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Un jeune Rom lynché: «Dans ce quartier, le dialogue, c'est le sang»

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Dans le quartier des Poètes à Pierrefitte-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, l’insoutenable agression d’un jeune Rom, retrouvé inconscient, vendredi 13 juin, dans un caddie sur un parking, après avoir été enlevé, séquestré et battu, ne provoque pas la consternation générale. Mardi 17 juin, il demeurait dans le coma, entre la vie et la mort.

Le corps du jeune Rom a été retrouvé à quelques mètres de là, en bordure de la cité des Poètes à Pierrefitte.Le corps du jeune Rom a été retrouvé à quelques mètres de là, en bordure de la cité des Poètes à Pierrefitte.

Séquestration, lynchage, coma, pronostic vital engagé : l'état de santé et ce qu'a enduré le jeune homme ne produisent pas systématiquement de condamnations. Ou alors entremêlées d’excuses envers les auteurs des violences. Entre les tours en rénovation et les immeubles en construction, le corps a été abandonné près de la nationale 1 qui sépare, à cet endroit, une zone pavillonnaire – où se trouvait le squat dans lequel la victime et sa famille vivaient depuis quelques semaines – d’une cité paupérisée aux noms de rue chantant où résident plus de 3 000 personnes.

Lors de la kermesse organisée samedi matin par le groupe scolaire, entouré de grues, de terrains vagues et de préfabriqués, les langues ont commencé à se délier. Mais l’information n’est devenue publique que lundi soir, lorsque les télévisions et les radios ont diffusé les premières déclarations policières : le jeune homme est âgé de 16 ans, emmené à l’hôpital, il est entre la vie et la mort. Des habitants seraient en cause.

« Un groupe de plusieurs personnes est venu le chercher dans le campement et l’a emmené de force », a indiqué une source policière à l’AFP. L’adolescent aurait alors été conduit dans une cave, où ses agresseurs l’auraient violemment frappé. « Une douzaine de personnes » auraient participé à ce lynchage. La suite, dans la dépêche d’agence, vient assez vite, s’apparentant à un début d’explication, voire de justification : l’adolescent serait « soupçonné de cambriolage ».

Selon le ministère de l’intérieur, qui a condamné ce passage à tabac « avec la plus grande fermeté », vendredi, vers 17h30, des hommes armés auraient fait irruption sur le terrain illégalement occupé. Après avoir enlevé le jeune homme, en représailles à un supposé vol dans un appartement de la cité, ils auraient, à 20 heures, contacté sa mère pour demander une rançon. Celle-ci aurait appelé les policiers vers 22h30. L’adolescent aurait été découvert une heure plus tard, « inconscient et souffrant de multiples fractures » et conduit à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, avant d’être transféré à Lariboisière à Paris.

Dans un communiqué, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, assure que « la police judiciaire est totalement mobilisée pour rapidement faire toute la lumière sur cette affaire ». En milieu de journée, mardi, la victime était toujours dans le coma, « dans un état stationnaire ». François Hollande a exprimé son « indignation », déplorant des actes « innommables et injustifiables ».

Le terrain sur lequel la famille de la victime s'était installée depuis quelques semaines.Le terrain sur lequel la famille de la victime s'était installée depuis quelques semaines.

Plus tôt dans la matinée, la maison squattée était fermée à double tour. Ses occupants, entre cent et deux cents personnes, principalement des Roumains arrivés progressivement au cours des derniers mois, sont partis, apeurés, après le drame. Sur l'emplacement d'à côté, un carrossier, en bleu de travail, est en train de faire tourner des moteurs. Il se présente comme celui qui a découvert le corps recouvert d'hématomes. Mais il redoute d'en dire plus, effrayé par les représailles que pourraient lui valoir son témoignage.

Le carrossier installé à côté de l'ex-campement.Le carrossier installé à côté de l'ex-campement.

Ciel bas, grisaille, le secteur semble aux mains des ouvriers de chantier. Depuis un échafaudage, l’un d’entre eux accepte de répondre aux questions. C’est vite fait. Il n’a rien vu. « On arrête à 17 heures, le corps a été retrouvé après », dit-il en remettant son casque sur ses oreilles.

Une dame tient son chien en laisse. Elle a vu un attroupement vendredi soir. Mais elle ne fait que ressasser ce qu’elle a entendu sur les ondes : « D’après les médias, le Rom aurait commis des vols. Moi je n’en sais rien, je ne peux pas dire. Mais c’est vrai qu’ils sont sales, ils fouillent dans les poubelles et ils sentent mauvais. Allez voir par vous-mêmes, ils font leurs besoins derrière les talus. » « Les gens commençaient à s’en plaindre. Ils se sont faits justice eux-mêmes », assène-t-elle, pas plus impressionnée que ça. « En général, ils se battent entre eux. Il y a sans arrêt des bagarres entre bandes rivales. C’est chaud. Il n’y a pas longtemps, ils se sont même tirés dessus. » « Les policiers ne viennent plus par ici, pourtant il y en aurait des choses à faire, entre les trafics de drogue et les règlements de compte pour vol de voiture. » 

Retraitée, elle est née à Pierrefitte. Elle raconte l’évolution du quartier. Blanche, elle, parle d’une cité « cosmopolite ». « Il y a de tout ici, toutes les nationalités sont représentées. » « C’est malheureux cette histoire, mais je comprends les jeunes quand même, ils sont en colère. Moi, les Roms, ils ont voulu me voler mon chien », indique-t-elle, confortée par les propos du maire PS de la ville, Michel Foucade, qui a répété aux médias que la victime avait été interpellée à plusieurs reprises début juin. Plusieurs voitures du quartier ont eu leurs vitres cassées et des cambriolages ont été signalés, a-t-il insisté, faisant implicitement le lien entre ces faits et le lynchage.

« Le jeune homme était certes connu des services de police, mais on ignore pour quelle raison », nuance le ministère de l’intérieur qui affirme ne pas avoir connaissance de plaintes visant spécifiquement les familles du squat concerné.

En bas de chez lui, un homme d’une quarantaine d’années est courbé sous le capot ouvert de sa voiture, surpris en pleine réparation. Il ne veut pas donner son prénom, inquiet lui aussi d'éventuelles représailles. « Appelez-moi Mehdi, si vous voulez », ajoute-t-il. Il ne prend pas la peine de se renseigner sur l’état de santé du jeune homme. « Si les gars du quartier lui ont fait ça », dit-il, « c’est qu’il a dû faire quelque chose de grave. Faut voir ce qu’il a fait, mais c’est sûr, c’est grave. » Pour lui, il ne fait aucun doute que ces nouveaux voisins étaient malhonnêtes. « Ils volaient des fenêtres, du métal sur les chantiers. » Il n’a pas de preuve. « C’est en tout cas ce que disent les ouvriers, ça ne peut être que les Roms. » « Un de mes voisins s’est fait siphonné son gasoil, alors qu’il doit prendre sa voiture à 5 heures du matin pour partir travailler. Un autre, qui a une voiture sept places, a été dépouillé de cinq de ses sièges. C’est sûr, c’est les Roms. »

Le parking sur lequel a été retrouvé le caddie à l'abandon.Le parking sur lequel a été retrouvé le caddie à l'abandon.

 

Il désigne deux femmes, fichu multicolore sur la tête et jupe longue à volant : « Vous voyez, elles fouillent dans les poubelles. Comme on est là, elles ramassent, mais sinon, elles laissent traîner les détritus derrière elles. » Cet habitant est locataire, il affirme payer de plus en plus cher son loyer « à cause des travaux ». « Nous, les locataires, on est montrés du doigt, se plaint-il. Les bailleurs disent qu’on est sale, qu’on ne s’occupe pas de notre environnement, mais c’est eux, les Roms, qui passent et salissent tout. »

De lui-même, il glisse des Roms à la rénovation urbaine. « Notre cadre de vie est dégradé. Ces travaux, on n’en peut plus. Ça fait dix ans que ça dure. Ils ne font que construire, construire. Qui va vouloir s’installer là ? » Dans le quartier, les commerces sont inexistants. En tout cas invisibles. À part l’école primaire, la maternelle et un centre social, aucun service public. Deux restaurants bordent la nationale. Leurs clients sont des routiers, pas les habitants de la cité des Poètes. « Il y a un mois, j’ai prévenu la police municipale de l’installation de ces Roms, mais ils ont répondu qu’ils ne pouvaient rien faire, regrette-t-il, car le terrain appartenait à un particulier. »

« Quand ces gens-là s’incrustent, poursuit l’homme, il faut s’attendre à de graves désagréments. » Un de ses voisins s’arrête pour discuter. Il n’est pas du même avis.

– Il ne faut pas généraliser, ils ne sont pas tous comme ça. Ils l’ont lynché, le mec, il est presque mort quand même.

– C’est sûr, ils auraient pu s’en tenir à une tannée correcte.

– Et puis, on ne sait même pas ce qu’il a fait ce jeune.

– Mais les odeurs, ça ne te choque pas ? T’as vu où ils font leurs besoins ? Ils laissent des excréments partout. Et puis ils ramènent des maladies, la typhoïde, l’hépatite B. 

– C’est sûr, mais y’a plus personne dans ce quartier pour aider personne. La violence aveugle, ce n’est pas la bonne réponse. Tout le monde est en colère. Le chômage, la délinquance, tout n’est pas de leur faute quand même. Regarde, mon voisin qui m’a tailladé le bras à coups de machette. Le dialogue, dans ce quartier, c’est le sang. Ici, on cogne et puis après on parle. Je veux me casser d’ici.

– Ne parle pas comme ça, les médias, après, ils salissent notre quartier. C’est sûr, y’a rien ici, mais les gens sont solidaires, les jeunes sont respectueux. Quand les ascenseurs sont en panne, ils aident à monter les paquets.

Un élu communiste en visite à la cité des Poètes.Un élu communiste en visite à la cité des Poètes.

Élu communiste dans l’opposition, Farid Aïd passe dans le coin. Il condamne le lynchage sans tergiverser. Mais il ne veut pas risquer de se mettre à dos les habitants. « Les gens sont livrés à eux-mêmes. Certains sont racistes, le plus souvent sans le savoir étant donné leurs origines, mais ce n’est pas la majorité. J’ai dû rappeler à des Algériens la manière dont étaient traités les habitants des bidonvilles de Nanterre. Dans les années 1950 et 1960, les voleurs, c’était les Arabes. Maintenant c’est les Roms. L’État doit réagir. Ce sont des êtres humains quand même. »

Le conseiller municipal montre l’école primaire à côté : « Il y a une semaine, il y a eu une réunion de quartier dans cet établissement. Le maire est venu. On a parlé des Roms. Le maire a dit qu’il ne pouvait rien faire. Les gens se sentent abandonnés. » Selon lui, il y aurait pourtant des choses à faire : aller au devant des nouveaux venus, leur expliquer comment fonctionne le quartier, faire se rencontrer les uns et les autres.

En Seine-Saint-Denis, où les campements, et les expulsions, sont nombreux, il arrive qu’une forme d’entraide naisse avec les riverains, y compris issus des quartiers populaires. Dans le cas présent, le lien ne s’est manifestement pas fait. Ou n’a pas eu le temps de se faire. Arrivées depuis peu, les familles n’étaient pas prises en charge par les services sociaux. Les voisins, bénévoles, militants et autres bonnes volontés ne s’étaient pas encore rendues sur les lieux. Différentes associations engagés auprès des populations roms ont dénoncé des « actes barbares ».

« Ce fait divers est la terrifiante conséquence de plusieurs années de politiques publiques inefficaces et de prises de paroles d’élus, de représentants de l’État mais aussi de nombreux médias entretenant et surfant sur un climat malsain », estime Romeurope. « La destruction continuelle et intensive des bidonvilles ne fait que rendre les difficultés des familles qui y vivent encore plus compliquées à traiter. Cette misère entretenue ne suscite que l’indifférence et fait prospérer un racisme qui touche toute la société française », ajoute ce collectif d’associations. À Pierrefitte, certains acteurs cherchent à apporter une réponse tangible à ce drame. Mais ils doutent qu’une marche ait un quelconque écho dans le quartier.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : DIY manifesto


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