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Homme abattu à Montgeron: deux témoins contestent la version policière

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Dorel Floarea, un Roumain de 42 ans, a été tué mardi 29 juillet à Montgeron (Essonne) par un tir de pistolet d’un policier national. Placé en garde à vue, le policier tireur a été relâché le lendemain soir. Il a affirmé avoir été menacé par l'homme avec un tesson de bouteille, alors qu'il était tombé au sol. « En l’état des éléments, il y a une présomption de légitime défense assez forte », indique le parquet d’Évry, qui attendait encore mardi 5 août le retour de l’enquête préliminaire confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN). « Les faits sont graves, donc nous ouvrirons de toute façon une information judiciaire », précise le parquet.

Photos de Dorel Floarea à l'endroit où il a été tué, à Montgeron, dans l'Essonne.Photos de Dorel Floarea à l'endroit où il a été tué, à Montgeron, dans l'Essonne. © LF

Cette version est contestée par le frère de la victime, Constantine Floarea, 43 ans, ainsi qu’un témoin qui souhaite rester anonyme. « Dorel n’avait pas de bouteille à la main, un policier l’avait jetée à la poubelle », affirme Constantine Floarea, qui était présent le 29 juillet avec son frère et un ami.

Selon les éléments du parquet, repris par les médias le lendemain de l’homicide, deux policiers municipaux sont arrivés dans le quartier du Moulin de Senlis à Montgeron vers 18 h 30, appelés par des voisins qui se plaignaient de la présence des trois hommes saouls dans la rue. Les agents municipaux appellent en renfort la police nationale, qui envoie quatre fonctionnaires. Selon France Info, il s'agirait d'une équipe de brigade anticriminalité (Bac), mais sur la vidéo recueillie, les agents semblent être en tenue avec une voiture sérigraphiée.

« Lorsque l'équipe de la Bac intervient, elle demande aux hommes éméchés de se coucher au sol, relate France Info. Deux d'entre eux acceptent, le troisième refuse. Il porte à la main un tesson de bouteille de whisky. En garde à vue, le chef d'équipe de la Bac raconte qu'il a alors crié à ses collègues : “Attention arme tranchante.” » Le policier aurait reculé, puis trébuché sur un rebord longeant le trottoir, avant de tomber. Dorel-Iucif Floarea aurait continué à avancer vers lui, en le menaçant, jusqu’à ce que le policier lui tire une balle dans le thorax. France Info indique que, de source policière, « il n'y a pas eu de sommation ». « Probablement simultanément », d’après le parquet cité par Libération, un autre policier tire avec son Flashball.

Roumain, Dorel Floarea vivait depuis cinq ans en France, où il a rencontré sa compagne elle aussi roumaine, Prejban Florica, 36 ans. Il travaillait dans le bâtiment « de 6 heures du matin à 23 heures en sous-traitance » et venait de monter son entreprise NV&AG, immatriculée en mars 2014 à Vigneux-sur-Seine. C'est dans cette commune qu'habitait le couple avec leur fils de seize mois et un enfant de douze ans, né d’une précédente union. « Il est parti à 14 heures (le 29 juillet, ndlr) pour régler un problème à la banque à Montgeron, il devait payer un salarié, raconte Prejban Florica. Je l’ai appelé à 17 heures, il devait rentrer, puis il n’a plus répondu. Il avait fermé son téléphone. »

Dans l’après-midi, Constantine Floarea a retrouvé son frère place du marché à Montgeron avec un ami. Selon son récit, les trois hommes ont descendu une première bouteille de whisky, puis en ont racheté une autre avec du Coca et du Red Bull. Ils se sont installés sur un muret devant le château du Moulin de Senlis, une bâtisse délabrée aux allures gothiques. Jouxtant une église orthodoxe, le lieu, proche de la ligne de RER D, abrita au lendemain de la Seconde Guerre mondiale un orphelinat pour émigrés russes. Aujourd’hui, plusieurs familles russes, moldaves et tchétchènes y vivent encore. Dans Libération, le maire UMP, François Durovray, parle d’une « zone de non-droit ». Sur la chaussée devant le château, du sable a été répandu pour recouvrir le sang. Les proches ont déposé des bougies, des fleurs et des photographies. 

Le château de Moulin de Senlis abrite des familles venues d'Europe de l'Est.Le château de Moulin de Senlis abrite des familles venues d'Europe de l'Est. © LF

« Les policiers municipaux sont arrivés vers 18h-19h, explique Constantine, dans un français très hésitant. Ils nous ont dit “c’est interdit de boire”, alors on est partis par le chemin. » Mais les trois hommes ont oublié sur le muret les deux paquets de cigarettes qu’ils venaient d’acheter. Selon Constantine, son frère retourne les chercher. « Arrivent quatre policiers nationaux, ils renversent la bouteille de whisky, puis la jettent dans la poubelle, raconte Constantine. Mon frère leur demande en roumain : “Pourquoi vous faites ça ?” J’étais derrière lui, il avait son portable à la main. La bouteille était dans la poubelle, pas dans la main. » Il n’a entendu aucune sommation et n’a pas vu le policier tirer sur son frère.

En revanche, un voisin, rencontré par Mediapart, affirme avoir suivi toute la scène. Étranger, il ne souhaite pas que son nom, ni sa nationalité apparaissent par « peur de la police ». Il a entendu l’un des hommes injurier les policiers en roumain : « Police de merde. » « Le Roumain était trop bourré, bourré comme quelqu’un qui va dormir, il n’a pas du tout voulu attaquer le policier, dit cet homme. Il avait dans la main quelque chose, un paquet de cigarettes ou un gobelet, mais pas une bouteille. Le policier reculait, il y avait un bloc de béton, il est tombé et a tiré. »

Selon le frère de la victime, les policiers les auraient alors gazés, lui et son ami, et embarqués dans une voiture vers le commissariat. Il n’aurait appris la mort de son frère que le mercredi soir, à sa sortie de garde à vue. « Je ne savais pas où il était, je pensais qu’il avait été touché à la jambe, jamais qu’il était mort, dit Constantine Floarea. Il y avait les caméras devant le commissariat. Les policiers m’ont fait sortir par derrière. C’est un copain qui m’a dit : “Ton frère est mort.” »

Prejban Florica, avec son plus jeune fils, lors d'un rassemblement  après la mort de son compagnon.Prejban Florica, avec son plus jeune fils, lors d'un rassemblement après la mort de son compagnon. © DR

Prejban Florica, qui avait attendu son mari toute la nuit, n'a pour sa part été prévenue que le mercredi matin, une fois que son frère Vasile a vu les informations à la télévision « à 6 heures du matin »« Je suis partie à l’hôpital puis au commissariat, dit-elle. On a attendu jusqu’à 11 heures. Les policiers m’ont dit que mon mari avait une bouteille à la main, qu’il s’était bagarré avec son copain, c’est pour ça qu’ils étaient intervenus. Ils avaient sa pièce d’identité, sa carte vitale, la carte grise de la voiture avec notre adresse. Je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas venus le soir même à la maison ! » Prejban Florica poursuit : « Mon mari n’avait rien dans la main. Ce n’est pas un terroriste, pas un criminel. Il travaillait, il payait ses impôts, le loyer. Comment je vais faire avec mes deux enfants ? »

Son avocat, Me Valère Cujas, n'a pas eu accès au dossier encore en enquête préliminaire. « D'après les propos de la famille, la légitime défense doit encore être prouvée, dit-il prudemment. On peut être effrayé dans une situation qui n'est objectivement pas dangereuse. Chacun réagit différemment, mais on peut attendre une autre réaction d'un policier qui a l'habitude de ces situations. » 

D’après les témoignages de plusieurs voisins qui les ont croisés dans la soirée, les trois hommes étaient très alcoolisés. « L’homme qui a été tué était très bourré, il ne pouvait pas marcher normalement, dit Katia, une voisine moldave, qui a juste entendu le coup de feu. Comment pouvait-il agresser quelqu’un ? » Selon elle, un voisin tchétchène aurait filmé toute l’intervention sur un téléphone portable depuis sa fenêtre mais aurait ensuite effacé la vidéo, lui aussi par crainte des policiers. « Ils sont montés et étaient énervés car personne n’ouvrait les portes, ils ont jeté une bonbonne alors tout le monde a eu peur », affirme la jeune femme.

Dorel Floarea doit être enterré à Timisoara en Roumanie, dimanche 9 août. Sans titre de séjour, ni emploi, Prjeban Florica ne sait pas comment subvenir aux besoins de ses enfants. Elle devait rencontrer le maire de Montgeron ce mercredi soir, puis avait prévu un rassemblement devant le château avec d’autres femmes. « Est-ce qu’ils vont tuer tous les maris bourrés ? » demande-t-elle.

Ci-dessous, une vidéo d'amateur montrant le début de l'intervention des policiers nationaux, appelés en renfort à Montgeron.

© Inconnu

BOITE NOIREJ'ai rencontré Prejban Florica, son frère Vasile, le frère et un cousin de Dorel Floarea, ainsi que divers voisins ce mercredi 6 août à Montgeron. Contacté, le maire de Montgeron n'a pas donné suite.

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