Désordre républicain, nouvel acte. Au lendemain d'une manifestation parisienne ayant dégénéré dans un quartier Barbès transformé en souricière policière (lire ici notre reportage), la journée de dimanche n'aura guère fait retomber en France la tension liée à l'intervention israélienne dans la bande de Gaza. Une journée entamée par un coup de menton de Manuel Valls assumant l'interdiction des manifestations de soutien à la cause palestinienne, et se terminant par l'autorisation d'un défilé mercredi prochain, à Paris, par la préfecture de police.
C'est le premier ministre lui-même qui a tenu à rebondir sur l'actualité de la veille, qu'il avait il est vrai délaissée pour cause de Tour de France. Profitant de son discours de commémoration de la rafle du Vél d'Hiv (lire ici en intégralité), Manuel Valls a assumé sa volonté « d'être à la hauteur » dans sa « lutte sans relâche contre l'antisémitisme sous toutes ses formes ». « Il n’y a pas à tergiverser, analyser, à débattre, a-t-il expliqué. Il nous faut d’abord agir, éduquer, rappeler, partager mais aussi sévir et, si nécessaire, interdire au nom même de l’ordre républicain, de l’autorité nécessaire pour rappeler nos valeurs. »
Pour l'ancien « premier flic de France » devenu chef de la majorité au pouvoir, « ce qui s’est passé hier encore à Paris, des débordements inacceptables, justifie d’autant plus le choix qui a été fait, avec courage, par le ministre de l’intérieur, d’interdire une manifestation ». Avec le même talent pour le diagnostic autoréalisateur, on pourrait également conclure que les préfets qui ont décidé d'autoriser les autres manifestations en province ont eu raison de le faire, puisqu'il n'y a pas eu le moindre problème…
Mais pour Manuel Valls, la réalité semble être un art tout à fait personnel. Ainsi quand il décrit, en référence aux manifestations d'il y a une semaine, qu'il y a eu une « volonté de s’attaquer à ce qu’est une synagogue, c’est-à-dire un lieu de paix, en voulant, au fond, au nom d’un conflit qui a lieu à des milliers de kilomètres, mettre de nouveau les Juifs hors de notre territoire national ». Une version pourtant largement nuancée par le rabbin de ladite synagogue, rue de la Roquette, Serge Benhaïm, selon qui « pas un seul projectile (n'a été) lancé sur la synagogue », et qui estime qu'« à aucun moment, nous n’avons été physiquement en danger » (voir la vidéo sur le site d'i-Télé et notre article sur les intox de la semaine passée).
Qu'importe, le jugement du premier ministre sur les manifestants dénonçant la situation à Gaza est clair et net : « Une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa "haine du Juif" derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël. » Circulez…
Dimanche après-midi, une manifestation à Sarcelles, également interdite, s'est transformée en rassemblement pacifique et statique, où les appels au calme ont été nombreux de la part du collectif d'habitants et des partis organisateurs. Malgré tout, après la dispersion du rassemblement, des heurts ont à nouveau opposé une centaine de jeunes avec la police et fait de nombreux dégâts dans le mobilier urbain. Contrairement à une "alerte" du Figaro, rectifiée par la suite, la synagogue n'a pas été incendiée, mais des affrontements ont eu lieu à proximité avec les CRS, tandis que la Ligue de défense juive (LDJ), groupuscule d'extrême droite déjà impliqué dans les échauffourées non loin de la synagogue de la rue de la Roquette, rôdait également dans les environs, afin de « sécuriser » le quartier (voir le récit de Dominique Albertini sur Twitter, journaliste de Libération présent sur place). Bilan : deux voitures incendiées, et surtout, une épicerie casher de la ville et une pharmacie ont été brûlées. Le calme est revenu dans la soirée.
En fin d'après-midi, à Paris, un impressionnant dispositif policier a été déployé rue des Rosiers, après que la même LDJ a alerté de la possibilité de troubles, dans cette rue emblématique de la communauté juive de la capitale. Mais au bout de trois heures, aucun élément n'est venu confirmer les craintes de la milice de « protection des Juifs », qui a pourtant sillonné abondamment le quartier (voir le récit de Maud Vallereau sur Twitter, journaliste de Métro présente sur place).
En dépit de l'intransigeance affichée par Manuel Valls, la préfecture de police (PP) a autorisé ce dimanche une nouvelle manifestation parisienne pour mercredi. La raison de son revirement tient au fait que les organisateurs seraient plus « responsables », selon les termes de la PP. À Metronews, elle déclare, à propos de la manifestation de samedi : « Leur dossier n'était pas assez solide, notamment parce que leur service d'ordre n'était pas assez sérieux. » En réalité, le « Collectif national pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens » a l'avantage d'être bien plus large que le périmètre des organisateurs actuels, d'être mieux connu des services de police, et plus "pondéré" (ils ont déjà organisé un modeste rassemblement mercredi dernier aux Invalides). Tous les grands partis politiques de gauche (hormis le PS) et la CGT en font partie. Le tracé retenu, République-Opéra, semble aussi contenter la préfecture, qui n'aurait pas trop de lieux religieux juifs à sécuriser.
L'engagement de nouvelles organisations dans les mobilisations pro-palestiniennes rassurent également les organisateurs des deux précédentes manifs, conscients du nombre insuffisant de militants capables d'assurer le service d'ordre de cortèges imposants, même quand ils sont interdits. Ceux-ci espèrent également pouvoir compter sur eux pour confirmer la tenue d'une manifestation nationale, samedi prochain, place de la République (où certains ont prévu de se rassembler quotidiennement, à 18 heures, pour sensibiliser les passants).
Réunis lors d'une conférence de presse ce dimanche en début d'après-midi (« il fallait faire vite pour ne pas laisser la version gouvernementale se propager »), les organisateurs ont vivement fait connaître leur émoi devant le discours de Manuel Valls. « Des paroles scandaleuses », estime Michèle Sibony, de l'Union des juifs français pour la paix (UJFP). « À l'entendre, ceux qui luttent pour leur survie à Gaza sont des terroristes et ceux qui les soutiennent en France sont des antisémites ! », s'indigne-t-elle, avant de signaler au premier ministre que, régulièrement, des manifestations de juifs ultra-orthodoxes et antisionistes se tiennent à New York ou Londres. « Sont-ils antisémites ? », s'agace-t-elle. Omar Al Soumi, du Mouvement des jeunes palestiniens (PYM), s'est quant à lui adressé gravement à François Hollande. « Les massacres à Gaza sont aujourd'hui conduits avec le blanc-seing du gouvernement français, s'est-il exclamé, et en plus vous voulez nous interdire de manifester ? Ceux qui veulent user d'un droit démocratique fondamental ne céderont pas à vos menaces. »
Tous ont tenu à revenir sur les événements de la veille, à Barbès. Pour rejeter la responsabilité des affrontements sur les autorités, qui ont, selon Youssef Boussoumah du Parti des indigènes de la république (PIR), « laissé s'organiser délibérément ce pataquès ». Lui et ses camarades assument de s'être malgré tout rendus à Barbès, ce samedi. « On avait de toute façon des échos que la manif allait se faire, cela ne nous laissait aucun doute, explique Boussoumah. D'abord en raison de la situation à Gaza, ensuite parce que les gens sont ulcérés de la semaine passée, du traitement médiatique de la dernière manif, et enfin à cause de l'interdiction (lire ici). Contester un gouvernement despotique est un devoir citoyen, depuis la révolution française. » « Malheureusement, les organisations n'étaient pas assez nombreuses, concède Alain Pojolat, du NPA. Mais les conditions étaient les meilleures possibles, au vu du traquenard dans lequel nous nous trouvions. »
Pendant et après la conférence de presse, plusieurs expliquent avoir eu une oreille réceptive de leurs interlocuteurs parmi les forces de l'ordre, avant que la situation ne dégénère. « On leur a proposé d'aller jusqu'à la porte de Clignancourt. » Soit dans une zone tout au nord de la ville, guère problématique, a priori. « Ils étaient d'accord, dit un militant du NPA présent dans les discussions, mais après avoir échangé avec la préfecture, c'était niet. » « Au nom “d'ordres stricts”, nous a-t-on dit », complète Alain Pojolat, du NPA, pour qui « les provocations auraient pu être gérées si l'on nous avait donné les moyens de le faire, en autorisant la manif. »
Maître Hosni Maat, l'avocat des organisateurs, redoute que l'on n'entre dans un « registre politique désormais et non plus uniquement judiciaire », concernant les interpellés de samedi, pour lesquels il craint une comparution immédiate, « avec de lourdes peines à la clé ». Par cette interdiction, « on veut empêcher Juifs et Arabes de pouvoir défiler ensemble, main dans la main », enfonce-t-il, aux côtés de Michèle Sibony de l'UJFP. Entre eux deux, Youssef Boussoumah redoute que l'on ne glisse progressivement vers « une criminalisation du soutien à la Palestine ».
Les organisateurs accusent enfin les forces de l'ordre d'avoir commis des « violences policières » et entendent recenser les témoignages et vidéos filmées au smartphone par les participants. « On en reçoit des centaines », assurent-ils. Ils évoquent un tir de Flashball dans le dos (« sur un homme en fuite »), parlent de « manifestants pacifiques interpellés jusque dans des magasins ou des halls d'immeuble », et montrent une vidéo d'un handicapé en fauteuil malmené par des policiers en civils.
D'ores et déjà, ils évoquent une requête qui devrait être déposée rapidement devant l'inspection générale de la police (IGPN), pour demander les enregistrements de la vidéosurveillance d'une supérette, et « prouver un usage disproportionné de la force ». Tarek Beniba, militant d'une association franco-tunisienne et membre d'Ensemble ! (Front de gauche), indique aussi avoir été contacté par le commissariat des droits de l'Homme de l'ONU, « inquiété par le déroulement des événements de samedi ».
Côté préfecture de police, on semble pourtant satisfait, ainsi qu'indiqué à Metronews : « Nous avons rempli nos objectifs. La principale mission était d'éviter des affrontements entre les pro-Palestiniens et les Juifs. Toutes les synagogues de Paris sont d'ailleurs restées ouvertes. Et nous avons même suivi des groupes de casseurs pour les empêcher de se rendre dans le quartier juif de la capitale. » Voici les motivations du préfet pour interdire la manifestation, ainsi détaillées dans l'ordonnance du jugement du tribunal administratif, confirmant la décision des autorités appuyée par le gouvernement (télécharger ici l'ordonnance)…
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