Où a-t-il encore mis les pieds ? Avant un possible retour politique à la rentrée en France, c’est chez le très controversé président congolais Denis Sassou Nguesso que Nicolas Sarkozy a fait cette semaine un discret et très rémunérateur aller-retour, comme plusieurs médias s'en sont fait l'écho ces dernières 48 heures. L’ancien chef de l’État s’est en effet rendu, vendredi 25 juillet, au Congo-Brazzaville, pour une intervention au Forum économique Forbes, organisé par le magazine Forbes Afrique, en présence de Sassou Nguesso.
D'après un organisateur, qui s'est confié à Mediapart sous le couvert de l'anonymat, Nicolas Sarkozy a été directement rémunéré par Forbes – certains avancent la somme de 100 000 euros –, dont le président-fondateur, l'homme d'affaires Lucien Ebata, est un proche du président congolais.
Mais la présence d'un autre personnage-clé dans la galaxie de Forbes Afrique pourrait s'avérer embarrassante pour Nicolas Sarkozy, déjà empêtré dans de nombreuses affaires financières en France. Selon plusieurs documents judiciaires obtenus par Mediapart, le directeur de la société propriétaire du magazine, F. Afrique Medias Holding SA, domiciliée en Suisse, est aujourd'hui suspecté par la police française d'être un homme de paille du clan Sassou dans plusieurs opérations de corruption et de détournements de fonds pouvant atteindre 60 millions d'euros. L'homme s'appelle Philippe Chironi. C'est un Français, établi à Nyon, en Suisse.
La venue au Congo de Nicolas Sarkozy, présenté comme l’invité vedette de cette troisième édition, a été tenue secrète jusqu’au dernier moment par Forbes. Arrivé vendredi midi, l’ancien président de la République a répondu pendant vingt minutes aux questions de la journaliste de TV5 Monde, Denise Epoté, sur l'estrade d'une salle de conférences dépendant du ministère des affaires étrangères congolais. L’équipe de Nicolas Sarkozy avait expressément demandé que cette intervention ne soit pas filmée. La consigne a été rappelée aux journalistes par les organisateurs.
Entre deux allusions à sa candidature à la présidence de l'UMP – « Parler en public, ça me donne des idées… », a-t-il lâché en conclusion –, l’ex-président français a salué son « ami » Sassou Nguesso, qui l’écoutait, assis sur un trône aux côtés d’autres chefs d’État africains. Une adresse « amicale » et « chaleureuse », d'après plusieurs témoins. Il a ensuite participé au dîner de gala à la table du président congolais et de ses homologues du Niger, du Gabon et de Guinée.
Le fait que Sassou Nguesso soit visé par plusieurs enquêtes judiciaires en France, dans l’affaire dite « des disparus du Beach » et celle des « Biens mal acquis », n’a pas empêché Nicolas Sarkozy de s’afficher à ses côtés. À 70 ans, dont 35 passés à la tête de ce pays pétrolier d’Afrique centrale, l’autocrate Sassou Nguesso continue de cultiver d'impressionnants réseaux politiques et d'affaires en France, à droite comme à gauche. Forbes Afrique, déclinaison africaine francophone du célèbre magazine américain, apparaît incontestablement comme l'un de ses nouveaux leviers d'influence.
Derrière Forbes Afrique, on trouve donc un homme d’affaires congolais proche du pouvoir : Lucien Ebata, patron du groupe pétrolier Orion Oil. Mais le fondateur et PDG de Forbes Afrique n'est pas le seul à entretenir des liens étroits avec Sassou Nguesso. Entre Forbes et Sassou, les connections sont nombreuses, notamment par l'entremise de Philippe Chironi.
La consultation du registre du commerce et des sociétés suisse ne laisse d'ailleurs aucun doute sur les liens entre Lucien Ebata, qui a invité Nicolas Sarkozy au Congo, et Philippe Chironi, que ce soit dans le domaine pétrolier ou dans celui des médias, avec Forbes Afrique. Philippe Chironi ne souhaite actuellement faire aucun commentaire tant que des procédures judiciaires sont en cours. Il faut dire que les découvertes, depuis un an, de la police parisienne, en marge de l'affaire des « Biens mal acquis », qui vise le patrimoine faramineux en France de plusieurs dignitaires africains (dont Sassou Nguesso), ont de quoi le gêner.
Dans un procès-verbal du 19 juin 2013, un commandant de police de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dresse un état des lieux accablant de ses activités financières : « M. Chironi a ouvert plusieurs comptes bancaires auprès d'établissements financiers (…) au nom de sociétés qui ont leur siège en territoire offshore (Maurice, Seychelles, Iles Marshall, Hong Kong…). Des transactions pour plusieurs millions d'euros ont été effectuées – 60 millions d'euros – dont l'origine pourrait être illicite. Ces fonds pourraient en effet provenir de délits de corruption commis en Afrique, Congo-Brazzaville plus précisément. »
Or, d'après les constatations de la police et de Tracfin, le service de renseignement du ministère des finances, une bonne partie de cet argent, évaporé des caisses de l'État congolais, s'est retrouvée ensuite sur les comptes de plusieurs membres du clan Sassou, après avoir transité par les sociétés-taxis de M. Chironi ou directement par son intermédiaire.
Parmi les bénéficiaires identifiés par l'enquête, on peut citer Antoinette Sassou Nguesso, la femme du président congolais, Julienne Olga Johnson, sa fille, Guy Johnson, son gendre, André Okombi Salissa, un ancien ministre congolais, ou Jean-Jacques Bouya, le délégué général aux grands travaux (d'où les 60 millions ont été transférés)…
Une partie des sommes a servi à l'achat par la famille Sassou Nguesso d'au moins 7,7 millions d'euros de montres, bijoux, costumes, chemises dans des boutiques de luxe à Paris, comme Mediapart l'a déjà raconté. Pendant ce temps, le Congo, lui, continue de faire partie des « pays pauvres très endettés » (PPTE) référencés par la Banque mondiale. Près de la moitié de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté ; l’accès à l’eau potable ou à l’électricité demeure encore difficile ; le taux de chômage national dépasse les 30 % et un quart des enfants congolais de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique.
Une précédente édition du Forum économique Forbes, en 2013, avait été financée par Orion Oil et la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont le conseiller juridique, Sylvain Lekaka, “parent” de Sassou, selon La Lettre du Continent, préside le conseil d'administration de Forbes Afrique.
Sassou Nguesso et Lucien Ebata sont des familiers de plusieurs personnalités politiques françaises. L’année dernière, lorsque Nicolas Sarkozy avait décliné son invitation au forum, Ebata avait convié Jean-François Copé. L'ancien président de l'UMP avait lui aussi été rémunéré pour son intervention (30 000 euros, selon Le Journal du Dimanche). Dans le même temps, l'ancienne ministre UMP Rachida Dati avait été reçue très chaleureusement par Sassou Nguesso. Au point que des sites africains s’étaient interrogés sur l’objet des visites des responsables UMP (lire notre article).
Face à la polémique suscitée au Congo par le coût démesuré de la conférence, Lucien Ebata avait dû venir s'expliquer en catastrophe sur la télévision nationale, TV-Congo. Il avait assuré, en dépit des informations déjà confirmées, que les intervenants étaient venus à titre gratuit et que l'État n'avait pas déboursé un centime.
Deux ans plus tôt, ce sont les anciens premiers ministres chiraquiens Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin qui étaient présents au lancement de Forbes Afrique. Comme Copé, ils avaient fait le déplacement dans un avion de 50 places, spécialement affrété depuis Paris. Chaque année, les invités sont hebergés dans des hôtels cinq étoiles de la capitale.
En se rendant à cette conférence, Nicolas Sarkozy a en tout cas participé à l'opération de promotion de Sassou Nguesso. Le forum comme la revue sont à la gloire du président congolais et visent à améliorer son image sur la scène internationale. « Forbes Afrique ou Forbes Sassou ? » s’interrogeait d'ailleurs, le 30 août 2012, La Lettre du Continent, publication spécialisée dans les questions africaines. Dès son premier numéro, Forbes Afrique lui a consacré un dossier de six pages – modestement intitulé « Congo-Brazzaville : l'aube nouvelle ». On pouvait y lire que, depuis son retour au pouvoir en 1997, Sassou Nguesso « a travaillé essentiellement à redonner l'espoir de vivre à ses quelque 3 millions et demi de compatriotes ».
Dans ce même numéro, figurait aussi un portrait de Vincent Bolloré. L'homme d'affaires français, qui contrôle l'agence publicitaire Havas, organisatrice du forum Forbes, est bien établi au Congo. En 2009, il a remporté la concession du terminal à conteneurs de Pointe-Noire. Selon l'homme d'affaires franco-espagnol Jacques Dupuydauby, Nicolas Sarkozy aurait alors fait pression sur le président Sassou Nguesso, qui avait pesé de tout son poids pour que Bolloré, concurrencé par Dubaï Ports, l'emporte. Ce qu'avait démenti à Mediapart l'industriel français, en affirmant l'avoir obtenu « en toute légalité ».
BOITE NOIRESollicitée à plusieurs reprises, Véronique Waché, la conseillère presse de Nicolas Sarkozy, n'a pas retourné nos appels. Contacté par mail, Lucien Ebata n'a pas répondu à nos questions.
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