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Le système off-shore d’un grand donateur de l’UMP

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Il connaît les ors du pouvoir, fait partie du cercle étroit des fervents soutiens de l’UMP, et maîtrise bien les subtilités des systèmes off-shore qui lézardent de toutes parts la finance mondialisée. Christophe Mazurier, le dirigeant de la banque Pasche, dont Mediapart a commencé à raconter les dérives à Monaco, a directement bénéficié d’un étrange circuit financier, passant par le Rocher, les Bahamas et Panama, selon les informations et les documents rassemblés au cours de notre enquête.

L’homme est marqué politiquement : Christophe Mazurier a été l’un des membres du premier cercle de l’UMP, qui rassemblait les 544 plus grands donateurs du parti lorsque Nicolas Sarkozy était candidat à la présidence de la République en 2007. Et ce dernier l’a élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur, le 31 janvier 2008, comme Mediapart l’avait déjà relevé. De 2009 à 2011, le financier a fait fructifier un compte ouvert à son nom dans la filiale monégasque de Pasche, en lien avec une société écran panaméenne.

À l’époque, il était directeur général de cette banque fondée à Genève en 1885, qui se présente comme le « pôle de gestion de fortune privée du groupe Crédit Mutuel-CIC », deuxième banque de détail en France et premier propriétaire de titres de la presse régionale. Pasche dispose aujourd’hui de bureaux en Suisse, à Dubaï, au Liechtenstein et aux Bahamas – quatre pays ayant défendu ou défendant encore un secret bancaire inflexible – ainsi qu’en Chine et au Brésil. Mais c’est en passant par Monaco, où le bureau de Pasche a finalement été revendu en novembre 2013 à la banque luxembourgeoise Havilland, que Christophe Mazurier avait décidé d’opérer.

Christophe Mazurier, en juin 2010.Christophe Mazurier, en juin 2010. © DR

Le dirigeant (depuis l’été 2011, il est le président de son conseil d’administration) a ouvert un compte à son nom chez Pasche Monaco le 30 mars 2011. Géré directement par le dirigeant de la filiale monégasque Jürg Schmid, ce compte n’a été alimenté que par deux sources, qui sont deux entreprises : Selva et Para Inversiones Assets SA.

La première est une société civile immobilière (SCI), créée, selon ses comptes, par Christophe Mazurier le 27 mars 2007, pour détenir et gérer une villa de Saint-Tropez (Var). Le banquier en est le gérant. Le 15 décembre 2011, ses deux enfants, Amélie et Pierre, qui en détenaient chacun une part sur 1 500, se voient attribuer tous deux le tiers de son capital.

La SCI a versé 101 707,07 euros sur le compte de Christophe Mazurier le 24 octobre 2011. Le même jour, Para Inversiones Assets le créditait pour sa part d’un virement de plus de 2,4 millions de francs suisses (soit environ 2 millions d’euros) depuis son compte ouvert chez Pasche Monaco le 7 avril 2009. En tout, Para Inversiones a versé l’équivalent de 4,2 millions d’euros sur le compte monégasque de Christophe Mazurier, en quatre versements étalés entre mai et octobre 2011.

Mais qui se cache donc derrière cette entreprise ? Officiellement, difficile de le savoir, puisqu’elle a été créée le 14 mars 2007 au Panama, un pays célèbre pour permettre de cacher les propriétaires réels d’une société. Le Panama figure toujours dans la liste des pays non conformes aux standards de l’OCDE en matière d’échange d'informations fiscales, aux côtés du Botswana, de Brunei ou de la Suisse. 

Idéal pour s'offrir des sociétés écrans. Selon le registre public panaméen des entreprises, Para Inversiones Assets a été créée via une célèbre société d’avocats panaméenne, Fabrega, Molino y Mulino, et dirigée par trois directeurs qui sont en fait des prête-noms, gérant chacun sur le papier des centaines de sociétés. Elle a été dissoute le 16 novembre 2012. Pour autant, des liens clairs existent entre Para Inversiones et le banquier. Ainsi, le 16 avril 2009, neuf jours après l’ouverture du compte de la société chez Pasche, il a lui-même fait virer 324 333,42 euros sur le compte de Para Inversiones. Le même jour, 3,5 millions d’euros apparaissent sur les comptes de la société panaméenne, transférés par la SCI Selva.

Dans le relevé de comptes de la société, tel qu’il était consigné chez Pasche, d’autres bizarreries surgissent : entre juillet 2009 et avril 2010, trois transferts dépassant en tout 1,5 million de francs suisses sont comptabilisés, sans que le donneur d’ordre n’apparaisse, ce qui est pour le moins inhabituel. 

Le compte de Christophe Mazurier chez Pasche n’est qu’une des étapes du circuit financier emprunté par son argent. Ses relevés d’opérations montrent qu’entre mai et octobre 2011, l’équivalent de plus de 3 millions d’euros ont été transférés depuis Pasche Monaco vers d’autres comptes à son nom, en quatre virements distincts. La dernière opération, réalisée le 27 octobre 2011, concerne 2 480 276,16 de francs suisses (environ 2 millions d’euros), virés sur le compte de Christophe Mazurier à UBS Monaco.

Nous avons interrogé la banque Pasche sur ces éléments, mais elle n'a pas souhaité commenter, arguant de l'enquête en cours. L’été dernier, une information judiciaire a en effet été ouverte sur le Rocher pour des faits de « blanchiment ». Les investigations ont été élargies, il y a peu, à la demande du juge d’instruction chargé du dossier, Pierre Kuentz, à des « omissions de déclarations de soupçons de blanchiment » auprès des autorités de contrôle.

« Dans la mesure où des procédures judiciaires en relation avec les faits que vous mentionnez sont actuellement pendantes, notre établissement ne souhaite pas s'exprimer à ce sujet avant que les autorités concernées n'aient rendu leurs décisions, que nous attendons par ailleurs avec confiance, nous répond la banque. (…) Par ailleurs, notre établissement a saisi la justice pour calomnie et le fera chaque fois que cela s'avérera nécessaire jusqu'à ce qu'une décision de justice ait mis un terme définitif à ce feuilleton, entretenu par des personnes mal intentionnées. »

Pasche avertit aussi : « Il apparaît que des documents confidentiels ou secrets ont été dérobés à notre établissement, ce qui ne manquera pas de conduire à l'ouverture des procédures idoines. » (Lire l'intégralité de nos questions à Christophe Mazurier et à la banque, ainsi que leur réponse complète, dans l'onglet Prolonger de cet article.)

Il apparaît que l’ensemble de la hiérarchie de la filiale monégasque s’est fourvoyée dans le système opaque que nous avons commencé à décrire dans le premier volet de notre enquête. Et les dérives semblent être antérieures aux faits relatés par les trois lanceurs d’alerte, licenciés en 2013 après avoir dénoncé des pratiques litigieuses. Selon plusieurs témoignages, ces écarts avec la règle remonteraient à la nomination de Christophe Mazurier à la tête de la banque Pasche. « Tout a dégénéré un an après son arrivée à la tête de la banque en 1998, assure un ancien haut responsable de la banque, qui souhaite garder l’anonymat. C’était le roi et ses bouffons autour. » « Décisions opaques », « fait du prince », l’ex-banquier ne mâche pas ses mots. À l’époque déjà, il s’était inquiété auprès de Mazurier des errements de l’établissement. La réponse qui lui avait été faite était sans appel : « C’est comme ça ou vous prenez la porte. »

Les documents et les témoignages obtenus par Mediapart montrent en tout cas que les dérives de Pasche Monaco sont aujourd’hui connues de la direction genevoise. Dès mars 2013, Christophe Mazurier est mis au courant des suspicions de blanchiment et de fraude fiscale au sein de la filiale monégasque. Le 16 mai 2013, une réunion s’est tenue au siège du Crédit Mutuel, à Paris, entre l’avocate des lanceurs d’alerte, Me Sophie Jonquet, et plusieurs responsables de la banque. Le lendemain, Christophe Mazurier, absent de la réunion à Paris, se rend en urgence sur le Rocher. Il y réunit un comité de contrôle afin d’évoquer les comptes litigieux. Ils étaient tous gérés par Olivier Giaume, le directeur adjoint à l’époque (il est devenu dirigeant de la filiale lorsqu’elle a été rachetée par Havilland).

Dans un mail daté du 17 mai à 17 heures, adressé à l’ensemble des participants à cette réunion, Mazurier demande à Jürg Schmid et à deux contrôleurs internes de « soumettre les dossiers revus à un expert externe spécialiste » et annonce que les responsables « procéderont aux annonces nécessaires auprès du Siccfin », l’organe de surveillance bancaire monégasque. Il conclut : « Votre banque a besoin de retrouver sérénité et esprit d'équipe. » Malgré cette promesse écrite, aucune sanction n’a à notre connaissance été prise après cette réunion.

Christophe Mazurier et Jürg Schmid, en juin 2010.Christophe Mazurier et Jürg Schmid, en juin 2010. © DR

Et pour cause. Le trio composé de Christophe Mazurier, Jürg Schmid et Olivier Giaume est au cœur du système de malversations. Les documents obtenus par Mediapart établissent un fonctionnement interne suspect. Comme ce membre du conseil d’administration de la filiale monégasque recevant ses indemnités de présence au conseil d’administration en liquide. Un « retrait caisse » de 12 000 euros, en mars 2010, stipulé comme tel sur le compte interne de la banque. L’opération permet d’échapper à toute déclaration fiscale. « Le versement des indemnités en liquide était chose courante, assure un ancien responsable. Et tous les administrateurs de la banque savent ce qui se passe en son sein. »

Ces pratiques expliquent le départ précipité de Maurice Pilot, président éphémère du conseil d’administration de Pasche Monaco, entre juin et septembre 2011. De 2009 à 2013, au sein de l’antenne monégasque ou au siège genevois, les licenciements et les démissions s’accumulent. « Ceux qui ne collaboraient pas étaient tout simplement virés », assure un ex-salarié. Sollicités par Mediapart, ni Jürg Schmid ni Olivier Giaume n'ont donné suite (lire nos questions sous l'onglet Prolonger).

La conversation de mars 2013, entre Schmid et l’un des lanceurs d’alerte, Jean-Louis Rouillant (enregistrée par ce dernier qui craignait d’être licencié pour son audace), illustre le climat de méfiance qui règne au sein même du trio. Le directeur monégasque rejette toutes les responsabilités sur son second et Mazurier : « C’est que Giaume, il a tous les accords de Mazurier, et moi non ! Je ne suis pas d'accord de faire des trucs tordus. Je pense qu’il fait ça avec lui là-haut [à Genève, ndlr], c’est pour ça qu’il est là. » En privé, il confie au salarié avoir déposé chez son avocat un dossier à charge contre le directeur général du groupe. Il assure que la relation entre Giaume et Mazurier est ancienne, et joue un rôle central dans les dérives constatées.

Olivier Giaume, en juin 2010Olivier Giaume, en juin 2010 © DR

Fin 2006, Olivier Giaume, alors commercial au sein de la filiale monégasque, avait été muté au siège genevois, à la suite d'un contrôle du Siccfin, puis d'un rapport de septembre 2006 soulignant qu’il n’avait pas réalisé les contrôles nécessaires sur plusieurs transactions bancaires.

Cette mutation prend pourtant la forme d’une promotion, puisque Giaume est nommé au poste d’auditeur interne de l’ensemble du groupe. Il revient à Monaco en 2012 pour devenir directeur adjoint. « Il ne rendait de comptes qu’à Mazurier, outrepassait ses prérogatives et ne semblait pas s’inquiéter des nombreuses opérations litigieuses », raconte un ancien cadre. Le duo met peu à peu à l’écart Jürg Schmid. En 2013, lors de la cession à Havilland, ce dernier ne sera pas repris.

Dans ces jeux d’influences et de pouvoir, on n’oublie pas de s’autocongratuler. En juin 2010, pour fêter les 125 ans de la banque Pasche, la direction va offrir à ses banquiers trois jours de festivités dans un luxueux hôtel de Monaco, le Méridien Beach Plaza. Au programme, dîners gastronomiques, soirées sur la plage, concerts et danseuses brésiliennes.

Pour l’occasion, le groupe a loué trois yachts à la société Rodriguez, leader mondial du secteur, dont un des comptes est abrité par la banque. À l’époque, Rodriguez est en pleine tourmente judiciaire. Deux jours avant le début de la fête, son président a été mis en examen pour « blanchiment d’infraction à la législation sur les jeux et d’extorsion de fonds aggravée, recel de malfaiteurs, abus de biens sociaux ».

BOITE NOIREGeoffrey Livolsi, le principal auteur de cette enquête, signe avec cette série ses premiers articles pour Mediapart. Il a déjà collaboré à Libération et aux Inrockuptibles.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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