La plupart des députés assument, bravaches. D'autres bafouillent au téléphone. D'après une enquête de Mediapart, en 2014, au moins 115 députés (sur 577) ont salarié un membre de leur famille, en CDD ou CDI, sur un temps plein ou partiel. Huit élus sont même allés jusqu'à rémunérer deux de leurs proches.
« C'est la chasse aux sorcières ou quoi ? s'étrangle Franck Gilard (UMP), quand on l'interroge sur le CDD de trois mois accordé à son fils. Avec ces histoires de transparence, tout le monde nous pisse sur les godasses ! » Le président de l'Assemblée nationale lui-même, Claude Bartolone (PS) fait travailler sa femme depuis 2012 (« Je n'ai pas embauché ma femme, j'ai épousé ma collaboratrice ! » ressasse-t-il).
Jusqu'ici, l'identité des assistants parlementaires, ces “petites mains” employées sur fonds publics par les 925 sénateurs et députés, était jalousement gardée au secret. Mais leurs noms sont apparus pour la première fois dans les « déclarations d'intérêts » des élus, mises en lignes le 24 juillet par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée de prévenir les conflits d'intérêts.
La plupart des députés n'y mentionnent pas le lien familial les unissant à tel ou tel collaborateur, mais en croisant ce “trombinoscope” inédit avec des informations récoltées ces dernières semaines dans les couloirs de l'Assemblée, Mediapart a pu reconstituer une liste relativement complète des députés signant des contrats en famille.
Ainsi, alors que le Parlement européen prohibe l'embauche de proches pour éviter tout emploi fictif ou de complaisance (conjoints, parents, enfants, frères et sœurs) depuis 2009, la pratique touche au moins 20 % de l'hémicycle en France.
À l'Assemblée, la seule règle supposée prévenir les abus touche au salaire : pour un proche, il est plafonné à 4 750 euros brut par mois (voir ici notre précédente enquête sur le Sénat, un peu plus strict en la matière). Sinon, un député peut choisir librement son équipe et “distribuer” jusqu'à 9 504 euros mensuels de façon discrétionnaire entre ses divers collaborateurs.
Aucun contrôle n'a jamais été effectué, par exemple, sur les emplois offerts à leurs épouses par Jean-François Copé ou Bruno Le Maire, dont Mediapart a révélé l'existence (le contrat de Pauline Le Maire a finalement été interrompu en septembre 2013). Quelle plus-value cette psychologue pour enfants et cette artiste-peintre ont-elles précisément apporté au travail parlementaire ?
Alors certes, les députés ont raison de rappeler que des dizaines de conjoint(e)s ou d'enfants effectuent des tâches bien réelles, à Paris comme dans les permanences de circonscription. Certains de leurs arguments sonnent effectivement sincères, comme le besoin de recruter une personne de confiance ou de préserver un lien conjugal, souvent malmené par une vie politique chronophage.
« Il ne s'agit pas d'avantager sa famille, insiste le socialiste Michel Lesage (qui fait appel à son fils pour un CDD de trois mois de juin à septembre). Mais il n'y a pas de raison non plus de la pénaliser quand elle a les compétences. » Cela dit, lui ne se voit pas « salarier quelqu'un de (sa) famille en permanence… »
« Il peut y avoir des emplois fictifs en dehors de tout lien familial, réagit Linda Gourjade (PS), qui vient d'embaucher sa fille, diplômée de Sciences Po Toulouse. Je ne suis pas sûre que ce soit un facteur aggravant. » D'ailleurs, son collègue, Franck Gilard, s'emporte : « Si on nous l'interdit, alors il faut l'interdire dans les boîtes privées ! »
Quand on rappelle qu'il s'agit d'argent public, quelques élus font aussi valoir ce drôle d'argument : « Je n'épuise pas l'enveloppe à laquelle j'ai droit, souligne Jean-Pierre Door (UMP), qui vient de salarier son épouse. J'utilise 6 500 euros sur les 9 500 que l'Assemblée met à notre dispostion pour payer nos collaborateurs ! » Finalement, parmi les députés de la liste interrogés par Mediapart, seul Étienne Blanc (UMP) se déclare « plutôt favorable à une interdiction, comme au Parlement européen ».
Mais pour bien évaluer la situation, encore faudrait-il que tous les parlementaires daignent remplir convenablement leur déclaration d'intérêts. Ainsi Jean-Pierre Mignon (UMP), qui, d'après nos informations, a salarié sa conjointe en 2014, a-t-il écrit « Néant » dans la case censée lister ses collaborateurs. Sollicité par Mediapart, il n'a pas encore répondu à nos questions.
En fait, les formulaires ayant été remplis par les élus en janvier 2014, ils ne mentionnent pas les nombreux « CDD d'été » d'un, deux ou trois mois récemment accordés à un membre de la famille. Le socialiste Patrick Lemasle, par exemple, qui a recruté une première fille en mars 2014, puis une seconde en CDD pour juin et juillet, n'a pas pensé à mettre sa déclaration à jour.
Le recours aux enfants sur des contrats saisonniers est visiblement tendance. Le député Étienne Blanc (UMP) vient de prendre sa fille, étudiante en droit public, en « stage d'été sur 4 ou 5 semaines ». Idem pour le fils d'Yves Censi (UMP) ou celui de Béatrice Santais (PS). Le socialiste Hugues Fourage a salarié son fils en juin et juillet (après un CDD d'un mois, déjà, l'été dernier). Son collègue Philippe Vigier (UDI), le président du groupe centriste, vient aussi de recruter sa fille pour deux mois, « après deux ans dans une ambassade et juste avant qu'elle rejoigne son nouveau poste (dans le privé – Ndlr) à la rentrée ».
Francis Vercamer, lui, a bien signalé sa fille dans sa déclaration d'intérêts de janvier, mais pas encore sa conjointe. « Je prends (mon épouse) de temps en temps sur des CDD ponctuels, environ deux mois par an, justifie l'élu centriste. En général, c'est pendant les congés : en novembre, c'est pour préparer les vœux, en juin pour faire le bilan de l'année. » Pratique.
Si le socialiste Olivier Véran a bien pensé à mettre sa déclaration à jour à la mi-juillet, c'est pour signaler l'interruption du contrat de sa sœur. Dans ce sens là, c'est évidemment plus spontané.
Côté qualifications, il n'y a parfois rien à redire, comme lorsque la socialiste Estelle Grelier fait valoir le « DESS et le diplôme de Sciences Po Grenoble » de sa cousine « bilingue » (en CDI jusqu'en mars dernier). Mais le centriste Meyer Habib va jusqu'à ressortir « la mention au Bac » de son fils, pour expliquer l'octroi d'un CDD à temps partiel. De son côté, l'UMP Claudine Schmid (élue par les Français expatriés en Suisse et au Liechstenstein) a vite fait de dégainer la “carte maîtresse” de son fils qui tient sa permanence outre-Léman : « Il parle le dialecte suisse-allemand et ça ne se trouve pas en France ! » Certes, mais en Suisse ? De toutes façons, les élus ont beau jeu de rappeler en chœur que certaines tâches de secrétariat n'exigent pas d'expertise particulière.
Certains « emplois familiaux » semblent tout de même très actifs en dehors de l'Assemblée. Ainsi, était-il opportun que Florent Boudié (PS) recrute à temps plein sa conjointe, Émilie Coutanceau, alors qu'elle occupe déjà un siège de conseillère régionale (plus deux autres mandats d'élue locale jusqu'en mars dernier) ?
Le fils de Michèle Fournier-Armand (PS), lui, exerce parallèlement, à temps plein, à la Mutuelle sociale agricole comme « gestionnaire de cotisations » – la députée précise du coup qu'elle ne l'emploie que « 7 heures par semaine ». Les filles de Jean-François Mancel (UMP) et Michel Françaix (PS), respectivement actrice et « intermittente du spectacle », semblent avoir trouvé à l'Assemblée un job alimentaire. Quant au conjoint de Laure de La Raudière (UMP), « exploitant forestier », il se transforme visiblement en assistant la moitié de la semaine.
Cette transparence sur les activités annexes des collaborateurs a un objectif : elle doit permettre, le jour où leur député se penchera sur leur secteur d'activité, de mieux identifier d'éventuels conflits d'intérêts.
Il est dommage, à cet égard, que la radicale de gauche Dominique Orliac, active sur les politiques de santé et du médicament, ait omis de mentionner le métier de son fils (en CDI jusqu'à cet hiver), un pharmacien qui effectuait « des remplacements » en parallèle. De même que celui de sa fille, médecin. Le nom de celle-ci, d'ailleurs, ne figure pas encore dans la liste des collaborateurs de la députée.
À l'arrivée, au-delà de quelques situations individuelles condamnables (à défaut d'être illégales), c'est surtout le nombre et la masse des emplois familiaux qui interpelle. Alors que le marché de l'emploi en France se contracte chaque trimestre davantage, comment les Français peuvent-ils regarder ces chiffres avec décontraction ? Dans les couloirs du Palais-Bourbon, des observateurs avisés rappellent aussi que la « sous-qualification » et le « sous-investissement » de certains emplois familiaux ont des répercussions directes sur leurs collègues, qui doivent redoubler de travail et parfois se contenter d'un salaire amputé.
Dans un communiqué, le syndicat FO des collaborateurs parlementaires rappelle l'urgente nécessité de créer un statut pour ces milliers de salariés de l'ombre, privés de grille indiciaire et de convention collective.
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