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Jacques Toubon en Défenseur des droits: une nomination que rien ne peut justifier

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On est injuste avec François Hollande. Le chef de l’État a au moins une qualité que nul jusqu’ici n’a voulu lui reconnaître : il peut redonner vie à des concepts que l’on croyait morts. En ce mois de juin 2014, notre président social-libéral en mal de résultats – mais toujours enclin à désespérer ses électeurs en courtisant en vain ses adversaires –, vient ainsi de ressusciter le chiraquisme, rien de moins. Un communiqué de l’Élysée diffusé mercredi soir nous apprend en effet ceci :

Le grognard chiraquien Jacques Toubon, qui fêtera ses 73 ans le 29 juin, a donc de grandes chances de s’éviter les affres d’une retraite désœuvrée grâce à François Hollande, qui se propose de lui offrir le poste de Défenseur des droits, poste qu’occupait Dominique Baudis depuis 2011 jusqu’à son décès le 10 avril dernier, à 66 ans.

Jacques Toubon, Défenseur des droits ? Est-il le mieux placé pour lutter contre les discriminations, et veiller à la déontologie de la sécurité (deux des missions du Défenseur des droits, avec la défense des enfants et celle des usagers des services publics, depuis l'absorption du Défenseur des enfants et de la Halde en 2008) ? L’idée fera sourire les plus indulgents, quand d'autres s'indignent déjà et le voient plutôt en « défenseur des droites ».

Avant de devenir ce vieux sage consensuel et pétri de valeurs humanistes que veut nommer Hollande, Jacques Toubon a été un des chevau-légers de la droite dure parlementaire contre François Mitterrand, lors de son premier septennat.

Premier accroc de taille, dans son parcours : lors de ses débuts comme parlementaire, en 1981, Jacques Toubon a fini par voter contre la loi de Robert Badinter abolissant la peine de mort, même s'il avait auparavant voté pour le principe de l'abolition (l'article 1), avec 15 autres députés RPR. Jacques Toubon s'était alors déclaré opposé à la peine de mort à titre personnel, mais hostile à une loi qui ne garantissait, selon lui, pas d'alternative (on peut lire ici son intervention dans l'hémicycle le 18 septembre 1981). Il réclamait alors, en contrepartie, « des modalités d'exécution nouvelles des peines de réclusion criminelles les plus graves », voulant aussi « réviser l'échelle des peines à travers une réforme du Code pénal ».

Cette même année 1981, Jacques Toubon s'illustre encore malheureusement en votant, comme de nombreux députés RPR, contre la loi de Gisèle Halimi dépénalisant l'homosexualité (on peut lire le compte-rendu des débats du 20 décembre 1981 ici).

Pourfendeur du socialisme, spécialiste de l'obstruction parlementaire, des interruptions et du brouhaha en séance, Jacques Toubon s'était notamment illustré en jouant les grognards de Chirac lors des débats sur la loi Savary, en 1984.

Cette même année, Jacques Toubon avait été sanctionné, avec François d’Aubert et Alain Madelin, d'une mesure de « censure » prononcée par le bureau de l'Assemblée, pour « injures ou menaces contre le président de la République ». En l'occurrence, pendant les débats de la loi relative à la communication, les trois sbires lançaient des allusions aux activités de François Mitterrand pendant l'Occupation. Une diversion au passé collaborationniste du patron de presse Robert Hersant, alors à la tête d'un véritable empire, et qui était menacé par des mesures sur la concentration de la presse.

En 1989, c'est encore lui qui ferraille durement contre la loi sur l'immigration présentée par Pierre Joxe.

Lorsqu’il occupait le ministère de la justice, de 1995 à 1997 (après deux années pittoresques à la culture), il s’était comporté en « garde des siens » plutôt qu’en garde des Sceaux. Alors que plusieurs juges d’instruction enquêtaient sur les affaires de financement du RPR, le ministre mouillait la chemise quotidiennement pour tenir ses procureurs.

Afin d’éviter aux époux Tiberi la désignation d’un juge d’instruction indépendant dans une affaire emblématique – les salaires de complaisance versés à Xavière Tiberi par le conseil général RPR de l’Essonne, alors tenu par Xavier Dugoin –, les services de Jacques Toubon avaient même commis l’impensable : envoyer un hélicoptère jusque dans l’Himalaya, avec le fol espoir d’y trouver le procureur d’Évry, Laurent Davenas (féru d'alpinisme), et de le convaincre de ramener son adjoint, Hubert Dujardin, à la raison. Le procureur adjoint d’Évry avait eu le tort et l’audace d’ouvrir une information judiciaire pendant l’intérim de Davenas, plutôt que de faire durer tranquillement l’enquête préliminaire en cours. C’était en novembre 1996.

Jean et Xavière TiberiJean et Xavière Tiberi © Reuters

Ces deux années Toubon place Vendôme, passées à promouvoir des procureurs amis et à entraver les enquêtes, ont eu des résultats plus que mitigés. « Ah mais je ne peux rien faire, il y a un juge de nommé ! », répondait un jour le ministre, dérangé au téléphone par un ami, alors qu’il accordait un entretien à l’auteur de ces lignes dans un petit salon du ministère, et jurait ses grands dieux que les « affaires » ne l'occupaient que 1 % du temps...

Pour mémoire, c'est Jacques Toubon qui avait nommé directeur de l'Administration pénitentiaire un magistrat nommé Gilbert Azibert. Celui-là même qui vient de s'illustrer malencontreusement dans l'affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy.

Malgré le zèle de Toubon et de ses amis, les dossiers les plus lourds, mêlant fausses factures du BTP, mallettes de billets et financement politique, ont certes été ralentis à l’époque, mais la plupart ont tout de même fini par être jugés (marchés du conseil régional d’Ile-de-France, emplois fictifs du RPR, OPAC, etc.). Certaines enquêtes ont toutefois été sabordées, dont l’affaire de l’office HLM des Hauts-de-Seine, dans laquelle le ministre de l’intérieur Charles Pasqua avait prêté son concours à une déstabilisation du juge Éric Halphen via son beau-père, le docteur Maréchal, fin 1994.

D'autres affaires semblent, en revanche, avoir été gonflées, comme celle qui vaut au président (MRC) du territoire de Belfort, Christian Proust, de passer 15 jours en prison en 1996, avant d'être blanchi bien plus tard, en 2004.

En tant que ministre de la justice, Jacques Toubon a encore refusé, en 1995, l’examen de la proposition de loi socialiste créant le Contrat d’union civile (ancêtre du Pacs), en déclarant notamment ceci : « Le gouvernement n’est pas favorable parce que l’ordre public s’y oppose. » Il avait aussi cherché à amnistier les commandos anti-IVG, avant de changer d'avis.

Pour finir, avec la dissolution de 1997, Jacques Toubon avait quitté le ministère de la justice sous les quolibets, couturé de cicatrices, et sa carrière politique n’avait plus tout à fait été la même. En bon soldat méritant de la Chiraquie, il n’a, cependant, jamais été au chômage.

N’arrivant pas à redevenir député après son passage remarqué à la justice, Toubon s’abrite d’abord à l’Élysée comme conseiller. Il tente un putsch hasardeux contre Tiberi en 1998, qui lui coûte son poste au Château. L’année suivante, il reçoit la visite d’Eva Joly pour une perquisition en bonne et due forme dans l’affaire Isola 2000, station de ski dirigée par sa belle-fille et grevée de malversations. Le promoteur de la station, Dominique Bouillon, laissait Jacques Toubon utiliser son bateau à l’année, et d’autres arrangements plus secrets étaient soupçonnés par la justice. Après une mise en examen, l’affaire se termine toutefois par un non-lieu.

Maire du XIIIe arrondissement de Paris de 1983 à 2001, Jacques Toubon y a laissé des souvenirs mitigés, et géré avec difficultés de gros dossiers d'aménagement. À peine Chirac réélu à l’Élysée, en 2002, il se console en obtenant un coup de piston, étant bombardé conseiller d’État au tour extérieur. Pour améliorer l’ordinaire, il est aussi élu député européen en 2004. Le bâton de maréchal lui est offert en 2005 : faute de retrouver la mairie du XIIIe, il est nommé président du groupement d'intérêt public de la Cité de l’immigration, puis président du conseil d’orientation de l’établissement public du palais de la Porte dorée en 2007, reconduit en 2010 puis encore en 2013, ce qui avait suscité un certain étonnement à gauche. Un strapontin occupé depuis près de dix ans, où Jacques Toubon n'a pas fait de vagues, ni d'étincelles.

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