Après un débat très consensuel, la commission des lois de l’Assemblée nationale, présidée par le député PS Jean-Jacques Urvoas, a adopté mardi 22 juillet à l’unanimité le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve. Précipité par la tuerie de Bruxelles du 24 mai, le texte est examiné par le Parlement en procédure accélérée. Il s’agit de lutter contre les départs en Syrie. En six mois, le « nombre total de ressortissants engagés sur les théâtres djihadistes » a crû de « 56 % », passant de « 567 à 883 personnes » dont « 44 mineurs », a indiqué Bernard Cazeneuve. « La DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, ndlr) traite actuellement une soixantaine de procédures judiciaires (liées à des départs ou retours de djihadistes en Syrie, ndlr) », a ajouté le ministre.
Selon un récent rapport d'Europol, près de la moitié des 535 personnes arrêtées pour des infractions relatives au terrorisme en 2013 au sein de l'Union européenne l'ont été en France, soit 225 personnes. Parmi ces 225 personnes, 144 ont été enregistrées dans la catégorie «motivations religieuses», 77 dans celle des «séparatistes», trois «extrême-droite», un «extrême-gauche» et enfin un «divers». L'Espagne et le Royaume-Uni arrivent loin derrière avec respectivement 90 et 77 interpellations au total en 2013.
Le projet de loi prévoit le blocage administratif de sites, des interdictions administratives de sortie du territoire et une nouvelle incrimination d’« entreprise individuelle terroriste ». Alors que le texte – le quinzième en matière d’antiterrorisme depuis 1986 et le deuxième depuis l’arrivée au pouvoir des socialistes – suscite de nombreuses critiques, la commission des lois a surtout été le théâtre d’une surenchère d’amendements sécuritaires entre le PS et l’UMP. Plusieurs amendements du rapporteur du texte, le député PS Sébastien Pietrasanta, renforçant le texte, ont ainsi été adoptés. Ce qui a réjoui la droite dure. « Vive les conversions même quand elles sont tardives », a lancé le député UMP Alain Marsaud, ancien chef du parquet antiterroriste de Paris. Tandis que le corapporteur UMP Guillaume Larrivé rappelait avec malice qu’en 2006 les députés PS, alors dans l’opposition, s’étaient abstenus lors du vote de la loi antiterroriste présentée par Nicolas Sarkozy.
Les principales critiques portent sur la possibilité pour l’administration de bloquer des sites « provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie » sans passer par un juge. Selon le Conseil national du numérique, dont l’avis rendu le 15 juillet est consultatif, ce dispositif, calqué sur celui permettant déjà de bloquer les sites pédopornographiques, est « techniquement inefficace », « inadapté » aux enjeux du recrutement djihadiste et ne fournit pas suffisamment de garanties de protection de la liberté d'expression. « Le nombre de sites de recrutement se limite à une fourchette comprise entre une dizaine et une centaine, selon les experts, indique le Conseil du numérique. Au regard de ces chiffres, le risque de surcharge des tribunaux parfois évoqué n’est pas caractérisé. » Il pointe « un risque réel de dérive vers le simple délit d’opinion » car « contrairement aux dispositions relatives à la pédopornographie, (…) la qualification des notions de commission d’actes terroristes ou de leur apologie prête à des interprétations subjectives ».
Cette inquiétude est partagée par la « Commission de rélfexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique », composée à parts égales de députés et de personnalités qualifiées (dont Edwy Plenel, directeur de Mediapart, qui explique ici ses objectifs). Dans un avis du 21 juillet, elle souligne la difficulté en l’absence de juge de tracer une frontière « entre la provocation au terrorisme et la contestation de l’ordre social établi ». Les deux organismes rappellent également les risques de surblocage, c’est-à-dire le blocage de contenus légaux autres que ceux visés, car « 90 % des contenus de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme semblent se situer sur des réseaux sociaux ou des plateformes de partage de vidéos comme YouTube ou Dailymotion », note la commission numérique.
Il existe certes une solution technique qui permettrait d'affiner le blocage, mais celle-ci est encore plus attentatoire aux libertés individuelles… « Les opérateurs n’opèrent le blocage qu’au niveau du nom de domaine (DNS), éventuellement au niveau du sous-nom de domaine, explique le Conseil national du numérique. Tout blocage plus fin (notamment par URL) exigerait des développements techniques plus importants et nécessiterait d’avoir recours aux techniques de deep packet inspection (DPI), particulièrement attentatoire au secret des correspondances. » Ce produit d'interception massive a notamment été développé par la société française Qosmos grâce à un contrat avec la Syrie du dictateur Bachar al-Assad, commeMediapart l'a raconté.
Devant les députés mardi, Bernard Cazeneuve s’est dit « parfaitement conscient des réserves que suscite ce dispositif » et prêt « à rechercher ensemble toutes les solutions pour éviter le surblocage ». Les députés ont ainsi adopté un amendement du rapporteur du texte Sébastien Pietrasanta (PS) prévoyant que l’administration demandera d’abord à l’éditeur du site, ou à défaut, à son hébergeur, de retirer un contenu illicite. « Ce n’est qu’en l’absence de retrait dans un délai de vingt-quatre heures que l’autorité administrative pourra faire procéder au blocage du site par les fournisseurs d'accès Internet », précise l’amendant.
Pas question en revanche de revenir sur le principe d’un blocage administratif. « Le juge des libertés individuelles n'est pas le juge du blocage internet. Ce n'est pas son rôle », a tranché le ministre de l'intérieur. « Pourquoi l’État serait-il capable d’interdire une manifestation, un spectacle, voire la parution d’un journal et pas d’une page internet ? », a de son côté argué Sébastien Pietrasanta. Le rapporteur a proposé qu’une personnalité qualifiée, désignée par la Cnil, ait pour mission de vérifier que les contenus bloqués « sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ».
Par ailleurs, le débat s’est focalisé sur la définition du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle. Plusieurs députés UMP souhaitaient que le texte reste « le plus flou possible », selon l’expression de Claude Goasguen, pour ne pas donner d’armes aux avocats des prévenus. « On se complique la vie, a jugé le député UMP Jacques Myard. On va passer entre les gouttes. Il vaut mieux faire confiance à la justice. » « Sans vouloir faire de mauvais esprit, je me félicite de voir que vous faites confiance aux juges », a ironisé Jean-Jacques Urvoas, qui s’est prononcé en faveur d’un texte « plus précis ».
Selon l’amendement de Sébastien Pietrasanta finalement adopté hier soir, la préparation d’un acte terroriste devra donc être caractérisée par au moins deux éléments matériels. Le premier sera « le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». Le second devra être pioché dans une liste : surveillance d’un lieu ou de personnes, entraînement au maniement des armes, utilisation de substances explosives ou incendiaires, ou pilotage d’aéronefs.
Avec cette nouvelle incrimination qui pousse encore plus loin le concept de justice préventive, le rapporteur PS s’est défendu de porter un texte « liberticide ». « Non, nous n’entrons pas dans l’ère de Minority Report, ce fameux film de Spielberg où la société du futur a éradiqué le crime en se dotant d’un système de prévention/détection/répression le plus sophistiqué au monde grâce aux extralucides », a assuré Sébastien Pietrasanta. De son côté, le ministre de l’intérieur a reconnu ne pas croire « au concept de loup solitaire », tout en citant deux cas qui justifieraient ce nouveau délit, celui d’un jeune militaire d’extrême droite qui avait reconnu son projet de tirer sur une mosquée de Vénissieux et celui d’un jeune homme radicalisé qui, en mai 2013, avait poignardé des militaires à La Défense.
Sur les interdictions administratives de sortie du territoire, le corapporteur UMP Guillaume Larrivé s’est même payé le luxe de retirer un de ces amendements au profit de celui de son collègue socialiste, jugé « plus dur au regard du respect des libertés ». Il s’agit d’ajouter la confiscation de la carte d’identité à celle du passeport, pour empêcher le départ de candidats au Djihad vers des pays comme la Tunisie ou la Turquie qui n’exigent que la carte d’identité des ressortissants français. Estimés à 200 par le ministère de l’intérieur, les intéressés se verront remettre… un récépissé à la place de leur carte d'identité. Seule la député MRC Marie-Françoise Bechtel a émis quelques doutes sur cette « mesure extrêmement grave », de nature à discriminer les porteurs du récépissé « dans tous les actes de la vie quotidienne, y compris l’ouverture d’un compte bancaire ».
Autre durcissement, les députés ont adopté un amendement du rapporteur PS prévoyant d’étendre le délit de provocation au terrorisme aux propos privés, afin de pouvoir sanctionner « les propos tenus soit dans des cercles de réunion privés, par exemple dans le cadre de prêches formulés dans des lieux non ouverts au public, soit sur des forums internet privés ou des réseaux sociaux dont l’accès n’est pas public ».
Au passage, Sébastien Pietrasanta et Jean-Jacques Urvoas en ont profité pour faire adopter un amendement permettant à l'administration pénitentiaire de recueillir «directement et par tout moyen technique» les données de connexion (numéro appelé, appelant, heure, date, etc.) des détenus ayant un téléphone clandestin. Et sans contrôle ni autorisation préalable d'un juge. Seule la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui contrôle déjà les interceptions de sécurité, aura un droit d'accès permanent à sur ce dispositif et pourra effectuer des « recommandations » au ministre chargé de l’administration pénitentiaire… Heureusement pour les détenus, le nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la socialiste Adeline Hazan, s'est récemment prononcée en faveur de l'autorisation des téléphones portables en détention.
Pour ne pas être en reste, les députés UMP avaient eux déposé deux amendements punissant « le fait, pour tout citoyen français, d'aller combattre hors de France sans l'autorisation expresse des autorités françaises » d'une peine de cinq ans de prison, ainsi que « la déchéance des prestations sociales de toute nature » pour les personnes se rendant « à l’étranger dans le but de participer à des activités terroristes ». Ils ont été écartés hier. « Les prestations sociales sont versées sous conditions de résidence stable sur le territoire », a balayé Bernard Cazeneuve. À l'heure du tir à vue sur les réseaux sociaux et Internet, la foire aux propositions était d'ailleurs ouverte : la députée UMP Nathalie Kosciusko-Morizet a remis sur le tapis la sanction de la « consultation habituelle ou répétée de sites faisant l'apologie du terrorisme », tandis que son collègue François Vannson a proposé d'interdire les pseudos sur Internet !
« Alors que la commission des lois avait l'opportunité de corriger les dispositions inadmissibles de ce projet de loi, présentées au nom de la lutte contre le terrorisme, les députés viennent au contraire de les aggraver », a réagi Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de la Quadrature du Net. La discussion du texte se poursuivra à l’Assemblée nationale à la mi-septembre. Jusqu'ici, « la quasi-totalité des lois successivement adoptées pour lutter contre le terrorisme ont été soumises au Conseil constitutionnel », souligne l'étude d'impact du projet de loi. Ce qui risque de ne pas être le cas pour ce texte, car on voit mal le groupe d'opposition UMP, favorable au projet de loi, saisir le Conseil constitutionnel.
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