À Marseille, l'entourage du maire FN du 7e secteur suscite bien des questions. Mediapart avait révélé en mai la présence autour de Stéphane Ravier, pendant la campagne municipale, de royalistes et d'un néofasciste condamné en 2004 à deux mois de prison ferme pour violences. Un mois plus tard, le maire des 13e-14e arrondissements recrute au poste stratégique de directeur général des services celle qui a été au cœur de l'épisode des censures dans la bibliothèque à Marignane, lorsque la ville était aux mains du Front national (1995-2001).
Marie-Dominique Desportes, 43 ans, fut en effet la directrice des affaires culturelles et des activités d’animation de Daniel Simonpieri, élu maire FN de Marignane (Bouches-du-Rhône) en 1995. C’est elle qui justifiait alors le grand ménage dans la bibliothèque municipale, au nom d'un « rééquilibrage ». Cette censure, qui a également eu lieu à Orange, avait déclenché une polémique nationale. Son embauche contraste avec la volonté de Marine Le Pen de mettre sous le tapis les échecs des quatre gestions frontistes des années 1990.
À l'époque, les journaux d'extrême droite Présent, National Hebdo et Rivarol font leur entrée à la bibliothèque de Marignane, tandis que, quelques mois plus tard, les abonnements à Libération, L'Événement du Jeudi et au quotidien local communiste La Marseillaise sont supprimés. À l'automne 1996, un double dispositif de contrôle est mis en place. La bibliothèque est placée sous la tutelle de celle qui s’appelait encore Marie-Dominique Terzoglou, chargée en outre d’élaborer, sous l’autorité du directeur de cabinet, le joumal de la municipalité. Parallèlement, toutes les commandes de la bibliothèque doivent désormais être agréées par un comité composé d’élus – en réalité de deux adjoints FN.
Plusieurs ouvrages sont refusés avec un prétexte « économique ». Dans le rapport de la mission d'inspection de la bibiliothèque, ordonnée par le ministre de la culture Philippe Douste-Blazy, les inspecteurs relèvent la censure d'ouvrages concernant « la gauche, son idéologie, ses représentants, ceux qui leur font écho », « la droite libérale », mais aussi ceux qui sont « hostiles à la municipalité et à l’idéologie dont elle se réclame ». Exit par exemple Blanqui l’insurgé, d’Alain Decaux ; Portrait d’un artiste (il s'agit de François Mitterrand) d’Alain Duhamel ; La Nouvelle Grande-Bretagne : vers une société de partenaires, de Tony Blair, avec une préface de Martine Aubry ; Chemins de sagesse : traité du labyrinthe, de Jacques Attali, ou encore les Mémoires de Jean-François Revel.
Autre cible : les livres décrivant les civilisations étrangères sous un jour positif ou présentant « l’étranger comme source d’enrichissement », mais aussi les ouvrages sur l’homosexualité. Exemples : les contes pour enfants et les musiques extra-européennes ; Le Rose et le Noir, les homosexuels en France depuis 1968, de Frédéric Martel ; l’autobiographie de Zaïr Kedadouche, Zaïr le Gaulois, les ouvrages de Freud ou encore un recueil d’entretiens entre l’abbé Pierre et Bernard Kouchner.
Dans la foulée, de nombreux livres, tous rédigés par des membres du FN, des auteurs d’extrême droite, royalistes ou négationnistes, font leur apparition dans les rayons, parfois en plusieurs exemplaires. Parmi eux, ceux publiés aux Editions Nationales de Jacques Bompard, maire FN d'Orange, et ceux de Jean-Yves Le Gallou, conseiller FN d'Île-de-France ; quelques ouvrages de Bruno Gollnisch, Robert Brasillach, Jacques Bainville ; l’ouvrage révisionniste de Roger Garaudy sur les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Le rapport note l’acquisition de nombreux « ouvrages exprimant les positions politiques de la droite nationale », de livres tentant d’« accréditer l’idée que le régime démocratique et ses dirigeants sont corrompus » ou évoquant « la monarchie autrefois, l’armée ».
Cette commande suscite une réaction de Marie-Pascale Bonnal, présidente régionale de l'Association des bibliothécaires de France (ABF), qui regrette que la municipalité ait « déni(é) aux bibliothécaires la responsabilité des acquisitions », « (mis) en place un comité de censure » et « imposé ses choix d'ouvrages aux lecteurs ».
Interrogée à l'époque par Libération, Marie-Dominique Desportes assurait que ces décisions répondaient à « une politique d'économie appliquée à tous les services » et un souci de pluralisme car « le courant national n'était pas représenté au rayon des périodiques de la bibliothèque ». Elle affirmait aussi qu’« au moins 40 % de la population marignanaise y adhèr(ait) ».
Comme le rappelle La Provence, après son départ de la mairie de Marignane, au début des années 2000, Mme Desportes avait rejoint la direction de la propreté de la communauté urbaine, puis la mairie (UMP) des 11e-12e arrondissements comme directrice générale des services, tout en restant proche du Front national, comme en atteste notamment sa présence à une fête organisée par le FN en 2009.
Les mairies de secteurs ont peu de pouvoir. Mais l'arrivée, au 1er juillet, de ce profil comme DGS suscite tout de même des interrogations dans l'opposition. Deux élus Front de Gauche, Marion Honde et Samy Johsua, s'inquiètent dans un communiqué d'éventuelles « menaces » sur la culture. Ils réclament que « toutes les garanties soient données aux habitant-e-s des nos arrondissements qu’aucune atteinte à la liberté d’expression et d’information ne surviendra sous une quelconque forme, et que la chape de plomb de la pensée extrémiste ne leur sera pas imposée ».
Interrogé par Mediapart, Patrick Mennucci, chef de file PS à Marseille, y voit « la confirmation que le FN est une organisation extrémiste » et précise qu'« il faudra suivre de près ce qui se passe dans la mairie du 13e-14e ». Nous avons sollicité mardi à plusieurs reprises le cabinet du maire pour joindre Stéphane Ravier et Marie-Dominique Desportes, sans obtenir de réponse.
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