âge de départ des fonctionnaires devrait progressivement reculer du fait des réformes comme la suppression, en 2011, de l'avantage accordé aux agents parents de trois enfants. Ainsi, en 2025, les agents de la Fonction publique d'État devraient partir à 58,7 ans, et ceux des branches territoriales et hospitalières à 62,4 ans. Reste qu'à cette date, l'âge moyen de départ aura également reculé dans le privé sous l'effet des réformes déjà adoptées pour se situer autour de 63 et 64 ans. Quant à l’exception la plus notable, les agents de la RATP et de la SNCF, ils devraient partir à 61,2 ans pour la SNCF (contre 54,4 ans aujourd'hui) et à moins de 59 ans pour la RATP (contre 55,1 ans).
Niveaux des pensions : ce qui peut apparaître comme un privilège n’en est pas forcément un
C’est le sujet polémique qui focalise les débats : les règles de calcul des pensions. Dans la fonction publique, la retraite est calculée sur le traitement indiciaire (à l'exclusion des indemnités et primes non soumises à retenues pour pension) correspondant à l'emploi occupé, au grade, à la classe et à l'échelon détenu les six derniers mois avec un taux de liquidation de 75 %. Dans le privé, la retraite de base est calculée sur la moyenne des salaires des vingt-cinq meilleures années, retenus dans la limite du plafond annuel de la Sécurité sociale, avec un taux plein de 50 %.
L’une des pistes du rapport Moreau pour aligner le public sur le privé serait de calculer à l’avenir la retraite des fonctionnaires sur les salaires des dix dernières années et de prendre en compte, en contrepartie de la fin de la règle des six mois, les primes qui peuvent représenter jusqu’à la moitié de la rémunération de certains fonctionnaires. Un « casus belli » pour les syndicats de fonctionnaires.
Certes, selon un rapport récent du COR, le montant moyen de la pension s'élève à 1 757 euros pour les fonctionnaires contre 1 166 euros pour les salariés du secteur privé. Mais cette moyenne est à relativiser car elle comprend les pensions des employés du secteur public qui bénéficient des régimes spéciaux très avantageux comme la SNCF. « Une simple comparaison des règles des différents régimes ne permet pas à elle seule de juger de l’égalité de traitement entre assurés ayant des statuts d’activité différents », précise d’ailleurs le COR qui a jugé huit cas types dans le privé et le public dans un document publié en février dernier où l’on constate de fortes disparités mais pas tant entre les deux régimes qu’entre les différents niveaux de revenus.
Par ailleurs, comme le rappelle Philippe Pihet, secrétaire chargé des retraites chez FO, « ces écarts de pensions reflètent avant tout des différences des durées moyennes de carrière et des niveaux de diplôme ou de qualification différents. Les fonctionnaires connaissent moins ou pas de période de chômage, ils sont plus diplômés que la moyenne des salariés français. Si dans le privé, on se mettait à calculer les retraites sur les six derniers mois qui font tant fantasmer, les salariés y perdraient car beaucoup de seniors terminent leur carrière au chômage. Leur pension serait donc calculée sur leurs allocations chômage ! ».
Ainsi et malgré ces modes de calculs différents, les taux de remplacement (soit le rapport entre le niveau de pension et le niveau de salaire que tout futur retraité scrute) médians du secteur privé et du public sont assez proches (respectivement 74,5 % et 75,2 %). Si l’exécutif décidait de suivre la recommandation du rapport Moreau, ce serait notamment une très mauvaise nouvelle pour les enseignants, l’un des plus gros bataillons de la fonction publique avec lequel François Hollande a promis de se réconcilier après les dures années sous Sarkozy. Non seulement ils touchent très peu de primes mais ils sont au firmament de leur carrière en terme de salaire seulement sur leurs six derniers mois. À moins que l’État ne revoie leur progression de carrière et décide de les augmenter, ce qui n’améliorerait pas les finances publiques...
Avantages familiaux, pensions de réversion : encore des différences
Dans le public comme dans le privé, de nombreux autres avantages annexes existent et diffèrent d’un régime à l’autre. Ainsi les enfants peuvent donner droit à un “bonus” de trimestres. Les salariés du privé qui peuvent bénéficier de huit trimestres, soit deux ans, même s’il n’y a pas eu arrêt ou réduction d’activité, sont plus avantagés. Dans le public, c’est plus compliqué avec des différences selon la date de naissance de l’enfant (avant ou à partir de 2004).
En revanche, dans le privé comme dans le public, les parents de trois enfants bénéficient d’une majoration de leur pension de 10 % non imposable. À partir du quatrième, les fonctionnaires ont droit à une majoration supplémentaire de 5 % par enfant. Dans le privé, elles sont accordées par les régimes de retraite complémentaires.
Pour ce qui concerne les pensions de réversion, là-aussi, public et privé ne sont pas logés à la même enseigne. Dans le privé, le versement de la pension de réversion est compris entre 54 % et 60 % de la retraite du conjoint décédé. Son attribution est soumise à une condition d’âge minimum (55 ans) et de ressources. Dans la fonction publique, la pension de réversion est égale à 50 % de la retraite du défunt mais il n’y a pas de condition d’âge minimum, ni de ressources. Seule condition : en l'absence d'enfants, le mariage doit être d'une durée d'au moins quatre ans.
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