À Aubervilliers, la contestation contre la mise en place de la semaine de quatre jours et demi à l'école primaire a viré l’an dernier au bras de fer avec le maire socialiste Jacques Salvator qui a, depuis, perdu les élections. Dans cette ville de Seine-Saint-Denis devenue emblématique de la fronde contre la réforme des rythmes scolaires, la nouvelle majorité Front de gauche s’était engagée pendant la campagne municipale à tout remettre à plat et à mener enfin une concertation sur le sujet qui a, de l’avis de tous, cruellement fait défaut l’an dernier. Mais le projet de la ville pour la rentrée prochaine, présenté juste avant les vacances aux parents, laisse pourtant à beaucoup un goût amer. Si la ville, désormais dirigée par le communiste Pascal Beaudet, applique bien les neuf demi-journées réglementaires, avec des journées de classe commençant à 8 h 45 et se terminant à 15 h 45, avec le mercredi matin travaillé, elle ne propose pourtant plus aucune activité périscolaire sur les trois heures hebdomadaires dégagées par la réforme.
Ces activités sportives ou culturelles dont les élèves bénéficiaient gratuitement l'an dernier, ont été jugées par la nouvelle équipe municipale trop chères et sans grande plus-value. « Nous sommes déjà dans une situation de crise et de manque de moyens pour nos écoles, avec des enseignants non remplacés, des locaux dégradés. Le gouvernement veut nous imposer des exigences supplémentaires, mais sans mettre les moyens correspondants », plaide la première adjointe, Meriem Derkaoui, en charge de l’éducation, qui assume parfaitement la suppression de ces activités à la rentrée prochaine. « Faute de locaux, les écoles étaient transformées en hall de gare, dans une totale confusion entre ce qui relève du scolaire et le périscolaire. Nous avons donc choisi de redonner à l’école ce qui lui appartient, comme le demandaient les enseignants », explique-t-elle. Pour elle, le premier bénéfice de cette remise à plat – ou du détricotage de ce qu’avait fait la précédente majorité – est que le climat s’est enfin rasséréné autour de cette réforme.
L’an dernier, la mise en œuvre au forceps de la réforme, contre l’avis des conseils d’école de la ville et dans un climat de franche opposition du corps enseignant, avait engendré une rentrée scolaire sous haute tension. Quelques semaines après la rentrée, près de deux tiers des écoles de la ville avaient ainsi fermé en signe de protestation. L’organisation faite pour optimiser les locaux et les emplois du temps des personnels recrutés s’était avérée complexe, avec des écoles divisées en deux groupes et fonctionnant sur des rythmes différents. La qualité des activités périscolaires dans cette ville pauvre de Seine-Saint-Denis s’était aussi révélée très inégale. Alors que le maire sortant, Jacques Salvator (PS et Républicains), avait déclaré vouloir faire de sa ville une « tête de pont de la réforme des rythmes scolaires en Seine-Saint-Denis », il s’était surtout attiré les foudres des enseignants, mais aussi d’une majorité de parents, le dossier ne comptant sans doute pas pour rien dans sa défaite aux municipales.
Pourtant, le choix radical de la nouvelle majorité de supprimer ces activités fait quand même renoncer à une très importante enveloppe pour la ville. L’an dernier, la mairie avait ainsi touché près de 1,7 million d’euros d’aides publiques pour mettre en place ces activités périscolaires – pour un coût total de 3,6 millions d’euros – (780 000 euros de fonds d’amorçage, 405 000 euros de la Caisse d'allocations familiales, ainsi que le remboursement du coût salarial des emplois d’avenir embauchés dans ce cadre, 575 000 euros), selon les chiffres de l’actuel directeur des finances de la ville.
« C’est scandaleux qu’on en arrive à une telle impasse ! » juge le président de la fédération des parents d'élèves FCPE 93, Rodrigo Arenas, pour qui « à Aubervilliers, les enfants ont été pris en otages par des règlements de comptes locaux». « Rien ne justifie le fait que des mairies renoncent à organiser des activités périscolaires pour les gamins. Comment se fait-il que dans des villes pourtant pas riches comme Clichy-sous-Bois, Stains ou Sevran, ce soit possible ? À un moment, il s’agit de choix politique de la part la ville. » Un parent d’élève, pourtant très remonté contre la manière dont la réforme avait été appliquée l’année dernière, a lui aussi le sentiment « d’un immense gâchis ».
« Le coût net direct (du maintien des activités périscolaires) pour le contribuable communal s'établirait donc à 1,8 million d'euros. Cette somme équivaut à 4 % d'impôts locaux. C'est énorme et clairement insupportable », affirme Gaël Hilleret, directeur des finances de la ville.
L’aide publique, toujours pas pérenne puisqu’elle provient pour l’essentiel d’un fonds d’amorçage dont le ministre Benoît Hamon reconnaît lui-même que le maintien n’est pas acquis dans les années à venir, relève donc du mirage.
« Nous ne renonçons pas à cette somme. Il vaut mieux voir qu’on ne dépensera pas plus d’un million d’euros pour une réforme qui n’a fait que des mécontents. Avec ces sommes, on pourra se consacrer à d’autres priorités, comme la réhabilitation de certains bâtiments », assure Meriem Derkaoui.
La nouvelle majorité s’était-elle néanmoins suffisamment préparée sur ce dossier ? Au vu du déroulement des quelques réunions de concertation mises en place juste après les élections, certains parents en doutent. « Ces réunions ont un peu servi de défouloir contre tout ce qui n’avait pas marché l’an dernier, raconte une mère d’élève. Et il n’y a pas vraiment eu d’espace pour construire un projet. On a même eu le sentiment que la nouvelle équipe n’avait pas réfléchi à grand-chose. » La chargée de l’enfance reconnaît d’ailleurs qu’elle est personnellement favorable au retour de la semaine de quatre jours – une position extrêmement minoritaire qui va à l’encontre de l’appel de Bobigny signé par la quasi-totalité des syndicats enseignants et des associations de parents.
Si les associations qui ont répondu aux appels d’offres l’an dernier sont évidemment très déçues, la ville précise qu’elles n’avaient été engagées que pour un an et que la fin des activités périscolaires n’engendrera aucun licenciement sec. Pour la nouvelle municipalité Front de gauche, cela aurait quand même un peu fait désordre. Une chose est sûre : le budget de l’éducation devrait être considérablement réduit du fait de cette nouvelle politique.
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