Quatorze ans après sa création, EADS va disparaître. Le conseil d’administration du groupe aéronautique devait entériner le 30 juillet la fin de cette appellation pour le groupe d’aéronautique et de défense et son remplacement par le nom de sa filiale la plus connue, Airbus.
Ce changement était attendu. Avant sa nomination à la présidence, Tom Enders avait annoncé sa volonté d’en finir avec le sigle lui préférant le nom d’Airbus. Personne n’avait émis d’objection.
Dans l’esprit des salariés, EADS n’est pas associé qu’à des bons souvenirs. Toute cette période de construction du groupe a été marquée par des querelles entre dirigeants, entre nationalités, sur fond de scandales boursiers et industriels. En changeant de nom, la direction indique qu’elle entend tourner la page de ce passé chaotique.
La transformation d’EADS en Airbus signifie aussi clairement la fin d’un groupe sous influence des États européens. Dès le début de sa présidence, Tom Enders s’est appliqué à faire diminuer le poids des États dans son capital. La refonte de l’actionnariat s’est déroulée selon ses espérances : les deux actionnaires privés, Daimler et Lagardère, sont sortis à la faveur d’une active politique de rachat d’actions qui a permis aux sortants d’engranger de confortables plus-values. Paris et Berlin se retrouvent désormais à égalité avec 12 % des actions du nouveau groupe, la France s’étant empressée, comme escompté, de vendre en catimini les 3 % qu’elle avait en plus, pour boucler quelque fin de mois (voir le grand pillage par les actionnaires).
En renommant le groupe Airbus, Tom Enders parachève cette évolution, l’ancrant non plus comme le fruit d’une coopération européenne mais comme un groupe mondial, rival de Boeing. C’est d’ailleurs le modèle du rival américain qui a inspiré la réorganisation en cours.
Car ce changement de nom n’est que la marque la plus visible d’une transformation beaucoup plus importante du groupe. Alors qu’EADS tenait le rôle de holding financière, laissant à ses différentes filiales une grande autonomie d’action et d’existence, Airbus est appelé à devenir un groupe industriel beaucoup plus intégré, les filiales devenant des branches d’activité. Le tout sous le contrôle direct de Tom Enders, dont les pouvoirs semblent appelés à être terriblement renforcés.
À l’avenir, le groupe va reposer sur trois piliers : l’aéronautique civile, les hélicoptères (Eurocopter, qui pourrait changer de nom) et un pôle défense.
C’est ce dernier qui est appelé à connaître les plus grands bouleversements. En dépit de l’échec de la fusion avec le britannique BAE à l’automne dernier, Tom Enders n’a pas renoncé à bâtir un grand pôle de défense à côté de l’activité civile. L’idée semble beaucoup plaire aux marchés financiers, qui applaudissent à l’idée d’une simplification des structures.
Pour l’instant, le grand pôle de défense a encore des allures de bric-à-brac. La direction va proposer au conseil d’administration du 30 juillet de rassembler au sein d’une même entité Cassidian, Airbus Military et Astrium.
Qu’ont-elles en commun ces trois entités ? Pas grand-chose hormis d’avoir comme clients des États. Cassidian est un des fabricants de l’avion européen Eurofighter et par ailleurs travaille surtout pour la défense allemande, en particulier pour les drones et la sécurité. Airbus Military est une création récente, destinée d’abord à porter le programme de l’avion A 400M qui a vu le jour avec beaucoup de difficultés. Astrium est la branche spatiale du groupe qui développe tous les programmes Ariane et les satellites, mais qui assure aussi le développement et la maintenance des missiles balistiques français.
Pour justifier ce regroupement peu cohérent, la direction met en avant la nécessité de simplifier les structures pour s’adapter à la baisse des budgets militaires des États européens. Plus cyniquement, certains expliquent que cette réorganisation permet de cacher nombre de difficultés. Cassidian est dans une impasse avec la réduction de la défense allemande, l’Eurofighter ne lui apportant plus que des programmes de maintenance. De son côté, Airbus Military a encore du mal à faire face au programme A 400M, même si l’essentiel des pertes est désormais provisionné. La consolidation des chiffres permettra de créer un ensemble plus présentable, en attendant de trouver d’autres partenaires. Car de l’avis de nombreux observateurs, même si l'opération avec BAE a échoué, ce n’est que partie remise dans l’esprit de Tom Enders, avec ce candidat ou un autre.
Ces modifications de frontières, cependant, soulèvent des problèmes. D’abord sur l’avenir des activités d’Astrium. Que deviennent les programmes spatiaux européens ? Est-il raisonnable de les confondre au sein de la même entité que la défense et de compter sur la direction du nouvel Airbus, qui ne jure plus que par les États-Unis, le monde, mais surtout pas l’Europe, pour en assurer le développement ?
Plus problématique encore est la question des intérêts stratégiques des États. Lors de la reconfiguration capitalistique d’EADS, la direction avait annoncé la création de deux structures indépendantes, regroupant les intérêts de défense de l’Allemagne et de la France. L’Allemagne devait y loger tout ce qui concerne ses sous-marins, ses moyens d’observation. La France devait y placer toute sa dissuasion et ses moyens balistiques.
Depuis, un certain clair-obscur entoure ces deux entités, qui ne paraissent exister que sur le papier. Que vont-elles devenir dans cette grande recomposition ? Curieusement, personne n’évoque le sujet. Le gouvernement français, comme sur toutes les questions concernant EADS, se garde de toute intervention publique.
Pour parachever le tout, la mise en place de cette nouvelle organisation s’annonce compliquée. Car elle risque de conduire à des restructurations et des suppressions d’emploi. Selon le Financial Times, un plan de réorganisation pourrait être présenté aux syndicats dès l’automne. Un porte-parole du groupe dit n’avoir aucune information sur le sujet. Mais à l’usage, les salariés ont appris à décoder les termes économies, synergies, rationalisation.
Déjà, les interrogations fusent. Quelle activité sera maintenue ? Laquelle sera condamnée ? Qui en profitera ? Qui sera sacrifié sur l’autel des économies ? Les équilibres instaurés entre Allemands, Français et Espagnols depuis plus de dix ans sont appelés à être bousculés. Chacun s’apprête à peser au trébuchet les efforts demandés. Car un changement de nom ne suffit pas pour enterrer une histoire, des craintes et des batailles de pouvoir.
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