Vos signatures nous ont aidés. Le succès rencontré par l’appel « Nous avons le droit de savoir » commence à porter ses fruits. Lancé le 11 juillet par plus de cinquante titres de presse et organisations de défense des libertés, cet appel a été signé aujourd’hui par plus de 52 000 personnes. C’est un nombre très important, particulièrement pour ce type d’appel, et qui dit l’émotion, l’indignation ou l’inquiétude provoquée par la censure ordonnée par la cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 4 juillet. Censure, puisque nous avons dû supprimer de notre site 72 articles, fichiers audio et vidéo citant les enregistrements Bettencourt (ici, la liste des articles censurés).
Appuyés sur la mobilisation d’un tel nombre de signataires – dont une centaine de parlementaires de tous les partis à l’exception du FN et de l’UMP –, Reporters sans frontières et Mediapart ont décidé de relancer cet appel en interpellant le gouvernement et tout particulièrement la ministre de la culture et de la communication.
Vendredi matin, nous avons donc apporté au ministère de la culture le texte de l’appel « Nous avons le droit de savoir » et la liste complète des signataires. En version papier, quitte à remplir un lourd carton de plusieurs rames de papier A4. Et surtout en version numérique. Une clé USB a ainsi été remise à la ministre Aurélie Filippetti, qui contient l’appel, la liste des signataires, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, et le dossier intégral des 72 articles censurés.
Lucie Morillon, pour Reporters sans frontières, Edwy Plenel et François Bonnet pour Mediapart ont été reçus dans un premier temps par Clarisse Mazoyer, conseillère de la ministre pour les questions de presse et du livre. Aurélie Filippetti nous a ensuite rejoints pour un échange approfondi sur cette décision de justice sans précédent et sur les questions de la liberté de l’information à l’heure de la révolution numérique.
Au total, ces discussions ont duré un peu plus d’une heure, le ministère ayant visiblement fait le choix de prendre en considération nos explications, protestations et propositions. De ce point de vue, c’est bien le succès rencontré par cet appel commun (à retrouver également sous l'onglet Prolonger) qui nous a permis d’alerter et d’interpeller la ministre sur la gravité de la décision de justice de Versailles et les conséquences de son application.
Dès le 5 juillet, nous avions contacté le ministère pour obtenir une réaction, comme nous l’avions fait pour de nombreux responsables politiques (notre article à lire ici). Tandis que des parlementaires se disaient inquiets ou choqués par l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, certains appelant à une adaptation de la loi aux nouvelles réalités de l’information numérique, le ministère de la culture n’avait pas souhaité réagir et s’exprimer. Plusieurs relances les jours suivants n’avaient pas plus permis de briser ce mur de silence.
C’est donc en annonçant au cabinet de Mme Filippetti que, dans tous les cas, nous viendrions remettre au ministère le texte de l’appel et la liste des 52 000 signataires, ces derniers étant nombreux à nous demander de donner une suite à leur engagement, que ces deux rendez-vous ont pu être obtenus ce vendredi matin.
Ils auront permis de clairement informer la ministre et, à travers elle, les pouvoirs publics, sur la dimension toute particulière de cette affaire. Nous avons donc rappelé combien cet arrêt versaillais, par sa généralité et son ignorance des spécificités de l’information numérique, organisait la plus grande censure jamais intervenue en France depuis la naissance d’Internet.
Lucie Morillon, pour RSF, a ainsi pu préciser que le dossier censuré des articles Bettencourt était désormais relayé par RSF et disponible sur le site Wefightcensorship.org (Nous combattons la censure), un site d’ordinaire réservé aux travaux de journalistes censurés en Biélorussie, en Chine ou au Turkménistan. « C’est le premier contenu français que nous accueillons sur ce site, nous espérons bien que ce sera le dernier. La disproportion de cette condamnation incite de fait les journalistes à l’autocensure sur les sujets touchant à la sphère privée, comme les conflits d’intérêts, les trafics d’influence ou les abus de biens sociaux », a-t-elle insisté (lire ici le communiqué de RSF).
Pour Mediapart, nous avons d’abord souligné que le tuteur légal de Liliane Bettencourt et, à travers lui la famille Bettencourt, avait choisi de ne pas faire exécuter cette décision judiciaire. Que Patrice de Maistre (lire ici un portrait), sous le coup d’une cascade de mises en examen, pouvait difficilement arguer du droit à la vie privée au vu de la gravité des infractions à la loi commune que révèlent ces enregistrements, par ailleurs acceptés comme ayant valeur de preuves dans la demi-douzaine d’informations judiciaires en cours.
Mais au-delà de ce débat sur les équilibres entre droit au respect de l’intimité de la vie privée et droit d’informer le public sur des questions d’intérêt public, nous avons souligné quelques aspects particulièrement graves de cette décision. D’abord l’ignorance complète du travail journalistique effectué et du choix fondamental fait dès le premier jour de ne retenir de ces vingt et une heures d’enregistrements que ce qui relevait de l’intérêt général : fraude fiscale, financements politiques, trafic d’influence, pressions sur la justice.
Ensuite, le caractère sans précédent d’une censure qui n’efface pas seulement les archives d’un journal numérique mais interdit à ses journalistes de continuer à informer dans l’avenir sur les procédures en cours. Car cette interdiction de toute citation des enregistrements vaut également pour le futur, nous empêchant de fait de couvrir correctement les enquêtes judiciaires en cours et les procès à venir (Éric Woerth et Patrice de Maistre sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour trafic d’influence).
Enfin, Edwy Plenel a rappelé que, depuis novembre 2008, Mediapart et RSF demandaient une vaste refonte de la législation sur la presse qui permettrait par une grande loi sur l’information d’intégrer les nouvelles pratiques et les nouveaux usages nés de l’Internet. Nous avions alors lancé l’Appel de la Colline (il est à lire ici) qui affirmait : « Sans information libre sur la réalité, ambitieuse dans ses moyens et pluraliste dans ses fins, il ne saurait y avoir d'authentique délibération démocratique. »
Nous avons rappelé à Mme Filippetti que la France accusait de sérieux retards en matière de droits des citoyens à être librement informés. Cela vaut en matière d’accès rapide aux documents administratifs, les avis seulement consultatifs de la Cada (commission d’accès aux documents administratifs) étant régulièrement ignorés par les administrations ou les structures du pouvoir exécutif. Cela vaut en matière de protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens à les alerter et à les informer. Cela vaut également en matière d’égalité de traitement de la presse numérique et de la presse imprimée, de façon à éviter toute discrimination stigmatisante d'Internet. Enfin, nous demandons une reconnaissance à part entière de la place des lecteurs en tant que commentateurs, contributeurs et blogueurs.
La ministre de la culture Aurélie Filippetti a donc pris bonne note de ces explications. S’interdisant de commenter une décision de justice, elle a pu constater la gravité et l’ampleur des problèmes créés par cet arrêt de la cour de Versailles, se disant prête à réfléchir aux évolutions possibles en matière de législation. Pour notre part, et sans attendre l’examen – dans plusieurs mois – du pourvoi que nous formons devant la Cour de cassation, nous entendons continuer à faire vivre l’appel « Nous avons le droit de savoir » dont la portée va d’ailleurs bien au-delà de la seule affaire Bettencourt.
C’est ce droit de savoir de tous les citoyens qu’il convient aujourd’hui de renforcer et d’élargir. Avec RSF, nous vous invitons donc à faire signer cet appel, à le faire circuler, et nous réfléchissons, d’ores et déjà, à une grande soirée publique de mobilisation en septembre. Merci de votre soutien.
PROLONGER Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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