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Ziad Takieddine doit plus de 12 millions d’euros au fisc

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L’homme d’affaires Ziad Takieddine, personnage clé de quelques uns des plus retentissants scandales politico-financiers de ces dernières décennies, que ce soit le volet financier de l’affaire Karachi ou celle des financements libyens de Nicolas Sarkozy, a une lourde dette personnelle vis-à-vis de l’État français. D’après plusieurs documents judiciaires et fiscaux obtenus par Mediapart, il doit à ce jour 12 084 232 euros au Trésor public pour avoir dissimulé depuis plus de vingt ans ses revenus, son patrimoine et son train de vie, dont aucun ne faisait dans la demi-mesure, à l’administration française.

La Direction nationale des vérifications des situations fiscales (DNVSF) a établi pour la seule année 2007 la valeur du patrimoine de Ziad Takieddine à 59,3 millions d’euros, selon les éléments en notre possession. Mais rien ne fut déclaré, grâce à de complexes montages offshore. De telle sorte que le marchand d'armes n’a jamais payé un fifrelin d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Renvoyé en juin dernier devant le tribunal correctionnel de Paris dans le volet financier de l’affaire Karachi, pour avoir participé à un système de détournements de fonds sur les ventes d’armes du gouvernement français au profit des balladuriens entre 1993 et 1995, Ziad Takieddine devra également répondre de faits de « fraude fiscale », « blanchiment » et « organisation frauduleuse d’insolvabilité par dissimulation », commis dans une période beaucoup plus récente.

Le procès du volet financier de l’affaire Karachi, durant lequel on retrouvera par ailleurs sur le banc des prévenus les doublures de l’ancien premier ministre Édouard Balladur (par l’entremise de Nicolas Bazire) et des anciens ministres François Léotard et Nicolas Sarkozy (par celles de Renaud Donnedieu de Vabres et Thierry Gaubert), devrait avoir lieu courant 2015.

Les aspects fiscaux du dossier, loin d’être anecdotiques, peuvent à eux seuls se lire, maintenant que l’enquête est close, comme un implacable révélateur de l’utilité vitale des paradis fiscaux et de tous les professionnels de la dissimulation dans le grand monde de la corruption. En effet, les places offshore ne sont pas seulement des lieux plus ou moins exotiques de l’évitement de l’impôt ; elles jouent aussi le rôle de paravents qui permettent, à l’abri des lois nationales, d’offrir des moyens de dissimulation de l’origine et/ou de la destination de l’argent noir. C’est toute l’histoire de la fortune amassée par Ziad Takieddine.

« M. Takieddine a organisé son insolvabilité depuis 1995, époque à laquelle il a perçu d’importantes commissions sur des ventes d’armes en Arabie Saoudite et au Pakistan », ont noté, le 12 juin dernier, les magistrats Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire dans leur ordonnance de renvoi, document judiciaire par lequel des juges d’instruction réclament un procès pour les personnes mises en examen. « Non seulement, il a frauduleusement masqué ses véritables revenus à l’administration fiscale, mais, en outre, il s’est constitué un patrimoine immobilier sans jamais apparaître propriétaire, ajoutent-ils […]. Les biens étaient acquis à travers une cascade de sociétés. » Celles-ci étaient domiciliées dans d’innombrables paradis fiscaux, au Panama, dans les îles Vierges britanniques, au Liechtenstein ou au Luxembourg, comme Mediapart l’a raconté dès l’été 2011.

Fortune faite grâce au hold-up du gouvernement Balladur sur les ventes d’armes de l’État français, Ziad Takieddine a tout eu, tout connu : des villas, des hôtels particuliers, des bateaux, des voitures de collection, de l’argent à profusion et une influence grandissante dans les couloirs de la République, au point d’être devenu sous la présidence de Nicolas Sarkozy une sorte de chef de la diplomatie parallèle de la France avec les régimes autoritaires de la Libye de Mouammar Kadhafi ou de la Syrie de Bachar el-Assad.

MM. Copé, Takieddine et Hortefeux devant “La Diva"MM. Copé, Takieddine et Hortefeux devant “La Diva" © Mediapart

Tous les attributs matériels de cette puissance ont cependant été soustraits à la solidarité nationale pendant deux décennies. Ce n’est pas faute, pourtant, pour certains hauts responsables politiques français, comme Jean-François Copé (ancien ministre du… budget) ou Brice Hortefeux (ancien ministre de l’intérieur), d’avoir pu constater de visu les fastes du marchand d’armes quand ils furent invités à grands frais dans sa villa du Cap d’Antibes ou sur son yacht La Diva (d’une valeur de 4 millions d’euros), comme en témoignent aujourd’hui de nombreuses photos. Durant toute cette longue période de fréquentations privilégiées au sommet de l’État, Ziad Takieddine n’a – il va sans dire – pas eu à souffrir de la curiosité du fisc.

Le cas du navire La Diva, sur lequel, outre MM. Copé et Hortefeux, a défilé du beau monde (l’ancien conseiller et ami de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert, ou le patron du Fouquet’s, Dominique Desseigne), est un exemple parfait de dissimulation fiscale. Officiellement, le bateau long de 24 mètres appartient à la société luxembourgeoise International Yacht and Motor Charter (IYMCS), qui le loue à Ziad Takieddine. En réalité, le marchand d’armes était le véritable bénéficiaire économique de IYMCS au Luxembourg et avait monté un faux contrat de location.

Les enquêteurs ont finalement découvert sur place que le siège de la société était totalement fictif. IYMCS était domiciliée au siège d’une autre société, baptisée Magellan Managment, chargée d’établir la comptabilité et la gestion du navire. En vérité, Magellan louait à IYMCS un bureau de 12 m2, comme elle faisait, pour le même bureau, à de très nombreuses autres sociétés dans le seul but d’établir des domiciliations fictives de sièges sociaux et ainsi masquer les bénéficiaires économiques réels desdites sociétés. Dans le cas de La Diva, acheté en juillet 1998 : Ziad Takieddine.  

D’ailleurs, le 2 septembre 2011, jour de la saisie du bateau par la gendarmerie au Port-Gallice, à Cap d’Antibes, « M. Takieddine s’est spontanément présenté aux gendarmes comme le propriétaire du bateau avant de se raviser en comprenant l’objet de leur visite », ont noté, amusés, les juges dans leur ordonnance.

Tout le patrimoine immobilier de Ziad Takieddine relevait du même jeu de bonneteau. Qu’il s’agisse de ses luxueux appartements parisiens, dont un de 600 m2 à côté du Trocadéro, de son hôtel particulier à Londres, de sa villa au Cap d’Antibes, de ses biens au Liban, de ses bateaux ou de ses voitures de luxe (trois Bentley et trois Jaguar des années 1950 et 60), tout était caché grâce à des tours de passe-passe sur papier.

Avenue Georges-Mandel, à Paris. Avenue Georges-Mandel, à Paris.

L’exemple du principal appartement parisien de Ziad Takieddine, avenue Georges-Mandel, est significatif : il appartenait en façade à une SCI, à la tête de laquelle on retrouvait un homme de paille ; ladite SCI appartenait, elle, à des structures au Luxembourg, lesquelles étaient détenues par une holding au Panama. Et, au bout du compte, un seul actionnaire : Ziad Takieddine.

Beaucoup de gens ont su pendant des années, mais pas le fisc. Ainsi, un rapport interne du 4 février 2009 de la banque Barclays, vers laquelle Ziad Takieddine s’était tourné pour contracter un prêt de 12 millions d’euros, montre l’étendue de la connaissance de la dissimulation de son futur client. « Comme on peut s’y attendre pour un client de la nature de Ziad, ses avoirs sont détenus par le biais de structures offshore, bien qu’il soit, lui et non un trust, le bénéficiaire direct de chacune (...). En raison de sa résidence (fiscale – ndlr) à Paris, la structure de ses propriétés d'actifs est un peu complexe », peut-on lire dans cette note.

Schéma extrait du rapport de 2009 de la Barclays sur Takieddine.Schéma extrait du rapport de 2009 de la Barclays sur Takieddine. © Mediapart

Compréhensive, la banque ajoutait : « Il est probable que le client possède des liquidités et des avoirs au-delà de ce qu’il a déclaré, mais il est réticent à déclarer la totalité de ses actifs à une tierce partie à ce stade de la relation. Sa résidence en France, et le régime fiscal qui lui est associé, font qu’il est prudent quand il discute de ses revenus et avoirs imposables. »

Les colossaux revenus de Ziad Takieddine, eux aussi, ont été dissimulés. Officiellement, il a déclaré au fisc ces dernières années entre 200 000 et 400 000 euros de salaire, versés par un employeur libanais, la société Investment Company for the Middle East and the Gulf, qui a pris la suite d’une précédente au nom semblable, Middle East and Gulf Company. « Il apparaît qu’en réalité ces sociétés ont été successivement mises en place par M. Takieddine pour justifier d’un salaire officiel, celui qu’il déclarait à l’administration fiscale. Ces sociétés ne lui servaient que de couverture », affirment aujourd’hui les juges Van Ruymbeke et Le Loire.

Seulement voilà, d’après les éléments obtenus par les enquêteurs, les dépenses de Ziad Takieddine se sont élevées entre 2001 et 2008 à 47,7 millions d’euros, soit une moyenne annuelle de 6,8 millions d’euros.

Ziad Takieddine au palais de justice de Paris. Ziad Takieddine au palais de justice de Paris. © Reuters

Outre de confortables revenus de plus d’un million d’euros par an en provenance du Liban, encaissés en France sans que son nom n’apparaisse jamais grâce à des « comptes de correspondance » entre une banque à Paris et une autre à Beyrouth, Ziad Takieddine a multiplié les contrats très rémunérateurs ces dernières années. Pour leur enquête, les juges en ont retenu deux, conclus avec la Libye.

Le premier concerne un marché signé en avril 2007 avec la société française Amésys pour la vente au régime Kadhafi d’un système d’espionnage de l’Internet libyen. Ce contrat, baptisé Eagle, qui a permis à l’ancienne dictature de traquer les opposants avec l’assentiment de la France, fait aujourd’hui l’objet d’une enquête judiciaire pour « complicité de torture » à Paris. D’après les documents fournis par Amésys au fisc, Ziad Takieddine a touché au total 3,9 millions d’euros de commissions sur les marchés libyens par l’intermédiaire de sociétés écrans au Liban (Tristar Holding et Como Holding).  

Le second marché a permis à Ziad Takieddine de percevoir 9,8 millions de dollars de Total pour l’exploitation – qui ne verra jamais le jour – d’un champ gazier, situé dans le bassin de Ghadamès en Libye. Le paiement a eu lieu par l’intermédiaire d’une autre société écran, la North Global Oil & Gas, liée à une fondation au Liechtenstein, baptisée Sohta. Dans les deux structures qui ont permis à Ziad Takieddine de ne rien déclarer au fisc, un même administrateur apparaît, selon des documents en possession de Mediapart : le célèbre avocat suisse Marc Bonnant, ancien bâtonnier de Genève.

Rien de très surprenant. En octobre 2013, dans la revue Médium, dirigée par Régis Debray, le même Bonnant écrivait ceci : « L’impôt, c’est le vol [...]. Le secret bancaire participe de la protection de la sphère privée. L’État est toujours un intrus [...]. Nous n’aimons ni les assistés, ni les parasites. Ni les fonctionnaires. À nos yeux, l’égalité est une violence faite à la liberté. Elle n’est que la revendication des vaincus, si elle n’est la revanche des faibles. »

La dernière fois que j’ai vu Ziad Takieddine au printemps dans son nouvel appartement, situé – cela ne s’invente pas – en face de chez Liliane Bettencourt à Neuilly-sur-Seine, il m’a dit qu’il n’avait plus aucun démêlé avec le fisc. « Tout ça, c’est des conneries. C’est fini ! », a-t-il assuré. Sollicité ces dernières 24 heures, son avocat, Me Maurice Lantourne, n’a pas donné suite.

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