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L'échec économique, le désastre social

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C’est l’effet boomerang du choix fait par François Hollande dès le début de son quinquennat : comme il a construit toute sa présidence sur un cadeau historique apporté au patronat, qui préempte toutes les autres marges de manœuvre, l’échec de cette réforme, qui au fil des mois devient de plus en plus manifeste, signe celui de toute sa politique économique et sociale. Faisant sienne la politique de l’offre défendue par les néolibéraux, au risque de choquer son propre camp, François Hollande espérait sans doute au moins qu’il pourrait apporter la preuve que cette stratégie était fructueuse. Or, c’est la démonstration inverse qu’il est en train, contre son gré, d’administrer : non seulement le cap choisi est socialement destructeur, gonflant le chômage et la précarité, mais le chef de l’État ne peut même plus prétendre qu’il est économiquement pertinent.

De cet échec prévisible, on a déjà eu de nombreux indices au cours des mois écoulés. D’abord, des économistes, de sensibilités parfois même opposées, ont publié des études suggérant que la montée en puissance des deux dispositifs d’allègements fiscaux et sociaux prévus par le gouvernement, le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) d’abord, puis le pacte de responsabilité, pour un montant total dépassant 35 milliards d’euros, n’auraient presque aucun effet sur l’emploi – ce qui en était pourtant la justification officielle. Des effets d’aubaine au profit des entreprises et de leurs actionnaires, à commencer par les florissants groupes du CAC 40, sûrement ; mais des effets favorables à l’emploi et à l’investissement, sûrement pas, ou alors seulement de manière marginale.

C’est d’abord la rapporteure générale (PS) du budget à l’Assemblée, Valérie Rabault, qui l’a suggéré dans un rapport publié le 23 juin dernier (on peut le télécharger ici), à la veille du débat budgétaire qui devait tout à la fois examiner le plan d’austérité de 50 milliards d’euros et les cadeaux offerts aux entreprises (lire La politique d’austérité conduit tout droit à la catastrophe). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’alerte de la responsable socialiste était claire et nette : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. »

Le constat n’était, certes, pas nouveau. Depuis que la crise économique a commencé, en 2007, de nombreux économistes ont alerté, eux aussi, sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produisait un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en œuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales, ce qui creuse les déficits que l’on était supposé diminuer. En clair, c’est une politique qui s’auto-annule.

Mais le fait que ce constat soit repris à son compte par la rapporteure générale du budget à l’Assemblée qui, de surcroît, est une socialiste, donnait une tout autre portée à cette alerte. Une portée d’autant plus forte que les chiffres cités par l’experte provenaient du ministère des finances lui-même et pouvaient difficilement être taxés de partialité. En outre, ces chiffres montraient bien que les effets de la politique d’austérité seraient non pas marginaux mais… massifs ! Près de 0,7 % de croissance en moins chaque année, près de 250 000 emplois en moins : les statistiques de Bercy établissaient bien que le gouvernement, contrairement à ce qu’il prétend, a fait le choix d’une politique récessive.

Une étude plus récente, concoctée par le bord opposé, aboutit à des conclusions guère différentes. De sensibilité néolibérale, la fondation Ifrap vient de réaliser des simulations (elles peuvent être consultées ici) des effets cumulés du pacte de stabilité budgétaire et du pacte de responsabilité. Et le verdict est différent mais tout aussi accablant : « À l’horizon 2017, il ne faut pas compter sur plus de 80 000 emplois créés et plus de 0,33 point de croissance », écrit le « think tank ». En somme, le gouvernement va jeter l’argent public par les fenêtres pour cajoler les entreprises, et imposer en retour un plan d’austérité au pays, mais au total, cela n’aura quasiment aucun effet sur l’emploi et la croissance.

Et ce n’est toujours pas tout. Deux autres études du CNRS, dont Mediapart s’est fait l’écho voici quelques jours (lire Le pacte de responsabilité n’inversera pas la courbe du chômage), suggèrent également que le gouvernement fait fausse route en prenant la doxa néolibérale pour inspiration de sa politique économique...

Et puis dans cette longue liste d’études, conduites par des experts de sensibilités différentes, mais débouchant sur des constats voisins, il faut encore ajouter le « rapport d’information relative à la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises » (il est ici), que le Sénat vient de réaliser.

Dans un préambule, la rapporteure de la mission, la sénatrice (PCF) Michelle Demessine, résume le scepticisme qui est partagé par beaucoup : « Une forme de consensus s’est établi au sein du Conseil d’orientation pour l’emploi en 2006 pour évaluer à 800 000 le nombre d’emplois détruits si l’on supprimait les exonérations de charges "Fillon". Néanmoins, le nombre d’emplois créés stricto sensu depuis 20 ans apparaît beaucoup plus faible, surtout si l’on prend en compte l’effet négatif sur l’emploi des mesures de financement prises pour compenser les pertes de recettes pour la sécurité sociale engendrées par les exonérations de cotisations sociales patronales. Au total, l’honnêteté commande de dire que personne ne sait précisément combien d’emplois ont pu être créés par les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Au-delà de sa faible efficacité, cette politique engendre plusieurs effets pervers particulièrement préoccupants : elle tend à enfermer les travailleurs les moins qualifiés dans des trappes à bas salaires et favorise le déclassement des jeunes diplômés, contraints de prendre la place des moins qualifiés pour trouver un emploi. Ce faisant, elle renforce la dualité du marché du travail. Cette politique était censée préserver notre modèle social mais nous avons des travailleurs pauvres, des travailleurs à temps très partiel, des salariés en contrats de très courte durée, des jeunes qui enchaînent des stages sans lendemain… sans accéder à l’emploi stable et au contrat à durée indéterminée. »

Et la sénatrice ajoute : « Plus largement, l’obsession de la baisse du "coût du travail", devenue une fin en soi, favorise le développement d’une économie low cost, indigne d’un pays développé comme la France et qui contribue au phénomène de déflation en Europe. Ainsi, si le Gouvernement fait le constat pertinent d’une situation économique et industrielle qui continue de se dégrader, il fait fausse route en recherchant de nouvelles baisses du "coût du travail" avec le Cice et le Pacte de responsabilité, qui ne manqueront pas de reproduire les effets pervers des allègements "Fillon". Une focalisation excessive sur le "coût du travail" pour expliquer la perte de compétitivité de l’économie française : les enjeux véritables sont la montée en gamme de notre économie par la formation professionnelle, par une politique industrielle de filières et la meilleure maîtrise du coût du capital. »

Mais il n’y a pas que le travail en chambre des économistes qui est venu attester de l’échec probable du gouvernement. Mois après mois, c’est le même inquiétant constat que sont venues nourrir les statistiques économiques et sociales, et tout particulièrement celles du chômage.

Il n’est, certes, pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. S’accrochant désespérément à l’idée que sa politique allait produire des effets, François Hollande a mille fois, contre l’évidence, pronostiqué que la courbe du chômage allait s’inverser avant la fin de 2013. Et puis, une fois que son pari s’est avéré perdu, il ne s’est toujours pas découragé, annonçant périodiquement une reprise économique qui, en fait, ne s’est jamais réellement confirmée. « On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait-il le 4 mai dernier (lire Croissance et chômage : Hollande, l’extralucide !). À peine quelques semaines plus tard, l’Insee révélait que la croissance française ne devrait guère dépasser 0,7 % en 2014, soit nettement en deçà du taux de 1 % espéré par le gouvernement, et que le chômage resterait à des sommets historiques.

Et le fait est que, sur le front du chômage, rien ne se passe comme l’espérait le gouvernement. Car pour lui, c’est l’indicateur clef, celui qu’il doit surveiller constamment. Pour deux raisons évidentes : parce que c’est celui qui compte le plus pour les Français, celui qui permet de prendre le pouls social du pays ; et puis, parce que c’est celui qui apportera la preuve définitive de l’efficacité (ou de l’absurdité !) du cap choisi.

Or, en toute logique, si le gouvernement avait choisi une stratégie économique efficace, les perspectives pour l’emploi et le chômage devraient commencer à se retourner. Le CICE est entré en vigueur en début d'année, et le pacte de responsabilité va amplifier spectaculairement les aides aux entreprises : profitant d’une meilleure visibilité sur leur environnement fiscal et social pour le court et le moyen terme, les entreprises devraient donc refaire des projets, décider de nouveaux investissements et faire les embauches correspondantes, même si c’est de manière timide dans un premier temps.

Or, tout est là ! Ce n’est pas sur cette pente de reprise économique progressive que se trouve l’économie française. L’Insee l’avait suggéré dans sa dernière « Note de conjoncture » du mois de juin ; et les chiffres du chômage viennent malheureusement le confirmer mois après mois.

Il suffit d’ailleurs d'examiner les dernières statistiques du marché du travail, celles qui ont été rendues publiques vendredi 25 juillet, pour prendre la mesure de la catastrophe sociale.

                           (Cliquer sur le tableau pour l'agrandir)

On connaît le bilan, qui est celui de François Hollande. Alors qu’il a accédé voici deux ans à l’Élysée, le nombre de demandeurs d’emploi de la catégorie A (la plus restreinte) n’a cessé de progresser, pour atteindre un sommet à 3 398 300 à la fin du mois de juin dernier, soit presque 130 000 chômeurs de plus au cours des douze derniers mois.

Mais cette statistique est trompeuse, car au cours des deux dernières décennies, le marché du travail a été dynamité par une folle avancée de la flexibilité. La frontière, qui était autrefois très délimitée, entre les situations d’emploi et les situations de chômage, s’est effacée pour céder la place à d’innombrables situations de précarité. CDD, intérim, travail à temps partiel : le travail a implosé, et la fameuse catégorie A des demandeurs d’emploi ne donne qu’une faible idée de cette folle expansion des situations intermédiaires, entre travail et chômage.

Pour en prendre la mesure, il faut observer l'évolution des demandeurs d’emploi toutes catégories confondues (de la catégorie A à la catégorie E). Dans ce cas, c’est un véritable séisme social : on dénombrait 5 719 400 demandeurs d’emploi à la fin du mois de juin dernier, soit 306 000 de plus qu’en juin 2013.

Il faut garder à l’esprit ce chiffre, car il est lourd des douleurs sociales que connaît le pays, et surtout il révèle une tendance profonde qui affecte l’économie française – sur laquelle nous reviendrons dans un instant : il suggère que si le chômage explose dans le pays, il est un mal qui progresse encore plus vite : celui de la précarité.

Cette envolée du chômage, qui retrouve des niveaux historiques, vient confirmer que le gouvernement n’a pas la politique appropriée pour lutter en faveur de l’emploi. L’Insee ne laisse d’ailleurs guère d’espoir pour les prochains mois. Selon sa dernière « Note de conjoncture » publiée fin juin, les perspectives étaient franchement mauvaises : au deuxième trimestre 2014, écrivait l’Insee, « le taux de chômage augmenterait à nouveau légèrement, à 10,2 % (9,8 % en France métropolitaine) ; puis, avec la légère hausse attendue de l’emploi total, il se stabiliserait à ce niveau au second semestre ».

C’est le couple infernal chômage-précarité qui va continuer au cours des prochains mois à façonner le climat social du pays. Car la connexion que nous venons d’observer entre les deux tendances et qui fait toujours des travailleurs précaires les premières victimes de la progression du chômage, ne cesse d’être à l’œuvre depuis plusieurs années. C’est l’onde de choc de la conversion de la France au modèle anglo-saxon, avec à la clef une place de moins en moins forte des formes d’emploi stable, dont le contrat à durée à indéterminée (CDI), et une montée en puissance exponentielle de toutes les formes d’emploi précaire, parmi lesquels les CDD, l’intérim, le travail à temps partiel. Résultat du démantèlement progressif du code du travail et notamment du droit du licenciement – auquel le gouvernement socialiste a apporté une contribution majeure en incitant les partenaires sociaux à négocier l’Accord national interprofessionnel (ANI), cette déréglementation du travail est un phénomène massif qui est au cœur de la montée de la précarité et de la pauvreté en France.

Une étude remarquable que vient de publier la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail permet de prendre la mesure de ce séisme qui est en train de submerger le marché du travail.

Cette étude, on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

Il faut prendre le temps de décortiquer ces chiffres, tant ils sont impressionnants. Globalement, le CDI reste certes la forme d’emploi dominante, car il a longtemps été, au moins jusqu’au milieu des années 1970, la seule forme d’emploi, ou presque, qui existait. À la fin de 2012, 87 % des salariés du secteur concurrentiel ont ainsi un CDI, tandis que 13 % des salariés seulement sont en contrat temporaire, soit 10 % en CDD et 3 % en intérim.

Mais ce qui retient l’attention, c’est la vitesse à laquelle les choses sont en train de changer, comme le révèlent les deux graphiques ci-dessous.

                            (Cliquer sur le graphique ci-dessous pour l’agrandir)

Pour expliquer l’importance du séisme qui bouleverse le marché du travail, l’étude de la DARES fait en particulier ce constat : « La répartition des embauches entre contrats temporaires et CDI est à l’inverse de celle observée pour les effectifs parmi les salariés en emploi. D’après les déclarations uniques d’embauche et les déclarations mensuelles des agences d’intérim, au quatrième trimestre 2012, 49,5 % des intentions d’embauche sont en CDD, 42,3 % sont des missions d’intérim et 8,1 % sont des CDI. Ainsi, dans le secteur concurrentiel, plus de 90 % des embauches s’effectuent en contrat temporaire. »

Le graphique ci-dessous permet de visualiser de manière encore plus spectaculaire ce qui est en train de se passer sur le marché du travail :

                        (Cliquer sur le graphique ci-dessous pour l’agrandir)

On comprend donc ce qui est en jeu. À la fin des années 1970, le CDI était la forme d’emploi quasi unique qui existait sur le marché du travail. Tout juste le premier ministre de l’époque, Raymond Barre, avait-il institué les premières formes d’emploi précaire – les fameux « stages Barre ». Mais cette forme d’emploi était totalement marginale. Et dans leurs « 110 propositions » pour 1981 (on peut les consulter ici), les socialistes avaient promis qu’il y serait remis bon ordre. « Le contrat de travail à durée indéterminée redeviendra la base des relations du travail », promettait fièrement la 22e proposition.

La belle promesse a depuis très longtemps été oubliée et c’est exactement l’inverse qui s’est produit : le contrat de travail précaire est devenu « la base des relations du travail ». Le graphique ci-dessus suggère même que le CDI est devenu une survivance d’un autre temps. Une survivance qui va progressivement disparaître…

Si la précarité avance encore plus vite que le chômage, c’est donc pour cela : parce que le marché du travail a implosé. Il y a donc le noyau dur du chômage ; et tout autour, il y a ce que les statisticiens appellent pudiquement le « halo autour du chômage », qui recouvre des variétés considérables de situations de précarité.

C’est dire si le gouvernement socialiste prend une lourde responsabilité en conduisant une telle politique de l’offre, qui reprend point pour point les priorités qui étaient défendues par Nicolas Sarkozy. Car il court tout droit vers un retentissant échec économique, qui est déjà perceptible au travers de nombreux indices. Mais ce faisant, il court tout droit vers une autre catastrophe : un désastre social !

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