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Gaza : les deux manifestations en une à Paris

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« Casse-toi avec ta banderole, c’est une manif pour la Palestine ici. Je suis arabe et je vote FN si je veux », vocifère un homme musclé, la quarantaine. Il est en passe d’en venir aux mains avec un vieillard au pied du Monument à la République, dans le centre de Paris. Le vieillard ne comprend pas, cela fait « trente ans » qu’il « milite pour Gaza ». Vite protégé par des jeunes en gilet en jaune, qui assurent le service de sécurité, le militant âgé replie sa banderole réclamant « la dissolution du Front National ». Il part rejoindre ses camarades du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), massés à une dizaine de mètres de là, sous la terrasse Émilienne Moreau-Évrard, une partie légèrement surélevée de la place de la République.

Entre la vingtaine de témoins à proximité, les regards, certains interloqués, d’autres gênés, se croisent. L’incident est clos. Presque infime. Mais d’autres scènes d’incompréhension surviendront entre les manifestants au cours de la journée du 26 juillet, organisée en solidarité pour le peuple palestinien à Gaza et interdite par les autorités.

« Les mesures d’interdiction ont l’objectif de diviser le mouvement, le piège est énorme… Le meilleur moyen est de convoquer une réunion unitaire au plus vite pour continuer à manifester tous ensemble », prévenait Olivier Besancenot, du NPA, à 15 heures, lors du début officiel du rassemblement organisé par une trentaine d’associations, dont le NPA, le mouvement des jeunes Palestiniens, les Indigènes de la République et l’Union juive française pour la paix.

À cette heure-là, les militants du NPA agitent leurs fanions aux côtés d’un groupe informel d’une cinquantaine de personnes qui arborent drapeaux et écharpes aux couleurs de la Palestine. Ils sont présents depuis 14 heures, vite rejoints par des groupes du Mouvement Ensemble (Front de gauche), puis, plus tard, du Boycott désinvestissement sanctions, la campagne appelant à boycotter Israël.

Les militants du NPA.Les militants du NPA. © TSC/MP

Les chants de chaque groupe sont alors confus, entremêlés les uns aux autres. Et l’ambiance reste bon enfant. On entonne « Israël, il est fini le temps des colonies », du côté du NPA, et « Palestine résistance, citoyens résistance », chez les manifestants aux drapeaux. Lancés spontanément, les slogans « Nous sommes tous des Palestiniens » et « Israël assassin, Hollande complice » sont les rares à être repris en chœur par une foule qui ne cesse de croître.

La volonté affichée, qu’elle soit spontanée chez les manifestants ou réclamée par les organisateurs, est d’éviter tout amalgame. « Stop au chantage : l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme », peut-on lire sur une vaste pancarte. « Il faut dire clairement que la plupart des organisateurs et des manifestants sont des sémites aussi. En tant que démocrates, on montre notre désaccord avec le gouvernement d’Israël, mais l’on s’oppose farouchement à toutes les positions qui s’expriment contre le peuple juif », expliquait, le matin, Hedi Chenchabi, l’un des organisateurs.

Au milieu de la foule, un homme, Laurent, arbore un carton « Je boycotte Israël et j’emmerde Alain Soral ». « Je viens pour dénoncer une politique d’apartheid pratiquée par Israël, mais aussi pour couper l’herbe sous le pied de notre gouvernement qui accuse les manifestants d’antisémitisme. À défaut de pouvoir les sortir des manifs, il faut au moins se démarquer clairement de ces gens-là qui créent l’amalgame, et je le fais avec ma pancarte »,dit-il.

À 15h30, « ces gens-là », comme les présente Laurent, grimpent sur la statue de la République et allument des fumigènes aux couleurs de la Palestine. Dix minutes plus tard, ils brûlent un drapeau d’Israël. Un geste qui provoque des sifflets nourris d’une partie de la foule et des applaudissements de l’autre. Désormais plus d’une vingtaine, certains affichent le symbole du mouvement R4bia, proche des Frères musulmans égyptiens, d’autres de « Gaza Firm », un groupe encore mal identifié et mis en cause dans les violences qui ont émaillé la manifestation interdite à Barbès, il y a une semaine.

Ultraminoritaires, ils accaparent pourtant l’attention sur eux. La foule, qui était jusque-là animée par les militants traditionnels de la terrasse Évrard-Moreau, leur tourne désormais le dos pour regarder vers les hommes crapahutant sur la statue de la République. Leurs agissements divisent.

« Non, non, non, c’est honteux ! » crie une jeune femme, vite appuyée par son groupe d’amis. « Là-bas, eux brûlent nos enfants, ici, c’est juste un drapeau, c’est rien ! » lui rétorque une autre, avant que le ton ne monte. Plusieurs scènes du même type se reproduisent tout autour de la statue. 

Durant l'après-midi, ces manifestants brûlent deux drapeaux israéliens, sous les sifflets d'une partie de la foule.Durant l'après-midi, ces manifestants brûlent deux drapeaux israéliens, sous les sifflets d'une partie de la foule. © TSC/MP

À quelques mètres de là, Serge, un juif déjà présent mercredi lors de la dernière manifestation, fraternise avec des femmes voilées. Sa pancarte « Je suis juif et j’emmerde le CRIF » fait un tabac chez les jeunes, politisés ou non, qui veulent tous poser pour un selfie avec lui. Les plus âgés, souvent des femmes, lui disent simplement merci. Il relativise la scène : « Brûler un drapeau en temps de guerre, ce n’est pas si grave, j’ai déjà fait pareil à l’époque du Viet-Nam. Ce n’est pas un conflit religieux. »

© TSC/MP

Jusqu’à 16 h 30, dans cette manifestation présentée à hauts risques, c’est un calme relatif qui domine. Des manifestants parviennent enfin à ramener deux énormes enceintes sur la place. La police aurait empêché les organisateurs de faire de même en début de rassemblement. Au micro, des membres du Collectif Cheikh Yassine, un mouvement ouvertement pro-Hamas qui ne fait pas partie des organisateurs, demandent à la foule de s’asseoir. Ils tiennent le porte-voix le plus bruyant de toute la place. « C’était pas tout à fait prévu ça… », soupire un militant NPA.

Cela fait déjà plusieurs dizaines de minutes que les drapeaux des partis de la gauche radicale se font rares. De nombreux manifestants quittent alors le cortège. Parmi eux, Laurent, pancarte anti-Soral baissée : « Je cherche mes potes, j’ai failli me faire tabasser plusieurs fois par des gros bras… »

Il est bientôt 17 heures. Alors qu’une partie de la foule restante est assise à terre et écoute les nouveaux maîtres de la manifestation, quelques individus jettent des projectiles sur les CRS, rue du Faubourg du Temple. Les hommes du service d’ordre, reconnaissables à leur gilet jaune, se massent devant les policiers pour contenir un immense mouvement de foule.

Leur déploiement en cordon et leurs appels au calme sont efficaces pour éviter l’affrontement, mais pas assez pour annihiler les incidents. Jusqu’à 18h30, les CRS ripostent aux projectiles par des grenades lacrymogènes – bouteilles d’eau, canettes, cailloux, barres de fer – qu’ils reçoivent en masse, principalement à l’entrée de la rue du Faubourg du Temple et de l'avenue de la République.

Le service d'ordre s'interpose entre manifestants et CRS, avant les incidents.Le service d'ordre s'interpose entre manifestants et CRS, avant les incidents. © TSC/MP

« C’est la mentalité parisienne, quoi qu’ils fassent : interdire ou autoriser, ça partira en couille. Tu sais pourquoi ? C’est trop de frustration accumulée. Moi je la retiens, mais ces petits cons qui font n’importent quoi, non. Nous les noirs et les arabes des cités, on se sent comme des citoyens de seconde zone. Maintenant qu’on a envie de prendre la parole, on nous l’enlève », explique J.-P., un Antillais, habitant à Vitry, contemplant, médusé, avec son ami Samir, le début des échauffourées. Les deux trentenaires mettent en cause la politique du gouvernement, vécue comme une injustice.

« Demain, il y a une manifestation demandée par la Ligue de défense juive. Et là, elle est autorisée. Franchement, c’est normal ? Moi je les trouve nuls les sketches de Dieudonné, mais à force d’être interdit, comme lui, je finis par m’y intéresser. Le système m’y oblige… », poursuit-il.

Après une heure et demie de provocations de certains manifestants et de charges contenues des CRS, dans lesquelles un abribus, quelques poubelles ont été détruites, ainsi qu’un manifestant blessé, et un journaliste d’i-Télé agressé, rapporte l’AFP, les forces de police commencent l’évacuation de la place. Ils restent alors entre 500 et 1 000 personnes dans le périmètre entièrement bouclé. Seuls les femmes, les enfants et les touristes étaient autorisés à traverser les barrages policiers, les autres devant partir via la station de métro.

La configuration aérée de la place, bien différente de « la souricière policière » de Barbès décrite samedi 19 juillet, et les appels au calme des 80 membres du service d’ordre permettent d’évacuer les derniers manifestants à 19 h 30, dans une grande tension mais sans heurts majeurs. Plus de 70 manifestants ont été interpellés au cours des échauffourées aux dégâts matériels limités. Branchée sur courant alternatif toute la journée, la manifestation est définitivement terminée.

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